Avertissement
Le contenu de cette publication n’engage en aucune façon
l’Union Européenne. Elle est le fruit d’observations des
acteurs du terrain et de la capitalisation d’une décennie
de travail dans le delta du fleuve Sénégal.
La réalisation de cette publication a été possible grâce
au travail et à l’engagement d’un collègue et amis, Enrico
Luzzati, profond connaisseur de l’ASESCAW et de la zone
du delta
Préparée par : Simona Guida, Andrea Bessone, Djibril Diao, Mohamedine Diop
Coordination rédactionnelle : Simone Pettorruso, Edouard Junior Ndeye
Rédaction : Ousseynou Mbodji, Amadou Diop, Maimouna Sarr
avec la collaboration de Francesco Abbate, Université de Turin
Editing : Edouard Junior Ndeye
Photos : Sergio Casu, Simone Pettorruso
Imprimerie : La Rochette Comptoir Graphique - Dakar
Sommaire
Avant Propos ..................................................................................................................................... 05
Introduction ....................................................................................................................................... 06
CHAPITRE I :
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve ....................... 07
CHAPITRE II :
L’ASESCAW et son intégration dans l’espace socioéconomique et politique local ................ 10
CHAPITRE III :
Les services à la production agricole ........................................................................................... 13
Le financement agricole promu par l’ASESCAW : le dispositif Mec Delta ............................... 14
Les magasins/centres commerciaux agricoles (CCA) ............................................................... 16
CHAPITRE IV :
L’articulation entre les acteurs du modèle (OP, IMF, CCA).......................................................... 17
CHAPITRE V :
Le Système d’information de marché (SIM). Organisation, utilités et perspectives ................ 19
Conclusions ...................................................................................................................................... 22
04 -
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz
Acronymes
ASESCAW Amicale Socio Economique Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Waalo
CNCAS
Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal.
CAPS
Centrale d’Approvisionnement et de Prestations de Services
CCA
Centres Commerciaux Agricoles
CISV
Comunità Impegno Servizio Volontariato
CMS
Crédit Mutuel du Sénégal
DPS
Direction de la Prévision et des Statistiques
GIE
Groupement d’Intérêt Economique
GEC
Groupement d’Epargne et de Crédit
IMF
Institutions de Micro finance
MEC
Mutuelle d’Epargne et de crédit
NPA
Nouvelle Politique Agricole
ONG
Organisation Non Gouvernementale
OP
Organisation Paysanne
PAAZ
Programme d’Amélioration Agro Zootechnique
PME
Petite et Moyenne Entreprise
PASA
Projet d’Amélioration de la Sécurité Alimentaire dans la vallée du Fleuve Sénégal
par la promotion des services à la production agricole
SFD
Systèmes Financiers Décentralisés
SAED
Société d’Aménagement et d’Exploitation des terres du Delta
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz - 05
Avant Propos
CISV et ASESCAW ont entamé depuis une dizaine d’années
un parcours commun visant à intervenir sur les différentes
questions de la lutte contre la pauvreté, de la promotion
de la souveraineté alimentaire et de l’amélioration des
conditions de vie des populations rurales dans la zone
d’intervention de l’ASESCAW, dans le Nord du Sénégal.
La zone est caractérisée par une forte vulnérabilité de
la population, du fait du manque de revenus stables et
des difficultés à promouvoir un développement durable
et profitable au milieu. Suite à l’échec dans les années
passées des interventions basées sur une approche topdown et au processus de désengagement de l’Etat au
cours des années ‘90, les organisations paysannes comme
ASESCAW ont appuyé les populations locales pour la
recherche d’un développement endogène adapté à leurs
nécessités. A cet effet, ASESCAW et ses partenaires ont
relevé le défi, en mettant en place un système de soutien
à la production, à la commercialisation et au financement
qui est fortement innovant. Ce modèle se base sur
l’appropriation par les producteurs des structures
mises en place, sur le développement des synergies
entre elles et sur l’enracinement de ces structures au
niveau de la localité, afin de répondre convenablement
aux préoccupations des différentes catégories de
producteurs locaux.
Dans ce cadre, la stratégie du partenariat entre CISV
et ASESCAW vise à atteindre des objectifs ambitieux
à travers la reconnaissance et le renforcement du rôle
que les organisations paysannes doivent jouer dans
l’autonomisation et la durabilité du processus productif.
La centralité du rôle de ces organisations se révèle dans
tous les domaines du développement du territoire et
veut favoriser les synergies pour résoudre les problèmes
majeurs rencontrés par les paysans.
En particulier, au centre de cette stratégie on trouve
les foyers des producteurs, organisations à caractère
coopératif, enracinées dans leur milieu, définies par leurs
propres histoires et caractéristiques, représentatives d’une
partie significative de la société civile. On peut sans doute
affirmer que les foyers ont acquis au fil du temps des
compétences techniques importantes, mais il faut noter
qu’ils n’ont pas encore atteint le degré de structuration
nécessaire à garantir une gestion efficace des ressources.
A partir de ces considérations, CISV et ASESCAW ont retenu
de favoriser le développement d’activités génératrices de
revenus, à travers l’appui aux emplois productifs sur la base
d’un modèle équitable et équilibré, grâce au renforcement
des capacités des organisations de base, au financement
de l’agriculture, à l’amélioration de l’approvisionnement et
de la commercialisation des produits agricoles.
Ce processus encourage les liens entre les aspects sociaux,
économiques et environnementaux nécessaires pour
impulser une dynamique de développement durable. Le
soutien institutionnel et le renforcement des capacités des
organisations de producteurs membres de l’ASESCAW
pour améliorer leur organisation interne et renforcer
leurs capacités, sont enfin au centre des actions réalisées.
D’une manière générale, les initiatives menées par CISV
et ASESCAW sont basées sur la participation active de
l’ensemble des acteurs de la zone, dans le cadre d’une
approche d’appui au développement local, qui utilise
comme “porte d’entrée” les organisations paysannes.
Les initiatives conjointes de CISV et ASESCAW ont visé
la mise en place et l’accompagnement de structures
indépendantes du point de vue technique, financier et
gestionnaire, mais émanant de la même base associative.
Le protagoniste de cette stratégie est donc en premier lieu
le mouvement paysan, représenté dans cette zone par
l’organisation ASESCAW, mais implique en même temps
des autres sujets tels que les institutions de microfinance,
les centres commerciaux agricoles, les partenaires au
développement qui agissent dans la zone.
Dans le but de capitaliser une partie du parcours fait
ensemble, nos organisations présentent aujourd’hui cette
publication qui résume non seulement les actions réalisées
dans le cadre de notre partenariat, mais qui veut présenter
un système d’appui aux producteurs qui représente un
modèle pleinement endogène et une réponse concrète
aux grands défis du monde rural.
Ce système n’est pas à considérer comme un acquis
définitif, mais plutôt comme un point de départ sur lequel
on doit s’engager davantage et qui doit être capable de
s’améliorer et s’adapter pour répondre aux nécessités des
nos sociétés en rapide évolution. La CISV est une ONG
italienne qui depuis 35 ans lutte contre la pauvreté et pour
les droits des populations dans le monde, en favorisant
le développement des communautés locales en appui
aux organisations de base endogènes. CISV soutient des
initiatives dans les secteurs de la micro-finance rurale, des
ressources hydriques, de l’agro-zootechnie, des droits, de
la formation professionnelle et de l’interculture dans 11
pays de l’Afrique et de l’Amérique Latine. En Italie, elle
œuvre sur le front de l’éducation dans les écoles et des
campagnes de sensibilisation et information sur le thème
du développement en collaboration étroite avec d’autres
associations de la société civile parmi lesquelles celles
des ressortissants. La CISV intervient au Sénégal depuis
1988 en partenariat avec les organisations de base, en
particulier avec les organisations paysannes à travers une
approche de développement local, en facilitant la mise en
œuvre de réseaux d’acteurs dans les régions de Louga
et Saint-Louis. L’ASESCAW est une fédération de 176
associations villageoises, réparties dans les départements
de Louga, Saint-Louis et Dagana. Parmi les objectifs
de l’ASESCAW, on peut noter la formation morale et
intellectuelle des populations à la base et la lutte contre la
pauvreté et toutes formes d’inégalité et d’exclusion.
L’ASESCAW a initié plusieurs programmes de promotion
du monde rural et a développé des innovations majeures
dans les domaines de l’irrigation, de l’approvisionnement
en intrants agricoles, du financement agricole et rurale, de
la promotion de la femme rurale, de la lutte contre l’exode
rurale et de la gestion des ressources naturelles. Elle a
été à la base de la construction du mouvement paysan
sénégalais dont elle fait partie des plus grands piliers.
