SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Les Actes du Colloque Synthèses des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 + d’efficacité +d’impact + d’investissement Avant-propos 4ème édition du Forum annuel Convergences 2015 C onvergences 2015 et ses partenaires ont le plaisir de partager avec vous les Actes du Colloque 2011, qui s’est tenu du 3 au 5 mai 2011 à l’Hôtel de Ville de Paris. Initié par ACTED, le Crédit Coopératif et la Mairie de Paris, avec le soutien de plus de quarante partenaires, le Forum Convergences 2015 a réuni pendant 3 jours près de 3500 acteurs français et internationaux autour d’un objectif commun : contribuer à l’émergence de nouvelles solidarités dans le Nord et le Sud pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Opérateurs publics, acteurs du secteur privé (des multina- tionales aux entrepreneurs sociaux) et représentants de la société civile ont échangé idées, expériences et perspectives sur la manière dont nous pouvons, ensemble, mieux investir et agir contre la pauvreté. Ils ont confronté leurs points de vue sur les pratiques, les financements et les partenariats innovants pour contribuer à une réduction durable de la pauvreté. Les 3 jours de discussion lors du Forum ont abouti à l’ émergence d’un consensus pour un développement de nouveaux financements pour la solidarité internationale, un changement d’échelle de l’entrepreneuriat social et pour une microfinance plus responsable, avec le lancement de l’Appel de Paris (www.appeldeparis.org). La diversité des partenaires engagés, les propositions des 200 intervenants, l’ expertise des acteurs de la microfinance, de l’entrepreneuriat social, de l’ économie sociale et solidaire et de la coopération internationale, la contribution des 3500 participants (professionnels, étudiants et citoyens engagés), et le dialogue entre acteurs du Sud et du Nord ont fait du Forum Convergences 2015 le Davos français des nouvelles solidarités. Ces journées représentent une occasion unique d’initier des rencontres et des échanges inédits entre des acteurs et des univers différents, qui se croisent peu, mais qui sont tous réunis par la volonté de proposer des solutions innovantes pour initier un développement plus équitable . Convergences 2015 contribue ainsi à améliorer l’action, l’articulation et l’impact des multiples acteurs engagés pour un monde plus solidaire. Fort du succès des précédentes éditions du Forum, Convergences 2015 est aujourd’hui devenu une plateforme européenne permanente d’échanges et de synergies pour une nouvelle économie sociale, plus efficace, attirant plus d’investissements et générant plus d’impact. Nous tenons à remercier l’ensemble des partenaires et des participants qui, par leur soutien et leur enthousiasme, ont fait le succès du Forum Convergences 2015. Nous vous souhaitons une bonne lecture des Actes du Colloque 2011 et vous donnons rendez-vous en 2012 pour la 5 ème édition du Forum Convergences 2015 et dès aujourd’hui, sur notre site internet (www.convergences2015.org), où vous pourrez contribuer, jour après jour, à l’émergence de nouvelles solidarités pour un développement plus durable. L’ équipe Convergences 2015 Sommaire Principaux enseignements du Forum................................................................................................................................... p.6 Première partie : Conférences générales.............................................................................................................................. p.9 • Séance d’ouverture............................................................................................................................................... p10 • « Où commence la fin de la pauvreté ? » Conversation avec Hernando de Soto................................................ ....p.15 • La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ?.................................................................................... p.18 • Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015 ................................................. p.22 • Responsable pour le futur : repenser le capitalisme............................................................................................. p.25 • L’économie sociale est-elle au cœur ou à la marge de l’économie de marché ?.................................................... p.28 Deuxième partie : Améliorer les pratiques......................................................................................................................... p.31 • Commerce et pauvreté : quelle connexion ?........................................................................................................ p.32 • Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ?................................................................................... p.37 • La triple bottom line , nouveau modèle ou utopie ?............................................................................................. p.41 • Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : discussion sur les bonnes pratiques ............................ p.44 • Une comparaison des définitions de l’économie sociale dans différents pays...................................................... p.48 • Création d’emploi et de revenu pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ?.................................................. p.51 • Changement d’échelle : quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ?............................. .....p.55 • Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable, une IMF et une ONG : labels, objectifs et dérives................................... p.58 • Du Sud vers le Nord : la reproduction de méthodes et de pratiques pour répondre aux problématiques sociales ................................. p.62 • BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide....................................... p.65 • La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études................................................................................... p.68 3. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Sommaire • Microfinance plus : comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres?.................. p.72 • Au-delà de la microfinance : développer les chaînes de valeur et le revenu......................................................... p.77 • Branchless Banking : comment ça marche ?......................................................................................................... p.79 • La crise de la microfinance en Inde : quelles perspectives ? ................................................................................ p.82 • Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance. Vers une labellisation des IMF............................................................................................................................. p.85 • Pour une finance rurale et agricole opérationnelle.............................................................................................. p.89 Troisième partie : Améliorer les investissements................................................................................................................ p.93 • Impact de la finance carbone sur l’aide au développement................................................................................. p.94 • Plus d’échanges entre ONG et secteur privé : quand, comment, pourquoi ?......................................................... p.99 • Comprendre l’émergence de l’ impact investing : rapport de J.P.Morgan et de la Fondation Rockefeller............. p.103 • L’ aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ? Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle........................................................................... p.108 • Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ?...................... p.112 • Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité................................................... p.116 • Investir dans une entreprise sociale : quelques enseignements de différents impact investors ......................... p.120 • Quelles formes de financement innovant pour développer les entreprises sociales?......................................... p.124 • Plus de responsabilité et plus d’impact : enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance..................................................... p.127 • Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres: faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité........................................................... p.131 • Microfinance et coopération décentralisée........................................................................................................ p.134 4. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Sommaire Quatrième partie : Améliorer l’impact.............................................................................................................................. p.138 • Impact collaboratif : comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social? ....................... p.139 • Quelle gouvernance locale pour quel impact ?.................................................................................................. p.143 • Discussions sur les méthodes et techniques d’évaluations d’impact.................................................................. p.148 • Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ? ...................................... p.151 • Mesurer la performance sociale des IMF : bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating............................... p.154 Conclusion : Séance de clôture......................................................................................................................................... p.159 5. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Principaux enseignements du Forum L’ économie au service du développement et de la lutte contre la pauvreté : quels enjeux ? C onvergences 2015 a été créée pour encourager les acteurs publics, privés et solidaires des pays du Nord et du Sud à travailler ensemble pour contribuer à un développement économique, social et environnemental durable, dans la lignée des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le 4ème Forum annuel a permis de souligner l’importance de la mise en synergie de tous les acteurs, au-delà de leurs divergences de points de vue et de pratiques, afin de maximiser l’impact social, dans les pays en développement, mais aussi au Nord où la pauvreté et l’exclusion persistent sous des formes différentes. Le Forum a consacré la plupart de ses débats à l’entrepreneuriat social et à la microfinance, tout en faisant le lien avec l’ économie sociale et solidaire dans les pays développés et les ONG dans les pays en développement. Des enjeux communs à l’ensemble de ces secteurs ont été mis en exergue : 1. Comment faire face à la multiplication et à la diversification des demandes auxquelles ni le secteur privé traditionnel ni les pouvoirs publics ne répondent ? Où trouver les moyens humains et financiers pour répondre à ces besoins ? 2. Comment faire face à la croissance exponentielle de ces secteurs et au changement d’échelle des organisations sans risquer de remettre en cause leurs fondamentaux, l’attachement aux objectifs sociaux de l’activité, les modes de gouvernance, la capacité à innover et à s’adapter aux contextes locaux ? 3. Comment mieux mesurer l’impact social de l’activité ? Comment tirer parti des évaluations sociales pour améliorer la transparence, notamment vis-à-vis des investisseurs et des bailleurs, et améliorer les pratiques ? 4. Quels sont les échanges possibles entre acteurs du Nord et acteurs du Sud ? Les pratiques développées dans les pays du Nord peuvent-elles être adaptées au Sud ? Les innovations apparues dans les pays du Sud pour lutter contre la pauvreté peuvent-elles inspirer les pratiques des acteurs de l’entrepreneuriat social et de l’économie sociale et solidaire au Nord ? A ces enjeux partagés s’ajoute une tension fondamentale, qui traverse spécifiquement les secteurs de la microfinance et de l’entrepreneuriat social : comment faire coexister l’impératif de rentabilité économique et les objectifs sociaux et sociétaux des entreprises, à l’heure où cette tension est exacerbée par l’importance croissante des financements privés ? Entrepreneuriat social et acteurs solidaires, dans les pays du Nord et du Sud L’ économie solidaire pose les fondements d’une économie différente de l’économie de marché, qui s’inscrit dans le secteur privé et repose sur un modèle économique viable, mais cherche parallèlement à avoir un impact positif sur la société, qu’il soit social ou environnemental. Les entreprises sociales deviennent un acteur clé de la solidarité au Nord et de la coopération internationale. Parallèlement, associations et ONG développent des actions économiques en lien avec leur cœur de métier social. Soutenir l’économie locale et la création de revenus apparaît en effet comme un gage de pérennité des actions sociales mises en œuvre. Entrepreneurs sociaux et acteurs solidaires sont donc amenés à se croiser de plus en plus fréquemment et à travailler ensemble sur des problématiques partagées. Trois enjeux principaux ont été mis en lumière : les bonnes pratiques, le financement et l’impact. Plusieurs conditions du succès de l’entrepreneuriat social ont été soulignées, qui sont pertinentes tant dans les pays du Nord que dans les pays du Sud : • appréhender les besoins économiques et sociaux de manière transversale, • faire travailler ensemble les acteurs privés, solidaires et publics en mettant à profit l’expertise et les compétences spécifiques de chacun, • envisager les projets sur le long terme, • mettre en place des mesures d’évaluation de l’impact social. En termes de financement, la mobilisation des fonds privés apparaît comme un enjeu fondamental. Ces financements privés peuvent prendre des formes variées, allant de la philanthropie classique (dons, subventions) aux différentes formes d’investissements sociaux (impact investing, investissement dans la microfinance ou l’entrepreneuriat social, investissement en capital patient…), en passant par de nouveaux types de philanthropie individuelle (plateformes de prêt en ligne pour les micro-entrepreneurs,etc.). L’ évaluation de l’impact social et la mise en place d’un reporting régulier constituent un enjeu fondamental pour assurer une plus grande efficacité dans l’action sociale et consolider la confiance avec 6. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements le donateur / investisseur afin d’encourager la philanthropie et les investissements privés. Enjeux et perspectives pour la microfinance La microfinance connaît aujourd’hui une crise profonde, caractérisée par des situations de surendettement des emprunteurs et par la faillite du système économique de certaines institutions de microfinance (IMF). Cette crise a mis en lumière des dérives et des comportements irresponsables de la part de certains acteurs et des faiblesses inhérentes à un secteur en pleine mutation : défauts de conception et de méthodologie, manque de transparence, régulation insuffisante du secteur, etc. Le Forum a permis de mettre en valeur des solutions pour assainir le secteur de la microfinance. Il s’agit d’abord de renforcer la gouvernance et la régulation du secteur : • recentrer la microfinance sur sa mission sociale, • diffuser des standards de bonnes pratiques, • généraliser les mesures de la performance sociale, • mettre en place une régulation et une supervision efficace des IMF par leurs pairs et par la puissance publique. Il apparaît également nécessaire d’innover en termes de méthodologies et de produits, notamment en diversifiant l’offre de produits proposés par les institutions de microfinance. Au-delà de la question de la crise de la microfinance, les débats ont souligné les mutations récentes du secteur, qui doit faire à la multiplication et à la diversification des demandes et des besoins des populations. De nouvelles pratiques ont été présentées : • de nouvelles méthodes de distribution des services financiers (branchless banking, mobile money), • des produits financiers nouveaux (microfinance adaptée au secteur rural et agricole, services liés aux transferts de fonds des migrants), • des dispositifs qui visent à accompagner la microfinance par des actions économiques et sociales complémentaires, menées en lien avec des acteurs publics et solidaires, pour décupler son impact social (autonomisation progressive des personnes pauvres, chaînes de valeur). Alors que la crise financière et économique mondiale perdure et que le capitalisme et l’économie de marché font l’objet d’interrogations croissantes et de remises en cause, comment l’économie solidaire peut-elle éclairer ces débats fondamentaux sur le système économique mondial ? Plusieurs principes clés pourraient inspirer une refondation de l’économie : la prise en compte des dimensions sociales et environnementales aux côtés des dimensions économiques, l’accent mis sur le long terme et la promotion des partenariats entre acteurs issus de différents secteurs. En réunissant une diversité d’acteurs privés, solidaires et publics, le Forum Convergences 2015 a en effet révélé que les attentes, les besoins et les ressources de chacun pouvaient se rencontrer, se répondre et se combiner, afin de proposer des solutions et des initiatives innovantes aux défis économiques, sociaux et environnementaux urgents de notre siècle. 7. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Merci aux partenaires de Convergences 2015 Une initiative de Partenaires Principaux Partenaires Associés Partenaires Soutiens mise en Partenaires Média SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 Première partie Conférences générales + d’efficacité +d’impact + d’investissement Session d’ouverture du 4ème Forum Convergences 2015 Séance plénière // Général Modérateur François de Witt Président, Finansol Intervenants Pierre Schapira Adjoint au Maire de Paris chargé des Relations Internationales, des Affaires Européennes et de la Francophonie Andris Piebalgs Commissaire pour le développement, Commission européenne Jean-Louis Bancel Président, Crédit Coopératif Henri de Raincourt Ministre chargé de la Coopération Frédéric Roussel Co-fondateur, Acted Résumé analytique La tribune d’ouverture de la 4ème édition du Forum Convergences 2015 réunissait les représentants au plus haut niveau des acteurs publics, privés, associatifs partenaires du Forum, et des décideurs politiques français et européens. Elle s’est exprimée devant une assistance particulièrement nombreuse. Les intervenants ont présenté les grands axes de leur politique de développement respective, les projets en cours et les réalisations concrètes. Tous ont réaffirmé leur souhait d’agir sous le signe des convergences : public – privé, social – économique, Nord – Sud, qui sont le cœur-même du Forum. Pour Pierre Schapira, les villes ont un rôle à jouer dans le soutien au microcrédit et à l’entreprenariat social, qui peut prendre de multiples formes : information, formation, amélioration de l’environnement administratif et fiscal, bonne gouvernance ou encore transfert de compétences. Pionnière en la matière, la Mairie de Paris préconise également d’intégrer des volets de soutien au microcrédit aux projets de coopération et de développement traditionnels des villes, comme elle le fait pour son action en Afrique auprès des personnes touchées par le VIH, afin de renforcer l’efficacité des actions de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Après avoir rappelé l’engagement de longue date du Crédit Coopératif, « banque utile » au service de l’économie réelle, JeanLouis Bancel présente les récentes initiatives du Crédit Coopératif en matière de financements innovants, avec une forte dimension internationale. Il annonce notamment la création de la première Contribution Volontaire sur les Transactions de Change, au profit d’associations d’aide au développement. 