Les Présidents CISV et ASESCAW
Piera GIODA et Babacar DIOP
06 -
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz
Introduction
La présente publication n’envisage pas uniquement
l’exposition des acquis du « Projet d’amélioration de la
sécurité alimentaire dans la vallée du Fleuve Sénégal par la
promotion des services à la production agricole » (PASA),
réalisé par la CISV en partenariat avec l’ASESCAW, grâce
au cofinancement de l’Union Européenne, mais aussi les
caractéristiques de ce qu’on peut appeler un véritable
système d’acteurs opérant pour le développement du monde
rural. En effet, l’intervention du projet a été conçue et réalisée
en tenant compte des potentialités dérivant de l’existence de
plusieurs structures indépendantes, mais étroitement liées du
fait du partage de la même base associative, qui sont nées
de l’initiative du mouvement paysan local dans le contexte du
Delta du fleuve Sénégal.
L’action cofinancée par l’Union Européenne a été la suite
naturelle d’un projet cofinancé par le Ministère des Affaires
Etrangères italien, réalisé entre 2004 et 2007, ayant pour but
l’amélioration des conditions de sécurité alimentaire de la
zone. En travaillant au niveau du projet précédent, la CISV et
l’ASESCAW ont pu démarrer le renforcement d’un véritable
« district communautaire coopératif », où plusieurs structures
à base coopérative étaient en train de travailler au niveau de
la vallée du Fleuve en faveur du monde rural. D’un coté les
producteurs agricoles, structurés autour d’associations à but
productifs, les foyers et les groupements villageois, adhérant à
la fédération ASESCAW. De l’autre coté, certaines institutions
de microfinance (IMF), évoluant dans la localité pour fournir
des services financiers de proximité pour l’agriculture.
Finalement, les magasins/centres commerciaux agricoles
(CCA), ayant comme mission la fourniture d’intrants pour
l’agriculture, tout en intégrant parmi leurs services certaines
prestations mécanisées. Il s’avère important remarquer que
soit les IMF, soit les magasins en question étaient promus,
suivant différents parcours, par l’organisation faitière
ASESCAW, c’est-à-dire par le même mouvement paysan.
Ainsi, d’une manière complémentaire au projet antécédent
et en soutenant le parcours déjà entamé, l’ASESCAW,
accompagné par la CISV, a voulu concentrer son attention
à travers le PASA sur le développement des services
à la production agricole, y compris le financement de
l’agriculture, la disponibilité d’intrants et la commercialisation
de produits agricoles au bénéfice des paysans. La stratégie
adoptée pour atteindre les objectifs fixés passait par la
reconnaissance et par le renforcement du rôle que les
organisations paysannes doivent jouer dans l’autonomisation
et la durabilité du processus productif. La mise en place et
l’accompagnement de structures indépendantes du point de
vue technique, financier et gestionnaire, mais émanant de
la même base associative a permis le développement des
synergies nécessaires pour résoudre les problèmes majeurs
rencontrés par les producteurs.
Le projet a promu le développement d’organisations à caractère
coopératif, enracinées dans le milieu et représentatives d’une
partie significative de la société civile. En effet, dans la zone
ciblée, caractérisée par la présence de périmètres irrigués,
aptes à la production de riz et de maraîchage utilisant l’eau
du fleuve Sénégal pour l’irrigation, les producteurs ont acquis
au fil du temps des compétences techniques importantes,
mais ils n’avaient pas encore atteint le degré de structuration
nécessaire à garantir une gestion efficace des ressources
disponibles localement. Pour cela, les axes sur lesquels le
Projet a opéré ont été principalement : le renforcement des
capacités des organisations de producteurs, l’amélioration de
l’approvisionnement et de la commercialisation des produits
agricoles, le financement de l’agriculture.
Le renforcement organisationnel et institutionnel de ces
acteurs et l’amélioration de la qualité des services aux
producteurs a été la méthode qui a permis d’augmenter
stablement les revenus des paysans. L’action s’est activée
en soutenant cette partie du monde paysan local à plusieurs
niveaux, notamment à travers le renforcement institutionnel
des organisations des producteurs en tant qu’acteurs du
développement, par l’établissement d’un plan stratégique
de développement durable, la formation des cadres et du
personnel, la dotation d’outils et moyens conséquents pour
la réalisation de leur mission. En outre, elle a procédé à la
création et au renforcement de structures qui gèrent des
services capitaux en amont et en aval de la production, par
le biais de la sécurisation des services, le renforcement de
capacités des élus et du personnel, la dotation d’instruments
de gestion fiables, l’attribution du rôle d’antennes sur les
marchés. En suite, le projet s’est concentré sur le renforcement
institutionnel de sept IMF, à travers la construction ou la
réfection des sièges, l’amélioration des capacités des élus
et du personnel, l’augmentation des garanties de contrôle
interne, la promotion de la concertation en vue d’un processus
de réseautage. Finalement, il a renforcé le rôle d’orientation
stratégique des OP au profit des synergies locales, par la
constitution d’un Cadre de Concertation Permanent entre
les OP, les magasins et les IMF. D’une manière générale le
projet s’est basé sur la participation active de l’ensemble
des acteurs de développement de la zone, dans le cadre
d’une approche d’appui au développement local, qui a utilisé
comme “porte d’entrée” les organisations paysannes.
Afin de mieux comprendre les contours du système promu
par le projet et ses caractéristiques essentielles, nous
procéderont d’abord avec une brève analyse du contexte et
des principales problématiques de la localité. En suite, nous
analyserons l’historique de l’ASESCAW et son intégration
dans les espaces socioéconomiques et politiques de la Vallée
du Fleuve. Cette partie nous permettra aussi d’aborder la
description du premier pilier du système, à savoir celui des
organisations chargées de la production agricole proprement
dite. Le troisième chapitre portera, par contre, sur les services
agricoles (approvisionnement en intrants, prestations
mécanisées, stockage, transformation et commercialisation
de la production) et le système financier. C’est au niveau du
quatrième chapitre que nous traiterons de l’articulation entre
les différents acteurs actifs au niveau du modèle, ainsi que
les synergies y afférant. Pour conclure, le cinquième chapitre
offrira un focus sur le système d’information des marchés
(SIM) mis en place au sein des magasins.
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz - 07
CHAPITRE 1
Le contexte et les problématiques agricoles
majeures de la Vallée du Fleuve
08 -
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz
Entre le Diéri, zone sèche favorable à l’élevage, et le Walo,
zone agricole inondable aux terres fertiles et aux sols
argileux, où se pratiquent principalement la riziculture
irriguée et le maraichage, se succèdent des villages peuls,
wolofs et maures. Le Département de Dagana, principale
zone d’intervention de l’ASESCAW, est une grande
étendue d’environ 5.200 km². Le Delta du Fleuve Sénégal,
situé au Nord du Sénégal, jouxtant le Mali et la Mauritanie,
couvre la Région administrative de Saint-Louis et la Région
de Tambacounda. La Région de Saint Louis, notamment le
Département de Dagana, est caractérisée par la présence
du bassin versant du fleuve Sénégal, qui totalise 220.000
km² (dont 60.000 km² en territoire sénégalais) et qui révèle
un territoire riche en eau. Au niveau de la démographie, la
population du département est estimée à 192.984 habitants
(à majorité wolof, 70%), dont les 63% sont ruraux.
Le milieu naturel y est très spécifique. La pluviométrie
est dans l’ensemble très faible et dépasse rarement les
300 mm/an. Le Delta est situé aujourd’hui au centre des
enjeux de l’agriculture sénégalaise du fait de la présence
du fleuve Sénégal et des grands aménagements réalisés
depuis la période coloniale par l’Etat. Les aménagements
hydro agricoles ont d’abord consisté de grands périmètres
publics (réalisés à partir des années ’60) auxquels sont
venus s’ajouter les périmètres gérés par les organisations
paysannes. Cette dernière catégorie de périmètres
est conçue de manière très simple et à de faibles coûts.
Les périmètres conçus par les organisations paysannes
(comme l’ASESCAW) sont plus accessibles, même si
l’absence d’un réseau de drainage accroît dans certains
cas le taux de présence de sel. Toutefois, la comparaison
des rendements observés entre les deux typologies
montre l’inadéquation des grands périmètres publics. Pour
un coût très élevé, les rendements ne sont améliorés que
d’environ 25%.
L’agriculture irriguée se caractérise aujourd’hui par le
désengagement presque total de l’Etat, la réorganisation
et la réadaptation des cultures au nouveau contexte, la
diversification de la production (qui inclue de plus en
plus le maraichage, pratiquée en contre saison froide), le
développement de stratégies paysannes pour promouvoir
la vente de leurs produits, la diversification de leurs
revenus, ainsi que la qualité des produits qu’ils mettent
sur les marchés. Pour ce qui concerne la filière riz (qui est
la plus rependue), la promotion de la production rizicole
locale pour satisfaire les besoins nationaux toujours
croissants et jusqu’à nos jours dépendants du marché
international relève d’une option stratégique de l’Etat. En
effet, avec une consommation de riz entre 60 et 70 kg/hab/
an (en moyenne 600.000 tonnes), seulement de 20 à 30%
sont couverts actuellement par la production nationale.
La mondialisation de l’économie, soulignée par la mise
en œuvre des accords de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), a constitué un tournant déterminant
pour le Sénégal et plus particulièrement pour sa population
rurale. Durant les années ’90, les Programmes d’Ajustement
Structurel (PAS) se sont traduits par le désengagement de
l’Etat, la privatisation des entreprises publiques chargées
du développement rural, le transfert aux agriculteurs
de certaines fonctions anciennement dévolues aux
organismes publics, la réduction des subventions sur les
intrants et le crédit agricole, la libéralisation des marchés
et du commerce des produits agricoles.
A la suite de la dévaluation du Franc CFA survenue en 1994,
le pouvoir d’achat de la population, qui avait déjà accusé
un affaiblissement progressif, s’est dégradé par une hausse
des prix des denrées alimentaires. Les ménages pauvres,
dont 70% des revenus sont consacrés à l’alimentation,
ont vu leur ration alimentaire diminuer quantitativement
et qualitativement. D’une manière générale, l’insécurité
alimentaire s’est fortement accentuée. Le secteur primaire
a enregistré un taux de croissance moyenne annuelle réelle
de 1,3%, inférieur à la croissance démographique, qui est
estimée à 2,9% par an. Des objectifs ambitieux ont été
fixés par l’Etat, à savoir de résorber totalement le déficit
en riz en 2012, par la valorisation des potentialités hydro
agricoles de la vallée du fleuve Sénégal, de l’Anambé et
toutes autres zones qui ont des potentialités productives.
Les investissements étatiques et les potentialités en eau
de la zone ont certainement attiré des acteurs étrangers
à la localité, qui ont pu négocier l’obtention de terres à
exploiter, par les paysans locaux ayant des difficultés pour
une correcte mise en valeur de leurs champs (accords de
sharecropping) ou avec les Communautés Rurales, là où
le peu de terre était encore disponible. Les investisseurs
de moyenne/grande taille, représentant l’agrobusiness,
sont le phénomène le plus récent au niveau de la localité
et constituent selon certains une véritable menace pour
les équilibres socioéconomiques, écologiques et culturels
de la Vallée. Cette perception est justifiée par le fait que
les entreprises de l’agrobusiness, d’une manière générale,
ont la tendance à réaliser des investissements fortement
aléatoires (quand leur business n’est plus rentable ou moins
rentable qu’ailleurs, elles peuvent rapidement abandonner
le milieu), lourds (du point de vue environnemental et de
la technologie utilisée), occupant des terres qui pourraient
être mis en valeur par les paysans locaux, exploitant la
main d’œuvre locale à des salaires infimes et envahissant
le marché local avec des produits de mauvaise qualité
(les produits agricoles les meilleurs étant destinés à
l’exportation), en provoquant ainsi un bouleversement des
prix au niveau du marché local.
A cause de cela, il s’avère fondamental le rôle pouvant être
joué par les producteurs locaux et leurs organisations, qui
sont au cœur de tout processus de développement rural
durable. Toutefois, pour atteindre les objectifs envisagés
par l’Etat, fournir une contribution importante pour
résoudre les problèmes de sécurité alimentaire et garantir
la croissance du milieu sur le moyen/long terme, certaines
problématiques doivent encore trouver une solution, en
particulier :
L’ASESCAW et son intégration dans l’espace socioéconomique et politique local - 09
• le système d’approvisionnement en intrants peu
performant du fait de la présence de plusieurs
intermédiaires et de certaines pratiques commerciales
(spéculation, sous évaluation des quantités, fluctuation
des prix, etc).
• le non-respect des calendriers culturaux, dû au
manque d’organisation au niveau des organisations
de producteurs, en particulier à la non-disponibilité
d’intrants de qualité au moment opportun.
• la faible performance du système de financement des
banques classiques et des IMF pour faire face aux
besoins de financement des campagnes agricoles.
• la désorganisation du système de commercialisation,
qui ne permet pas une bonne promotion des produits
agricoles, les commerçants tirant en effet des grands
profits par rapport aux producteurs.
• la faible coordination entre acteurs financiers et autres
intervenants de la filière agricole.
La levée de ces contraintes, jointe à l’amélioration des
capacités organisationnelles des producteurs, constituent
les défis majeurs, afin d’augmenter l’efficience de ce
secteur productif, en mettant l’accent sur l’amélioration des
services à la production au début et à la fin de la chaîne
productive. En ce sens les besoins auxquels les populations
rurales de la vallée doivent encore faire face concernent le
renforcement des organisations de producteurs existantes
(en les aidant à atteindre le niveau d’organisation et de
gestion d’une petite/moyenne entreprise agricole viable),
la mise en place de structures coopératives génératrices
de revenus qui réalisent des services à la production de
qualité, le renforcement d’un dispositif d’accès au crédit
adapté aux exigences du secteur.
On parle ici de petits producteurs qui pratiquent une
agriculture familiale quasi traditionnelle, caractérisée
par des rendements encore insuffisants, par l’insécurité
foncière, par la difficulté d’accès aux intrants pour la
production, par la faible disponibilité d’infrastructures et
d’équipements ruraux, par la faible diffusion de produits
financiers adaptés, par l’orientation de la production en
bonne partie vers l’autoconsommation, par la dépendance
des acteurs externes (voir les commerçants).
Face à ces difficultés, les stratégies d’adaptation
des producteurs prennent la forme d’une extrême
diversification de la production, l’intense recours à la main
d’œuvre familiale (souvent non spécialisée), l’adhésion
à plusieurs entités organisationnelles (tels que les
sections villageoises, les foyers), l’exploitation autonome
d’espaces culturaux à travers la création de Groupements
d’Intérêt Economique (GIE) indépendants, la décision de
chercher du travail rémunéré auprès des entreprises de
l’agrobusiness ou d’accepter les conditions proposées par
les investisseurs ruraux de la dernière heure.
Le constat est que la participation aux foyers, donc
à l’ASESCAW, n’est pas la seule pratiquée par les
producteurs de la localité. Toutefois, les potentialités du
système proposé par l’ASESCAW, qu’on va mieux analyser
dans les chapitres suivants, constitue une réponse de
plus en plus appréciée par les petits producteurs locaux,
organisés autour des foyers et des groupements villageois
et membres/clients des IMF et des magasins coopératifs.
CHAPITRE 2
L’ASESCAW et son intégration dans l’espace
socioéconomique et politique local
L’ASESCAW et son intégration dans l’espace socioéconomique et politique local - 11
En gestation depuis 1965, l’Amicale Socio-économique
Sportive et Culturelle des Agriculteurs du Walo
(ASESCAW) est créée en 1976 et reconnue officiellement
par l’Etat Sénégalais en 1978. L’ASESCAW a vécu au cours
de son évolution des hauts et des bas. Elle doit sa survie
aux changements opérés suite à sa longue « traversée
du désert » causée par la Nouvelle Politique Agricole,
initiée par l’Etat au début des années ‘80 et caractérisée
par le désengagement de l’Etat et la libéralisation du
secteur agricole1 . En réalité, cette politique, soutenue
par les bailleurs de fonds, pour lesquels l’encadrement
est jugé couteux et pas très profitable aux producteurs,
fait suite au programme de redressement économique et
financier mis en place en 1979. On assista, donc, à une
libéralisation des filières, qui place la production rizicole
au centre de l’activité économique dans le Delta du
Sénégal. Tout ce bouleversement institutionnel a perturbé
l’activité traditionnelle dans cette zone et des difficultés de
respect du calendrier agricole se sont fait sentir. Dès lors,
une nouvelle orientation s’est imposée pour corriger les
imperfections du nouveau système. Cette orientation était
axée sur le renforcement institutionnel des organisations
de base, le renforcement de capacités des acteurs ruraux,
la promotion d’une alternative au financement rural
classique. Le tout centré sur un système participatif, évolutif
et innovant, où le producteur, les OCB -Organisations
Communautaires de Base - sont le cœur.
A partir du Foyer de Ronkh, le village où ce processus de
développement à la base a pris forme dans les années
‘60, bien avant le désengagement de l’Etat des activités
productives, les jeunes paysans ont pris conscience que
les sociétés d’encadrement n’étaient pas en mesure de
les sortir de la situation de marasme socio-économique
dans laquelle ils étaient. Ainsi, ils ont décidé de s’organiser
autour de projets sociaux et hydro agricoles conçus et
gérés par et pour eux mêmes. Cette expérience fut une
réussite totale et fit tâche d’huile ; de 9 Foyers dans une
collectivité locale au départ, ASESCAW compte aujourd’hui
176 Foyers et Groupements et couvre 12 collectivités
locales, trois Départements, deux Régions. Le 9 janvier
1988, l’Etat du Sénégal l’agrée comme organisation non
gouvernementale la base d’un protocole d’accord facilitant
son action à l’endroit des populations rurales.