10. Convergences 2015 Frédéric Roussel salue le choix d’annoncer cette initiative au Forum Convergences 2015, en pleine cohérence avec les motivations initiales d’en faire un lieu de rencontre, de partage et d’échange, mais aussi un lieu de construction. L’enjeu de ce Forum est de faire résonner et rendre visibles les « mille sentiers de l’avenir », illustrant les multiples convergences construites dans un intérêt commun, et d’appeler les pouvoirs publics à optimiser leurs efforts pour l’action sociale et l’aide au développement. Andris Piebalgs présente alors les grands chantiers de la politique européenne de développement. A travers une vaste consultation visant à améliorer les modalités d’action de l’aide européenne, la Commission confirme son engagement pour la réalisation des Objectifs du Millénaire. Cet engagement passe notamment par un renforcement des complémentarités (Etats/Commission et Public/Privé), une meilleure identification des secteurs et pays cibles, et par l’encouragement des réformes politiques, sociales et économiques des pays aidés. Henri de Raincourt partage les propos d’ Andris Piebalgs sur la complémentarité nationale et européenne, et conclut la séance d’ouverture en présentant les points marquants de la politique française de l’aide au développement. La volonté de la France de respecter ses engagements, et notamment en faveur des Pays les Moins Avancés (PMA), est mise en avant, et à l’occasion de la présidence du G20 et du G8, la France réaffirme la nécessité de mettre en place des financements innovants. Enfin, à l’heure des grands changements géopolitiques de la zone méditerranéenne, il devient essentiel de mieux prendre en compte les aspirations des sociétés civiles dans les stratégies d’aide au développement. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse La Ville de Paris s’intéresse particulièrement au rôle des villes dans le microcrédit et le social business, nous dit Pierre Schapira. L’ étude « Coopération décentralisée et microfinance » réalisée cette année par Cités Unies France et ACTED fait suite à la conférence organisée sur ce thème l’an passé. Les villes peuvent d’une part informer et former les micro-entrepreneurs locaux et les administrations municipales, et d’autre part financer les formations pour le montage de dossiers de microcrédits et l’utilisation des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Elles fournissent des données sur les secteurs économiques porteurs, sur les politiques d’économie familiale et d’assistance sociale, et veillent au développement de la bonne gouvernance locale. Elles peuvent en outre créer un environnement global favorable, par la simplification des procédures administratives, la réduction des taxes locales, la création de pépinières d’entreprises ou encore le développement de crédits municipaux. C’est notamment le cas à Paris, où le Crédit Municipal, après avoir organisé le microcrédit personnel pour les ménages les plus défavorisés, se tourne maintenant vers les pays en développement. De nouvelles formes de coopération se développent, à l’instar de l’organisation d’une récente levée de fonds pour le financement de microcrédits en faveur des artisans de la ville tunisienne de Sejnane. Ainsi, et bien que cela ne soit pas leur cœur de cible, les villes peuvent inclure la microfinance dans leurs projets traditionnels, et le rendre pleinement compatible avec leur politique de développement. La Ville de Paris mène notamment une grande action pour la lutte conte le Sida en Afrique, avec les autorités locales et les ONG. En complément des soins et de l’accompagnement psychologique et social des populations concernées, l’accès au microcrédit permettrait de lutter contre la discrimination à l’emploi et à l’exclusion socio-économique liée à la maladie, en redonnant du travail, une dignité et des revenus. La demande de la part des ONG et des autorités locales est forte, et c’est une voie dans laquelle la Ville souhaite s’engager. Un autre constat dressé par Pierre Schapira est de voir le nombre croissant de jeunes intéressés par le microcrédit et le social business, qu’il s’agisse des jeunes diplômés en France ou des jeunes des pays en révolte : ceci incite à repenser la coopération. Les efforts doivent également être orientés vers l’épargne des migrants qui représente quatre fois le montant de l’Aide Publique au Développement (APD). C’est le sens du Label Co-développement Sud lancé par la Mairie de Paris il y a 6 ans, avec les associations de migrants, dont le travail est jugé remarquable. De nombreuses pistes de travail sont donc encore à inventer, pour faire face à une pauvreté planétaire qui touche tout particulièrement les jeunes et leur accès à l’emploi au Nord comme au Sud : la microfinance et le social business ouvrent des perspectives d’avenir nouvelles, qui doivent être explorées. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière Jean-Louis Bancel nous parle du Crédit Coopératif qui est fier et honoré d’être à nouveau, et depuis longtemps, partenaire du Forum Convergences 2015. Le Crédit Coopératif est en effet la banque du secteur de l’Economie Sociale et Solidaire, des associations, fondations, coopératives, mutuelles, mais aussi des entrepreneurs sociaux, et des PME - PMI au cœur de l’économie réelle. Cette notion d’économie réelle est importante pour ce Forum, qui va cette année accueillir plus de monde encore que les années passées, et qui sera avant tout un forum de la société civile pour débattre et échanger. Pour Jean-Louis Bancel, nous sommes dans une période charnière de « renversement du monde » : au 18ème siècle, les élites avaient permis la prise de conscience et la fabrication de la société civile. Aujourd’hui - en témoignent par exemple les très prochains Etats Généraux de l’Economie Sociale et Solidaire organisés par Claude Alphandéry - la société civile s’exprime, et pourra éclairer ceux qui nous dirigent. C’est l’essence du processus démocratique, et le fruit d’un travail d’élévation culturelle et technique de la société civile. Dans ce contexte, le Crédit Coopératif se définit comme une banque utile à ceux qui veulent faire bouger leur monde. Le métier de banquier est de faire circuler l’argent utilement pour les projets de ses clients, qui plus est dans une banque coopérative. C’est un devoir d’être d’abord à l’écoute et de répondre à une attente. Pour cela, le Crédit Coopératif est notamment pionnier et leader dans les produits d’épargne solidaire et de partage, dans le microcrédit professionnel et personnel. De façon concrète, plusieurs initiatives illustrent cet engagement : • Il y a quelques semaines, la Fédération Européenne des Banques Ethiques et Alternatives (FEBEA) lançait le projet Europe Active, avec le soutien de la Commission européenne. • Avec le développement très actif du fond CoopEst, destiné à soutenir les institutions de finance et d’assurance coopératives, mutuelles et de microfinance dans les pays d’Europe de l’Est, le Crédit Coopératif réfléchit et travaille à un projet de fonds CoopMed , pour le bassin Méditerranéen. • 2012 sera l’année internationale des coopératives : au sein de l’Alliance Coopérative Internationale, et notamment avec le concours de la Cooperative Bank en Grande-Bretagne, la banque travaille au lancement d’un fonds mondial pour la promotion des coopératives, particulièrement dans les pays qui n’en ont pas suffisamment. • La dernière initiative est annoncée pour la première fois à l’occasion du Forum : le Crédit Coopératif a mis en place pour lui-même depuis le 1er mars une contribution volontaire sur ses transactions de change. C’est ainsi 0,01% de chaque transaction qui sera prélevé, sans en affecter les clients. Cette contribution devrait s’élever à 100 000 euros en année pleine au profit d’associations d’aide au développement . Session d’ouverture du 4ème Forum Convergences 2015 11. Ces initiatives, qui confirment un engagement de longue date du Crédit Coopératif, font écho à une tribune signée récemment dans le Monde par le Ministre de la Coopération avec le président de la Banque Africaine de Développement, ainsi qu’au rapport Landau demandé par le Président Chirac sur les financements innovants. Jean-Louis Bancel souhaite ainsi que le Crédit Coopératif, en plus d’être une banque utile pour ses clients, permette également, sans intention de donner de leçons, de faire changer et bouger le monde des banquiers. Frédéric Roussel est très heureux que l’initiative du Crédit Coopératif soit annoncée à Convergences 2015, confirmant ainsi l’objectif initial du Forum lancé par ACTED il y a quatre ans. Il est important de ne pas travailler uniquement sur les conséquences mais aussi et surtout sur les causes. Et la cause fondamentale qui sous-tend l’action humanitaire d’ACTED est l’inégalité et la difficulté d’accès au revenu et au travail. Il devenait donc important d’agir également sur le capital humain en plus de l’action d’urgence. Le professeur Muhammad Yunus donne à ce sujet une image très claire : la même graine peut donner un arbre de 50 mètres de haut, ou un bonzaï, en fonction du lieu où on la plante. A potentiel égal, le contexte peut limiter ou au contraire encourager la croissance. Pour intervenir sur cette notion de capital humain, Frédéric Roussel met en avant 5 idées fortes : • Le débat pour un monde plus juste et plus solidaire concerne tout le monde et pas uniquement les acteurs spécialisés. Il doit être global, avec les citoyens, les acteurs économiques, le monde associatif et les décideurs politiques. • Il faut essayer de dépasser les clivages Nord/Sud et social/economique. Il n’y a finalement pas tant de différence entre la précarité en région parisienne et la pauvreté dans le Sahel. In fine, c’est la même absence de revenu qui pose problème. De même, il faut