L’ASESCAW s’est assignée comme mission d’assurer
la formation des populations à la base dans différents
secteurs d’activité, de lutter contre toute forme d’exclusion,
de pauvreté, de dégradation des ressources naturelles et
surtout contre l’exode rural qui est l’un des principaux
soucis du Walo. Elle veut en outre promouvoir la sécurité
et l’équilibre alimentaire dans sa zone d’intervention. Pour
cela, elle s’investit dans l’accompagnement des associations
villageoises (foyers ou associations villageoises) en les
aidants dans l’élaboration, la conception, l’exécution et
l’évaluation de leurs programmes de développement à
la base. Cet accompagnement permet de stimuler des
initiatives paysannes dans l’optique d’une recherche
permanente d’alternatifs pour le développement du
territoire. Aujourd’hui, ces fonctions sont assurées à
travers une répartition suffisamment nette des tâches
entre les différents niveaux de l’organisation. A la base,
1
les exploitations familiales adhèrent au niveau des
villages aux foyers ou aux groupements villageois. Ces
derniers remplissent plusieurs tâches, soit sociales soit
économiques/productives. Elles réalisent des activités
de promotion sociale et culturelle, mais sont aussi
promotrices et coordinatrices d’activités génératrices
de revenus réalisées par les membres. Ayant pu dans le
temps obtenir des terres à exploiter, ces associations les
mettent à la disposition des membres, tout en assurant des
fonctions centrales pour la production agricole, concernant
l’organisation des opérations culturales (identification des
fournisseurs et des prestataires, achats groupés, définition
des calendriers culturaux et des itinéraires techniques,
gestion de l’eau pour l’irrigation, etc.). Les producteurs
qu’y adhèrent se voient attribuer en début de campagne
une parcelle sur laquelle produire, moyennant une somme
correspondant aux frais d’exploitation (l’aménagement,
la motopompe et tout autre service complémentaire mis
à disposition par l’association, qui négocie à cette fin
un crédit d’équipement avec les IMF du milieu). Tout en
gardant la responsabilité individuelle du travail dans la
parcelle qui lui a été attribuée (et du crédit de campagne
emprunté pour les besoins en intrants), le producteur
arrive à travers le foyer à opérer dans un cadre protégé, où
l’accès à certains services est garanti (y compris l’appui/
conseil) et l’entraide est favorisée. Le riz et le maraichage,
suivant les saisons et la programmation réalisée au sein
des foyers, sont ainsi pratiqués, avec des résultats souvent
meilleurs que dans les autres champs voisins, où les
agriculteurs sont appelés à se débrouiller tous seuls.
Chaque foyer (ou groupement villageois) est représenté au
sein d’une « zone de l’ASESCAW », instance intermédiaire
de l’organisation entre la base et la fédération, ayant
comme espace de référence la Communauté Rurale
d’appartenance, qui sert de relais de communication entre
les deux. Au sommet de l’organisation on retrouve ainsi
la fédération, à savoir l’ASESCAW, qui garde différentes
fonctions, parmi lesquelles on peut citer, principalement,
l’appui/conseil technique aux foyers (à travers son
personnel technique), la représentation politique (à
travers ses dirigeants) vis-à-vis des autres instances
locales et nationales et la recherche de partenaires/
bailleurs avec lesquels développer des projets ou des
initiatives spécifiques en faveur de la base associative.
L’ASESCAW est aujourd’hui très engagée dans les
différents espaces de représentation du monde paysan
national et sous régional. Ses dirigeants sont à la tête
des cadres locaux de concertation des organisations de
producteurs (CLCOP) dans le Walo. Les cadres régionaux
de concertation des ruraux (CRCR) de Louga et Saint Louis
sont également dirigés par des leaders de l’ASESCAW. A
cela s’ajoute la présidence de la Fédérations des ONG
du Sénégal (FONGS), fer de lance avec le Cadre National
de Concertation des Ruraux (CNCR) du syndicalisme
agricole au Sénégal.
Au-delà de l’adhésion aux différents espaces de
concertation paysannes qui ont pris forme dans le
temps au niveau du Pays, l’ASESCAW a développé
aussi d’importantes synergies avec le pouvoir publique
local. D’ailleurs, le Sénégal a entamé depuis les années
Au début des années ’80, le Sénégal est confronté à une grave crise économique à laquelle a largement contribué l’échec de la politique
agricole menée depuis l’indépendance. Les programmes d’ajustement misent sur la libéralisation des marchés et le désengagement de
l’État pour stimuler la production et l’exportation des produits agricoles.
12 -
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz
’90 un vaste processus de décentralisation et de
responsabilisation des populations à la base. Actuellement,
l’exercice du pouvoir local se fait à travers les collectivités
locales (conseils ruraux, conseils municipaux et conseils
régionaux). Par ailleurs, des structures déconcentrées ont
été aussi mises en place par l’Etat, sous la responsabilité
des Ministères de compétence (on retrouve ainsi des
Services régionaux, départementaux et communaux de
l’agriculture, de l’élevage, de l’éducation, etc.), censées
garantir l’application des orientations gouvernementales
au niveau local et de fournir un encadrement « sectoriel
» au territoire et aux populations. Malgré la faiblesse des
ressources humaines et financières disponibles pour
mettre en œuvre les processus de décentralisation et
de déconcentration prévus par la loi, il s’agit d’acteurs
incontournables pour l’élaboration et la mise en œuvre
des politiques de développement.
Dans la zone du Delta, en particulier au niveau du
Département de Dagana, l’ASESCAW a structuré dans le
temps des relations étroites avec les institutions locales
qu’on vient de citer. Il s’agit d’une concertation et d’une
coopération stable et bidirectionnelle. D’un coté, toute
intervention de l’ASESCAW doit être « validée » par le
pouvoir publique local, sur la base des orientations qu’il
a établi. A cet effet, des moments de confrontation et de
partage, plus ou moins formalisés, sont organisés. De
l’autre coté, cette concertation sert aussi à l’ASESCAW à
faire valoir les idées et les intérêts de ces membres, en
contribuant ainsi à la définition des politiques locales. La
mise en place du PASA a confirmé cette orientation propre
à l’OP : les collectivités locales de la zone d’intervention
du projet (en particulier les Communautés Rurales) et les
services techniques déconcentrés de l’Etat ont participé
activement, dès le début, au processus. En plus, une
stratégie de « pénétration » de plusieurs responsables de
l’ASESCAW au sein des organes politiques des collectivités
locales de la zone est une approche qui s’est affirmée dans
le temps, afin de peser davantage sur les politiques de
développement agricole du Nord du Pays.
Par ailleurs, les relations partenariales entre l’ASESCAW
et les autres acteurs de la localité ne se limitent pas aux
pouvoirs publics. D’autres entités également centrales
dans le cadre de la promotion socioéconomique de la zone
ont été dans le temps ciblées par l’OP en tant qu’associés
pour la concertation permanente et pour la mise en œuvre
d’initiatives ponctuelles.
Nous faisons référence ici à la SAED (Société pour
l’Aménagement et l’Exploitation du Delta), d’antan chargée
de l’encadrement des riziculteurs et de la coordination de la
filière riz dans la Vallée, aujourd’hui chargée de la collecte
de données sur la production agricole, de l’aménagement
des grands périmètres et toujours disposant d’une forte
connaissance de la réalité socioéconomique de la Vallée.
Concrètement, la relation entre l’ASESCAW et la SAED a
conduit à la mobilisation de personnes ressource de la
Société pour des formations en faveur des membres de
l’ASESCAW, mais aussi à un projet pilote de grand intérêt
comme celui du Système d’Information des Marchés
(SIM), qui sera mieux présenté dans le dernier chapitre.
En effet, la diffusion de l’information sur l’évolution du
marché agricole au niveau du Pays est un outil important,
qui contribue à une meilleure décision sur quoi et quand
produire chez les paysans.
Cette attitude de l’ASESCAW à agir en tant qu’acteur du
développement local (recherche de synergies, stimulation
de la concertation, partage des informations avec les autres
acteurs de la localité) est devenue au fil du temps partie
intégrante de sa stratégie d’intervention. En effet, le type de
collaboration développé avec la SAED est similaire aussi à
d’autres entités du milieu, tels que l’Institut Sénégalais de
Recherche Agricole (ISRA), le Centre du Riz pour l’Afrique
(l’ancienne ADRAO), le CGER (Centre de Gestion et
Economie Rural) et d’autres. Cette approche est en train
de permettre à l’ASESCAW une plus grande emprise
sur le contexte dans lequel elle évolue et une meilleure
valorisation de son rôle d’acteur du développement local.
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz - 07
CHAPITRE 3
Les services à la production agricoles
14 -
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve
Dans le chapitre précédent le rôle et les fonctions des foyers et des
groupements villageois qui adhèrent à l’ASESCAW ont été décrits.
Il s’agit maintenant d’analyser ceux des IMF et des magasins
promus par l’ASESCAW, qui opèrent en étroite relation avec les
organisations des producteurs pour leur mettre à disposition des
services agricoles essentiels, tels que l’approvisionnement en
intrants, le stockage et la vente de la production (surtout le riz,
étant moins périssable) et le financement des campagnes.
En effet, l’ASESCAW a bien compris, durant les dernières
années, la nécessité d’un coté de restructurer, redynamiser et
renforcer les capacités de ses organisations à la base (les foyers
et les groupements villageois) et, de l’autre, de déléguer à des
structures appropriées et autonomes la gestion des services
d’accompagnement à la production, comme l’approvisionnement
en intrants et la commercialisation, mais aussi le financement des
activités agricoles.
Il s’agit dans ce cas de figure de formes organisationnelles de
type coopératif et mutualiste (OP, IMF, centres commerciaux
agricoles/magasins), disposant des caractéristiques suivantes:
la diffusion de la propriété (on parle des sociétaires comme
des stakeholders des institutions), la centralité de la personne
(à la base de l’adhésion à la coopérative), le fonctionnement
démocratique (à travers une représentation équitable des
sociétaires dans les instances de décision et l’autogestion des
institutions à travers les élus), le mutualisme (les services sont
orientés aux sociétaires).
Le financement agricole promu par l’ASESCAW : le dispositif
Mec Delta
L’appui à la mise en place de systèmes de microfinance viables
et capables de financer l’activité agricole a été un des principaux
objectifs des organisations de producteurs comme l’ASESCAW.
Ce souci a été le résultat de l’analyse des limites du système
bancaire local, basé sur l’action de la Caisse Nationale de Crédit
Agricole du Sénégal (CNCAS), institution créée par l’Etat en
1987. Cette entité a montré dans le temps toutes ses difficultés à
financer convenablement le développement de l’agriculture de
la Vallée. Le manque de proximité entre l’institution et les paysans,
sa faible connaissance des activités financées, le manque de
produits financiers adaptés aux exigences des producteurs, la
mauvaise attitude des producteurs vers ce « crédit étatique »
(fortement politisé) et les difficultés organisationnelles internes
à l’institution ont été à la base des résultats désastreux de la
CNCAS en termes de taux de recouvrement et de qualité du
service, ce qui a demandé à plusieurs reprises l’intervention de
l’Etat pour couvrir les pertes.
Face à cette situation, les premiers pas de l’OP en matière de
financement rural sont allés dans la direction d’inclure au sein
de l’organisation un dispositif rudimentaire de financement
rural, dans le cadre de projets spécifiques, au bénéfice de ses
membres. Les difficultés à garantir le recouvrement des prêts
effectués, du fait de l’absence d’un cadre juridique permettant à
ce genre d’organisations de réaliser des activités d’intermédiation
financière et de l’approche « souple » de l’ASESCAW vis-à-vis
de ses membres, a été à la base du non recouvrement d’une
grande partie des sommes élargies. La décision de changer de
stratégie a fait qu’à partir des années ’90 l’OP s’est beaucoup
plus orientée vers la promotion d’entités ayant comme mission
spécifique le financement des activités agricoles du milieu, sur
la base des principes de la microfinance (crédits de proximité,
peer pressure, adaptation des produits financiers aux besoins
locaux, etc.). Encore une fois, à partir du village de Ronkh, où
la première expérience a pris forme, on a assisté à la création
2
d’instituts financiers coopératifs et mutualistes dans toute la
zone, appuyés par l’ASESCAW, mais autonomes du point de vue
juridique et gestionnaire. Cette approche visait à trouver des
solutions stables à la préoccupation de l’accès au crédit agricole
et de la constitution d’épargnes par les producteurs.
Parmi les entités financières ainsi créées, une attention majeure
mérite la Mec Delta de Ronkh, qui a su dans le temps se
positionner en tant que véritable alternative au système bancaire
classique, en opérant selon les principes cités en haut, auxquels
s’ajoute celui de l’articulation et de l’indissolubilité du lien
entre les services financiers et non financiers. En effet, chaque
institution financière (actuellement il y’en a sept) « possède » un
magasin à coté qui, même si autonome du point de vue formel,
opère en étroite collaboration avec l’IMF de référence2 , afin
d’assurer les prestations mécanisées et la fourniture d’intrants
aux bénéficiaires de crédits au niveau de la mutuelle en début
de campagne. En même temps, à la fin de la campagne, c’est
toujours le magasin qui s’occupe de récupérer la production
agricole à un prix garanti (quand il s’agit de riz), pour la
commercialiser à la période de l’année où les prix sur le marché
sont plus intéressants. Le lien entre le crédit octroyé par l’IMF, la
fourniture des prestations et des intrants et le recouvrement en
nature du prêt est à la base du succès de la Mec Delta et des
autres six institutions. En plus de ces services, les magasins
octroient des subventions à la mutuelle durant les périodes de
crises. De ce point de vue, ils représentent fondamentalement un
bras économique pour la mutuelle.
Ce système offre des garanties majeures en termes de
recouvrement des crédits, efficacité des services, maitrise des
activités financées, durabilité des institutions concernées et il
a fortement influencé la proposition du modèle appuyé par
le PASA, qui voit les IMF cités, les magasins y afférant et les
organisations de producteurs travailler ensemble pour mettre à la
disposition des producteurs ce dont ils ont besoin pour produire
correctement.
Du fait de l’importance de l’expérience développée au niveau de
la Mec Delta, nous présentons ici de suite quelques éléments de
son historique et de son fonctionnement.
Créée le 13 mars 1993, la Mutuelle d’Epargne et de Crédit
du Delta (Mec Delta) a porté le prolongement de la lutte du
mouvement paysan du Delta pour un meilleur accès au crédit
des populations rurales de la localité. C’est à la suite de la crise
de la CNCAS et de la nécessité de développer un instrument
financier efficace, fiable et autonome que certains membres du
foyer de Ronkh ont décidé de s’organiser autour de la question
du financement de leurs exploitations agricoles, afin de trouver
des voix et moyens leur permettant de se prendre en charge.
C’est ainsi qu’environ 70 personnes appartenant au foyer ont
donné à l’époque une cotisation d’un sac de riz (le tout valorisé
à l’époque à 300.000 Fcfa) qui posera le premier acte donnant
naissance à un système de crédit revolving entre les membres
du groupe.
Le démarrage a été timide car les crédits octroyés étaient à la
limite dérisoire par rapport aux millions de l’ancienne institution.
Les dirigeants avaient une vision claire de la situation et ont ciblé
les « laisser pour compte » de l’ancienne institution : les jeunes et
les femmes. Les critères ne leurs permettant pas d’être éligibles,
ces derniers étaient de fait exclus des financements. La nouvelle
institution a donc démarré avec cette catégorie de clients, en
leur octroyant des crédits d’un montant moyen de 50.000 Fcfa.
Il faut se rappeler que le contexte de l’époque dans le Delta du
Sénégal était marqué par la crise du remboursement. Il fallait
dès lors faire comprendre aux producteurs qu’un crédit est pris
Au niveau de la Mec Delta de Ronkh, le magasin s’est constitué formellement avec le nom de Delta Agriculture et Solidarité (Deltagrisol).
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve - 15
pour être remboursé. A ce propos, des stratégies ont été mises
en place pour contraindre ces derniers au remboursement. C’est
ainsi que le remboursement en public à été initié. Il s’agissait
d’une mobilisation dans les marchés où les crédits sont effectués,
ainsi que les remboursements. Personne ne voulait être la risée
de la communauté et au risque de voir sa crédibilité entachée,
les emprunteurs étaient contraints de rembourser. Il faut en
outre remarquer que la Mec Delta a évolué de 1993 à 2000 dans
l’informel.
Elle a été agréée le 14 janvier 2000. Son territoire d’intervention
qui était jusque là circonscrit dans le village de Ronkh s’est élargi
à l’ensemble de la Communauté Rurale du même nom à partir
de 2002. Cette extension de son domaine d’intervention a été
possible grâce aux concours financiers favorisés par l’ASESCAW,
notamment celui du FPE (Fonds Promotion Economique)3 , qui a
permis à l’institution d’augmenter ses capacités de financement
de l’agriculture. La légitimité juridique de l’institution ouvrant des
nouvelles opportunités de refinancement et de parten ariat, la
Mec Delta s’est progressivement spécialisée dans le financement
de la riziculture, exploitant les niches de marché laissées par
les nombreuses crises du système de crédit étatique. Des
agences délocalisées dans le Département de Dagana ont été
ouvertes, afin de garantir le maximum de proximité aux activités
des producteurs et une couverture optimale de la zone cible. A
travers le financement du Gouvernement Italien et, à partir de
2008, grâce au PASA, la CISV en partenariat avec l’ASESCAW
a pu venir en aide à ce processus avec des investissements de
taille concernant la construction ou la réfection des sièges des
sept IMF du dispositif Mec Delta, tout en envisageant, sur le
moyen/long terme, la création d’un véritable réseau d’IMF de la
Vallée du Fleuve.