renforcer l’interaction entre le social et l’économique, car il y a une porosité forte entre ces 12. Convergences 2015 deux parties d’un même cerveau. La microfinance, par laquelle ce Forum a débuté, est la tentative la plus emblématique de concilier une démarche à la fois sociale et économique. L’entrepreneuriat social, et de façon plus timide la Responsabilité Sociale des Entreprises, cherchent également à redistribuer en créant de la richesse, et ainsi à faire bouger la frontière entre économique et social pour en renforcer l’interaction. • Beaucoup d’outils se construisent en ce sens, et le Forum s’est élargi à ces outils : la microfinance, l’entrepreneuriat social, l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), etc. Il est important que tous ces secteurs communiquent entre eux et travaillent ensemble. • Il est nécessaire d’avoir un lieu pour converger : pour que les gens se rencontrent, se rendent compte des initiatives et des dynamiques existantes, et puissent échanger. Il ne s’agit pas de construire des autoroutes, mais plutôt une multitude de pistes, et de réfléchir dans ce Forum aux « mille sentiers de l’avenir », qui sont autant d’initiatives qui contribuent à un but commun. • L’action des pouvoirs publics reste très importante. Nous devons, d’une part, tous appeler les pouvoirs publics à maximiser leurs efforts en matière d’aide au développement et d’action sociale. D’autre part, il faut continuer à travailler ensemble, à dialoguer afin d’améliorer les conditions d’intervention des acteurs du développement, et permettre aux pouvoirs publics d’accompagner mieux encore les initiatives qui ne sont pas toujours visibles pour eux. Le Forum Convergences 2015 a vocation à devenir cette interface. Ces cinq principes ont guidé la création du Forum il y a quatre ans et continuent de le faire pour cette nouvelle édition. Frédéric Roussel remercie chaleureusement les partenaires du Forum : tout d’abord la Mairie de Paris, devenue partenaire en plus d’accueillir le Forum, et le Crédit Coopératif, soutien fidèle ; puis les 40 partenaires de cette édition, qui peut-être montreront la voie à de nouveaux par- Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements tenaires encore ; enfin, la centaine de personnes qui ont participé aux groupes de travail du Forum pour monter les conférences, ainsi que tous les participants et intervenant du Forum venus converger. Andris Piebalgs remercie en premier lieu d’avoir été invité devant cette audience, la plus importante depuis son début de mandat il y a un an et demi. Il présente ensuite de manière plus large les grands chantiers de la politique européenne de développement. La situation mondiale actuelle interpelle sur notre capacité à lutter efficacement contre la pauvreté et contre le terreau des instabilités, des conflits et des violations des droits de l’Homme, et il faut en débattre ensemble pour agir au mieux collectivement. Les valeurs de liberté, de démocratie, de confiance en l’Etat doivent être au cœur de l’action de développement pour que les citoyens continuent à y adhérer pleinement. L’aide apportée aux pays tiers produit des effets ponctuels, mais elle ne pourra mener à une élimination durable de la pauvreté que si ces gouvernements mettent en place une gouvernance et un système de droits solides. L’Union européenne reste de loin le plus gros donateur mondial pour l’aide au développement, avec plus de 50 milliards d’euros par an. Cet argent représente un investissement pour le futur, un espoir pour des millions de personnes de se soigner, s’éduquer, avoir accès au microcrédit ou à l’emploi. L’aide de la Commission européenne doit avant tout accompagner les Etats, dont la responsabilité première est de mettre en place une administration efficace, une sécurité sociale, une réglementation stable, en un mot une bonne gouvernance. Mais l’aide apportée peut également être plus ciblée, et plus efficace dans son effet multiplicateur. Une vaste consultation a été lancée par Andris Piebalgs au travers d’un livre vert sur l’avenir de la politique de développement de l’Union, dont voici quelques orientations : • L’ objectif de lutte contre la pauvreté et d’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015 reste prioritaire et pleinement pertinent. • Il convient néanmoins de modifier la manière de faire : l’Union Européenne a confirmé ses engagements financiers d’ici 2015, une attention particulière sera portée au respect de ces derniers. Mais même un budget de 0,7% du PNB ne suffira pas à régler le problème de la pauvreté dans le monde. C’est pourquoi il faut utiliser l’argent disponible pour produire un effet maximal, selon 4 principaux axes de changement : 1. Une amélioration de la coordination et de la division du travail entre Etats membres et Commission. 2. Mieux cibler l’aide de l’Union européenne sur les domaines où elle a une valeur ajoutée évidente, comme la gouvernance, et sur les secteurs porteurs de croissance, tels que l’agriculture et l’énergie. Cette Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière croissance doit profiter au plus grand nombre et non à une petite élite. 