La Mec Delta et les autres entités qu’y sont liées ont pour
vision essentielle de devenir un système de financement rural
socialement et financièrement performant, capable d’offrir
des services financiers et non financiers diversifiés, en parfaite
adéquation avec les besoins de ses membres pour transformer
positivemen t le tissu économique local. Dans ce contexte,
la mission déclarée du dispositif Mec Delta est d’offrir des
opportunités de création de richesse aux couches démunies,
par l’appui à la création et au renforcement de micro entreprises
rurales, en mettant à leur disposition des services variés et
pérennes. Enfin, elle vise la réduction des goulots d’étranglement
du système de production, la réduction du taux de déperdition
du crédit et de la production, l’amélioration significative du
revenu du producteur et de son capital social et la sécurisation du
crédit et de son remboursement.
Une analyse approfondie du système dans les domaines clés qui
fondent le succès d’un système de crédit agricole et rural révèle
que :
• Le dispositif Mec Delta (toute IMF confondue) dispose
d’une assez bonne politique de ciblage des riziculteurs
avec la décentralisation des services dans des guichets de
proximité, une évolution positive et continue de la proportion
de riziculteurs dans le nombre de bénéficiaire annuel de
prêt (elle passe de 16,72% en 2005 à 39,06% en 2008) et
un encours de prêt moyen qui assure toujours la couverture
des besoins de crédit d’une exploitation rizicole de taille
acceptable (deux hectares) même s’il évolue en dents de
scie. La nature des garanties demandées et leur procédure
de formalisation sont en adéquation avec les capacités des
bénéficiaires.
• La gamme de produits et de services proposés aux
riziculteurs est diversifiée et prend en charge leurs besoins
majeurs relatifs à l’accès au crédit de production et de petits
3
équipement, l’accès au marché d’approvisionnement et
surtout aux prestations de services agricoles mécanisés
même si le monopole des CCA n’est pas du goût de certains
riziculteurs. Le mode de remboursement (riz paddy) est
en bonne adéquation avec la préférence des riziculteurs
et le suivi opérationnel de terrain donne des orientations
techniques importantes. Cependant, il n’y a pas encore une
bonne entente sur le prix au producteur avant le démarrage
de chaque campagne agricole.
• La gestion des risques liés à la stratégie d’intervention et à
la méthodologie de crédit s’améliore d’année en année. En
effet, de gros efforts sont déployés pour fixer un calendrier
cultural et veiller à son application. Ainsi, les intrants sont
libérés par tranche nécessaire au respect de ce calendrier.
De plus, le crédit est remboursé en riz paddy bord champ
avec prises en charge par les CCA des frais d’emballage et
de transport.
• Ce système, dont la mise en œuvre est un processus en
cours et en évolution, a montré d’importants acquis qui
peuvent être capitalisés pour des actions futures ou pour un
élargissement du modèle à d’autres zones.
• Les axes intéressés par le modèle touchent différents aspects
du monde rural, notamment :
1. la promotion et la mise en synergie d’acteurs issus du
monde paysan, à travers l’identification de mécanismes
institutionnels clairs et appropriés ;
2. l’importance attribuée à l’appui organisationnel et
institutionnel des acteurs locaux (OP, CCA, IMF) ;
3. la reconduction des principaux services à la production
agricole aux instances représentatives des intérêts des
paysans.
Surement, certains défis sont encore à relever par les IMF du
modèle, parmi lesquelles :
• L’appropriation : Même si les acquis sont palpables et que le
système productif de Ronkh ait révolutionné la culture du riz,
il ne demeure pas moins que certains trouvent sa diffusion
encore en dessous de leurs attentes. Certains usagers
pensent que la sensibilisation fait défaut, ce qui se répercute
sur le degré d’appropriation. Le projet PASA a joué un rôle
important dans la sensibilisation en mettant en place un
cadre de collaboration permanent ou les différents acteurs
(OP, IMF et CCA) se réunissent pour discuter des problèmes
du financement agricole.
• Les infrastructures de stockage, qui doivent être renforcées
pour baisser les couts d’accès aux intrants et pour limiter
l’isolement des certains groupements de producteurs qui
dénoncent des difficultés pour effectuer les déplacements
vers les magasins actuellement disponibles.
• La diffusion de la micro assurance : si à Ronkh le district
productif a pu agir sur les risques en amont et en aval de la
production grâce au système efficace mis en place, un autre
risque récurrent menace toujours la production rizicole dans
le Delta du fleuve Sénégal. Les risques naturels et au premier
rang desquels l’invasion des oiseaux granivores. En 2006, la
zone a enregistré une invasion d’oiseaux granivores qui ont
détruit prés de 70% de la production. A cette époque, la Mec
Delta était très engagé financièrement dans la campagne
car à partir de 2003 tous les indicateurs étaient performants
et les producteurs remboursaient correctement leurs
crédits. Ceci a amené la Mec Delta à accroitre son niveau
de financement jusqu’à atteindre 76% de son portefeuille.
Tout ceci à cause de la bonne articulation du système mis en
place qui a favorisé un bon taux de recouvrement du crédit.
Crée le 22 novembre 1991 par le gouvernement du Sénégal, le Fonds de Promotion Economique (FPE) est une institution autonome
dont la mission est de mobiliser des ressources à long et moyen termes auprès des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux qu’il
met à la disposition des banques commerciales et autres intermédiaires financiers pour assurer le financement des petites et moyennes
entreprises dans les différents secteurs de l’économie
16 -
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve
En 2006 donc, arriva l’invasion des oiseaux granivores qui a
causé des impayés massifs portant le portefeuille à risque à
36% avec des impayés traduits en perte.
Les IMF du dispositif Mec Delta ont pendant trois ans souffert
de cette situation. Grace à la mise en relation de la CISV avec
l’organisation néerlandaise Terra Fina, la Mec Delta a pu
participer à des cours de formation sur la micro assurance
agricole, qui est perçue comme la seule alternative crédible à
ces risques d’invasion d’oiseaux granivores. Ces types d’invasion
sont fatals à une institution financière, parce qu’ils anéantissent
l’épargne et attaquent le patrimoine de l’institution.
C’est ainsi que les IMF du dispositif ont commencé à réfléchir
sur les risques agricoles en général et les mécanismes de
prévention. Après réflexion, l’option de la mise en place d’une
mutuelle d’assurance agricole a été retenue. Seulement dans la
réglementation sénégalaise, il n’y a pas de micro assurance, le
code CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance)
ne le prévoyant pas. C’est pourquoi, l’idée a été de mettre en
place un fond de solidarité agricole à la place. Ainsi est né le fond
de solidarité agricole du Delta. L’objectif est d’arriver à en faire
une micro assurance agricole à long terme et pour cela il faudrait
que la réglementation évolue et permette ce type d’assurance.
• L’expérimentation du warrantage : les IMF du dispositif Mec
Delta se sont intéressées aussi au warrantage, qu’on peut
définir comme un système basé sur l’octroi de crédits
(d’une durée de 6 à 8 mois), dont la garantie est constituée
par un stock de produits agricoles. Des expériences très
intéressantes en la matière ont été développées par la CISV
au Burkina Faso.
Il s’agit en effet d’un système dans lequel un producteur (ou un
groupement de producteurs) met en garantie sa récolte pour
contracter un prêt auprès d’une IMF, pour lui permettre de
résoudre ses problèmes familiaux du moment ou de mener des
activités génératrices de revenues.
D’une manière générale, le warrantage vise comme objectif la
gestion optimale des productions agricoles par les populations
rurales, en travaillant sur deux dimensions :
a) Une dimension sociale en ce sens qu’il permet une sécurité
alimentaire par la disponibilité de céréales qui sont récupérés
par le producteur durant la période de soudure une fois le
crédit remboursé.
b) Une dimension économique parce qu’il permet aux
producteurs de rentabiliser leur production : disponibilité
d’argent à la récolte et meilleure vente de la production
quand les prix augmentent.
Le warrantage contribue ainsi à la réduction du phénomène
du bradage des récoltes, au financement d’activités de contresaison (embouche, maraîchage), à la réduction de l’endettement
en période de soudure, à la sécurité alimentaire en période de
soudure, à la stabilisation des prix des céréales4.
Les acteurs du modèle visent à exploiter les opportunités offertes
par le warrantage, afin de trouver une solution efficace dans la
commercialisation du riz et une première expérience pourrait
être la prochaine étape.
• L’éducation financière : pour la pérennisation du système
décrit auparavant, la Mec Delta compte sur la sensibilisation
des organisations de producteur sur une meilleure gestion
des risques liés au crédit à travers l’éducation financière.
• L’élargissement du système (réseautage des IMF) : les
acteurs présentés dans le cadre de la description du
dispositif Mec Delta ont aujourd’hui la volonté d’élargir le
4
5
système dans une zone géographique plus vaste, en incluant
des autres sujets qui œuvrent dans le même domaine
productif et culturelle. Ce dispositif Mec Delta « élargi » a
été appuyé par le projet PASA et a été basé sur les acquis
déjà en place et sur l’expérience maturée par l’ASESCAW
et la Mec Delta. Pour aboutir à ce réseau du Delta, il s’avère
nécessaire réaliser une large sensibilisation et adhésion de
toutes les parties impliquées sur les avantages de la mise en
place du réseau, mettre en place un cadre de concertation
entre les différentes structures concernées (IMF, CCA,
foyers/groupements villageois et ASESCAW) et favoriser les
échanges d’expériences entre les membres du cadre.
Les magasins/centres commerciaux agricoles (CCA)
Les centres commerciaux agricoles sont des entités de type
coopératif, qui prennent en charge des services à la production
fondamentaux, tels que l’approvisionnement et le stockage/
transformation/commercialisation, en ligne avec les besoins
et les contraintes des producteurs locaux. Les centres ont les
caractéristiques et disposent des outils nécessaires pour fournir
un service de qualité, adapté au milieu, durable et en synergie
avec les acteurs chargés de la production en tant que telle (les
OP) et les institutions chargées du financement rural.
A travers cette stratégie, l’exploitant est au centre des
préoccupations des acteurs du dispositif et peut bénéficier
des services dont il a besoin pour conduire avec succès son
exploitation agricole. Comme il a été souligné ci-haut, le
dispositif s’appuie sur une méthodologie de crédit par laquelle
tout le processus de mise en place du crédit est réalisé en nature
(semence, carburant pour les motopompes, engrais, herbicide)
ou sous forme de prestation de services agricoles mécanisés
(réfection des aménagements, offsetage, moissonnage, etc.) avec
les engins dont disposent les CCA.
La première de ces entités qui a commencé à fournir ces services
a été le Delta Agriculture et Solidarité (Deltagrisol), un GIE mis en
place en 2003. Il travaille en synergie avec la MEC Delta, lié à
celle-ci par une fonction de sécurisation du crédit et par le souci
d’offrir des services non financiers de proximité aux producteurs
membres de la mutuelle : approvisionnement en intrants,
prestations de services agricoles mécanisés, recouvrement de
la production en nature et la commercialisation des produits en
vue de solder tout compte. Son installation permet de sécuriser
l’investissement (garantir un bon rendement grâce à des intrants
de qualité et dans le respect du calendrier cultural) et d’assurer
une commercialisation satisfaisante de la production pour les
producteurs (en les protégeant des « bana bana5 »).
Au début, cette entité devait être un démembrement de la
mutuelle ce qui n’a pas reçu l’aval du Ministère des Finances,
qui trouve qu’une mutuelle ne peut chapeauter une structure
pareille. Cependant, la réglementation permet la possibilité de
création d’entités utiles par les membres d’un système financier
décentralisé. Cette disposition a été utilisée pour créer le
Deltagrisol.
Les autres IMF du dispositif Mec Delta (agences ou mutuelles
proprement dites) se sont, elles aussi, dotées dans les années
suivantes de CCA. Aujourd’hui, sept IMF et sept CCA sont ainsi
opérationnels, en ligne avec les principes du dispositif Mec Delta.
Par abstraction, nous pouvons considérer partie intégrante de ce
dispositif aussi la Centrale d’Approvisionnement et Prestation de
Services agricoles (CAPS), qui a été mise en place suivant un
parcours différent (avec un contrôle beaucoup plus direct de la
part de l’ASESCAW), mais qui est en train de se rapprocher aux
autres CCA, surtout du point de vue opérationnel.
In « Description de l’expérience de warrantage dans le sud ouest du Burkina Faso », CISV/Burkina Faso, 2010
Commerçants ambulants
CHAPITRE 4
L’articulation entre les acteurs du modèle
(OP, IMF, CCA)
18 -
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve
Une fois analysés le parcours et les caractéristiques essentielles
de l’ASESCAW et de ses foyers/groupements villageois, des
IMF et des CCA promus directement ou indirectement par l’OP,
il s’avère important considérer maintenant le modèle dans son
ensemble, en insistant sur les synergies qui le caractérise et sur
les avantages réciproques dérivant de cette collaboration. Nous
avons déjà souligné que les foyers/groupements villageois, les
IMF et les CCA sont des entités autonomes, issues du même
milieu, ayant des rôles différents dans le processus productif,
mais réalisant des actions complémentaires. D’une manière
générale on peut dire que les IMF représentent le bras financier
du dispositif, au service des membres des foyers/groupements
villageois de l’ASESCAW, mais aussi tout producteur local qui
décide d’y adhérer, alors que les CCA sont le bras économique.
Le foyer s’insère dans cette dynamique en assurant
l’encadrement technique des bénéficiaires des services de la
mutuelle. En d’autres termes, ils s’occupent de la production en
tant que telle.
Les foyers/groupements villageois ont une mission sociale
consistant à fournir des biens publics (construction de postes de
santé, activités de reboisement, promotion de la culture locale,
etc.), mais aussi une finalité d’appui à la production (renforcer
les capacités agronomiques et d’organisation des exploitants,
organiser les productions et assurer un suivi agronomique
des périmètres, faire une pression sur les IMF pour obtenir
des conditions meilleures d’octroi des prêts, accompagner
les exploitants dans l’entraide à travers des mécanismes de
garantie solidaire, etc.). Les producteurs sont motivés à adhérer
aux foyers du fait de ces fonctions. En outre, vis-à-vis des IMF,
les foyers/groupements villageois détiennent un grand atout,
pouvant garantir un suivi rapproché des activités agricoles
financées, en vue de la sécurisation du crédit. Pour les CCA, les
foyers/groupements villageois et leurs membres représentent
des membres/clients importants. Les IMF, par contre, ont des
objectifs de rentabilité et de pérennité financière pour satisfaire
durablement les besoins financiers de leurs membres, tout
en gardant les principes de la solidarité et de l’entraide. Les
IMF assurent le financement et une gestion correcte du crédit
emprunté par les membres (donc aussi ceux des foyers/
groupements villageois). Les IMF ont un rôle d’intermédiation
financière, c’est à dire collecter l’épargne des membres et
leur fournir du crédit qui soit adapté à leurs besoins. Dans
le cadre du dispositif, un contrat de prêt lie les IMF, leurs
magasins et l’exploitant (individuel ou collectif) par rapport au
décaissement et à l’approvisionnement par tranches en intrants
et des prestations mécanisées faisant l’objet du financement,
ainsi que les conditions de recouvrement. En annexe du contrat,
tous les éléments fournis à l’exploitant sont retracés, indiquant
les quantités, les prix unitaires, le montant total. Pour les IMF,
toujours à la recherche de solutions pour verrouiller le système
d’octroi de prêt du détournement d’objectif et préoccupées
de la bonne réussite de l’activité financée, la présence
d’organisations de producteurs efficaces comme les foyers est
une garantie importante. Par ailleurs, les couts soutenus par les
IMF de suivi des activités financées de cette manière baissent,
ce suivi étant en bonne partie assuré par les foyers mêmes.
En plus, la fonction des IMF ne se limite pas au financement
des campagnes, mais s’étend au refinancement des CCA. En
effet, ces derniers ont souvent besoin de liquidité pour l’achat
de nouveaux stocks d’intrants, de nouveaux engins ou d’autres
nécessités liées au développement de la structure. Ces besoins
peuvent être satisfaits par les IMF, qui sont en mesure (en
s’appuyant éventuellement sur le marché financier) de garantir
les fonds nécessaires.
Les CCA représentent le bras économique du système. Etant
chargés de gérer l’approvisionnement en intrants, de réaliser
les prestations mécanisées, de collecter et de stocker les sacs
de riz (paddy) sous forme de remboursement en nature du
crédit des IMF, de vendre le stock cumulé en fin de saison, les
CCA assurent une fonction essentielle, à plusieurs niveaux. D’un
coté, ils permettent l’approvisionnement à temps en intrants des
producteurs (celle qui constitue une des contraintes majeures
pour les paysans) et avec des produits de qualité. Cet aspect est
central soit pour le producteur, qui veut produire et rentabiliser
son crédit, soit pour l’IMF, qui veut voir le crédit octroyé
remboursé en fin de campagne. Par ailleurs, ces crédits sont
considérés comme étant remboursés dès que l’équivalence
en sacs de paddy est collectée et stockée dans les magasins/
centres commerciaux agricoles, sur la base d’un prix de
collecte établi en début de campagne entre les IMF, les OP, les
magasins/centres commerciaux agricoles et les exploitants.
Cet aspect est très important pour le producteur, qui n’est
pas obligé de brader sa production et/ou de perdre du temps
pour l’écouler. A la fois, le crédit étant ainsi remboursé, il peut
dans un bref délai prétendre à un nouveau crédit chez l’IMF
et démarrer rapidement une nouvelle campagne (la proximité
d’une campagne à l’autre étant un facteur de blocage pour
la plupart des producteurs). Les CCA sont aussi chargées de
commercialiser les produits stockés à une période favorable,
sur le marché national, pour avoir des gains plus intéressants
et rentabiliser l’opération. Après avoir vendu l’intégralité
du stock, les CCA transfèrent aux IMF le remboursement
en espèces du capital et des intérêts liés. Sur ses opérations
commerciales, les CCA réalisent des bénéfices considérables
(à peu près les 3% de la transaction financière). Annuellement,
une partie des bénéfices ainsi produits et des excédents des
IMF est utilisée pour subventionner certains investissements
(travaux d’extension des IMF, ouverture de nouveaux guichets
dans d’autres villages, aménagement de magasin et d’aires de
stockage, etc.) et pour faire des investissements à caractère
social, pour la communauté (activités pour les handicapés,
fourniture de moustiquaires imprégnées, équipement pour les
postes de santé, etc.). L’articulation entre les acteurs du modèle
peut être représentée comme suit :
CHAPITRE 5
Le Système d’information de marché (SIM).
Organisation, utilités et perspectives
20 -
Le contexte et les problématiques agricoles majeures de la Vallée du Fleuve
Depuis toujours, la question de la commercialisation des
produits agricoles et la pénétration des marchés constituent
pour l’ASESCAW une préoccupation majeure. Compte tenu
de la vivacité des marchés agricoles et des fluctuations
des prix, la disponibilité constante par le producteur
d’informations sur les prix et sur les demandes des produits,
peut lui permettre d’augmenter ses revenus, en choisissant
les solutions plus appropriées pour la production (quand
et quoi produire) et la commercialisation de ses produits
(où vendre). Pour cette raison, le Système d’information de
Marchés (SIM) est considéré un outil important et qui peut
s’adapter aux nécessités et aux caractéristiques de la zone
cible. Produire, c’est une chose, mais avoir un marché où
écouler en est une autre. Cette phrase à caractère de slogan,
doit orienter les acteurs locaux, afin que les producteurs
puissent valoriser leur production et réellement vivre de
leurs activités.
Ce système vise à mettre en place un dispositif de collecte,
de traitement et de diffusion des informations qui peuvent
donc favoriser l’élaboration de stratégies commerciales
et la prise des décisions appropriées par l’ensemble les
producteurs.
Même s’il est difficile de couvrir de vastes zones avec un
réseau de points focaux et de financer le SIM sur le long
terme, il s’agit d’un système d’information agricole qui peut
bien s’adapter aux besoins des producteurs et qui doit être
pris en charge pour son implantation par les organisations
paysannes qui maitrisent les territoires et les besoins en
information.
Dans le cadre du PASA, l’ASESCAW et la CISV se sont
inscrites dans une dynamique d’expérimentation du
système, en mettant en place un mécanisme de transmission
d’informations et d’affichage de données relatives aux
produits agricoles, tels
que le riz et les produits maraichers, répartis au niveau des
différentes zones.
Dans le souci de garantir aux producteurs des services de
qualité, le Système d’Information de Marché (SIM) permet
aussi d’améliorer les échanges d’informations sur les
évolutions du marché (prix, intrants, quantités, sites, etc.)
et de renforcer les capacités techniques des organisations
de producteurs. Les actions d’appui à la commercialisation
sont basées sur la mise en place d’une cartographie des
grandes zones de production et de mise en marché, outre
que des conseils aux producteurs. Ce dispositif se base sur
une observation permanente des tendances des marchés
et sur une information des producteurs sur les opportunités
offertes, ceci en relation avec la programmation de la
production.
Afin de mettre en place le SIM, des étapes ont été réalisées :
- détermination des besoins informatifs des producteurs;
- enquête auprès des agriculteurs pour déterminer le
type d’informations souhaitées et quels produits inclure
dans le système;
- identification des marchés et des points de collecte des
informations
Outils pour l’organisation des services agricoles de proximité en faveur des producteurs de riz - 21
- installation et équipement de Points Focaux et choix des
personnes chargées de leur gestion;
- identification des personnes ressources qui ont la tâche
de récolter les informations
Le dispositif consiste à l’utilisation des magasins de la zone
qui servent de points focaux du système. La première phase
a été entamée avec un nombre de dix points distribués dans
tout le Département de Dagana, ce qui a permis d’avoir des
produits divers et variés et des informations significatives
sur les prix.
Chaque point est doté d’un téléphone portable et d’un
tableau d’affichage des informations. Le système se base sur
la transmission des informations par téléphone, gérée par
une personne ressource interne (opérateur) de l’institution
propriétaire, identifiée à cet effet. La personne identifiée
a été aussi formée sur les procédures de fonctionnement
établies à l’intérieur d’un manuel, partagé entre tous les
acteurs du système.
Chaque point focal détient le répertoire téléphonique de
tous les points du « réseau ». Ainsi s’établie la connexion. Le
circuit de l’information démarre des personnes ressources
qui remontent les informations sur les prix et les produits
(apprises auprès des marchés et des producteurs de la
zone) aux points focaux. Cet échange d’informations des
personnes ressources aux responsables des points focaux
se réalise de manière orale (compte tenu de la proximité
entre les marchés et les structures identifiées) ou par SMS.
Les points focaux remontent ensuite l’information au centre
du système en utilisant les téléphones portables ou, si
possible, l’internet.
Une fois collectées et consolidées, les données complètes
sont envoyées à nouveau aux points focaux qui mettent enfin
à jour le tableau d’affichage.
A la fin de ce cycle de passage d’information, les producteurs
et commerçants peuvent disposer, au niveau des tableaux
d’affichage de chaque point focal, des données dont ils ont
besoin concernant les produits de leur localité et d’ailleurs.
Les informations que le système permet de collecter sont
donc les suivantes:
• Demande et offre des produits (y compris les intrants) ;
• Stocks disponibles au niveau des différentes zones ;
• Prix de marché.
Le centre du système étant au niveau de l’organisation
paysanne, elle est chargée du dispatching de l’information
vers les points focaux et elle doit jouer le rôle de référent
pour tous les acteurs qui participent au SIM et pour tous
les sujets qui peuvent être intéressés par le système,
étant donc le canalisateur pour ce qui concerne sa zone
d’intervention. Compte tenu de leur rôle dans le cadre
de la commercialisation de la production et des intrants,
l’implication des CCA dans le dispositif est en cours
d’évaluation.
CONCLUSION
Le PASA s’est activé dans le renforcement d’un modèle,
qui, en tenant compte du contexte socioéconomique
de la localité et à partir des principales contraintes
identifiées et des besoins exprimés par les bénéficiaires,
présente des caractéristiques fortement innovantes. En
effet, l’action proposée a visé la structuration efficace et
efficiente des organisations de producteurs les mieux
enracinées dans le Delta, pour qu’elles puissent fournir
un appui de qualité aux paysans dans la réalisation et
la gestion des activités agricoles, en représentant mieux
les intérêts vis à vis des autres instances économiques,
financières et politiques, et collaborer d’une façon
plus efficace avec les autres acteurs commerciaux et
financiers émanant de la même base, pour identifier des
solutions partagées.
De l’autre coté, les IMF et les CCA, composés en grande
partie par les mêmes membres des organisations de
producteurs, améliorent au fur et à mesure leur niveau
de performance grâce à des capacités gestionnaires,
organisationnelles et financières assez élevées. Si
l’autonomie de ces deux typologies d’acteurs a été
toujours assurée, la collaboration et les synergies
qu’ils ont développées au cours du projet ont permis
d’améliorer l’environnement socioéconomique à
l’intérieur duquel le paysan s’active. Les facilitations
dans l’accès au crédit, l’établissement d’un circuit
d’approvisionnement et de commercialisation bien huilé,
la définition d’un calendrier cultural et d’outils de suivi
efficaces, représentent des exemples importants des
résultats de cette collaboration.
L’ASESCAW, accompagnée par la CISV, est aujourd’hui
en train ainsi de promouvoir un modèle productif/
organisationnel claire et innovateur, qui rompt avec
certaines mauvaises pratiques du passé (financement,
organisation de la production, commercialisation, etc.).
Les organisations de producteurs sont en train de redéfinir
leur mandat et leur structure, en s’activant pour arriver à
une production agricole de qualité. Les services fournis
à leurs membres, au niveau de l’organisation du travail
sur le périmètre, de la gestion des biens et des activités
communes (aménagement des périmètres, gestion de la
motopompe, achats groupés, négociation des conditions
d’emprunt du crédit, vente en stocks, etc.), permettent
aux paysans (surtout les plus démunis) de dépasser les
principaux problèmes auxquels ils sont confrontés.
On souligne également l’existence d’un « potentiel
associatif » énorme au niveau de l’ASESCAW, de ses
foyers/groupements villageois, des CCA et des IMF.
Le partage de problématiques et la recherche de
solutions innovatrices, mais aussi adaptées à la localité,
représentent des atouts forts que les membres de ces
institutions développent à travers leur participation.
S’agissant d’institutions démocratiques et mutualistes,
elles assument le rôle de promotrices des intérêts de
ses membres. A travers une action complémentaire
et synergique au niveau du cycle productif, elles
permettent aux paysans d’avoir une mainmise forte sur
les différentes phases de la production et de bénéficier
davantage de la valeur ajoutée de toute la chaîne
productive.
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