3. Mieux différencier la couverture géographique de l’aide ; certains pays en développement sont devenus eux-mêmes d’importants donateurs, comme la Chine et le Brésil, et ces pays ne peuvent prétendre recevoir le même type d’aide que d’autres pays comme le Libéria ou l’Ethiopie. 4. Développer de nouveaux types de partenariats public-privé, car l’aide au développement n’est pas uniquement publique. Pour en assurer un véritable impact sur place, il faut regrouper tous les acteurs concernés. La Commission européenne vient de proposer une nouvelle stratégie pour les pays d’Afrique, assortie d’un appui financier conséquent, mais également d’un principe fort : l’aide sera plus importante aux pays qui s’engagent le plus rapidement sur la voie des réformes politiques, économiques et sociales. Andris Piebalgs se rendra prochainement en Côte d’Ivoire et en Guinée Conakry pour porter un message d’accompagnement au processus de réconciliation et des réformes engagées. En Côte d’Ivoire, il est proposé un ensemble de mesures de 180 millions d’euros pour aider à la reconstruction. En Guinée Conakry, la coopération est poursuivie dans le cadre du processus démocratique en cours, avec notamment l’inauguration d’un pont financé par l’Europe, qui est au cœur de l’intégration économique régionale avec la Sierra Leone. Cela est également le thème de la Conférence sur les pays les moins avancés d’Istanbul. Andris Piebalgs sera enfin au Soudan pour discuter avec le Nord et le Sud des futures modalités de l’aide européenne. Pour se différencier, il est fondamental de trouver le moyen de devenir plus efficace dans les environnements difficiles. L’aide est à un tournant, et il est nécessaire de continuer à travailler tous ensemble. Henri de Raincourt remercie en premier lieu Frédéric Roussel et toute l’équipe d’ACTED d’avoir organisé un Forum rassemblant autant d’acteurs et qui soit aussi ancré dans la vie qui entoure les politiques de développement. Les citoyens ont pris conscience de la nécessité absolue de mettre en œuvre des politiques de développement à la fois respectueuses de la liberté des peuples et efficaces, et Henri de Raincourt souhaite que ce Forum rencontre un très grand écho. La France et l’Union européenne sont en pleine communion de pensée et d’action sur les politiques de développement à mener, et essayent chaque fois que cela est possible d’avoir des actions complémentaires, réfléchies et préparées ensemble pour viser plus d’efficacité et de rapidité. Henri de Raincourt expose ensuite plusieurs réflexions : • Sur les moyens consacrés par la France à l’Aide Publique au Développement : l’engagement des pays du G8 de consacrer 0,7% de leur Session d’ouverture du 4ème Forum Convergences 2015 13. Revenu National Brut à l’Aide Publique au Développement était assorti d’un objectif intermédiaire de 0,5% du Revenu National Brut en 2010. L’OCDE vient de confirmer que cet objectif était atteint par la France. Avec près de 10 milliards d’euros d’engagement, la France est le 3ème contributeur mondial de l’Aide Publique au Développement. Bien que la crise économique mondiale ait durablement affecté les budgets des pays développés, Henri de Raincourt confirme que la France tiendra ses promesses et sanctuarisera ses engagements. Ceci doit se faire dans le cadre d’un effort collectif à mener avec les autres pays. C’est le sens de l’engagement de la France en faveur des financements innovants. Le consensus progresse, et cette forme de financement stable, additionnel et prévisible peut prendre des formes variées, dont celle d’une contribution sur les transactions financières. Il est logique que ceux qui profitent le plus de la mondialisation participent au financement du développement. L’initiative du Crédit Coopératif est en ce sens excellente et exemplaire, et Henri de Raincourt espère que cette démarche sera reprise par un nombre croissant de responsables qui partagent cette vision, dont la dimension éthique est réclamée à juste titre par l’opinion publique. fondations privées et des marchés des capitaux, les Etats n’ont plus le monopole de l’aide financière. La société civile ne se résume pas aux banquiers et aux entrepreneurs, bien qu’indispensables, mais s’étend aux jeunes, aux femmes, aux syndicalistes, aux bloggeurs, qui pour certains ont risqué leur vie pour la liberté et la dignité qu’ils ne retrouvaient pas dans les statistiques flatteuses qui réjouissaient les bailleurs de fonds internationaux. Les Etats doivent assumer plus nettement leur rôle d’impulsion politique, par l’exercice de leur responsabilité en matière de paix et de sécurité internationale. Quel était le développement possible pour des populations soumises à la folie meurtrière de dirigeants illégitimes, comme en Libye ou en Côte d’Ivoire hier ? La France a pris ses responsabilités avec ses partenaires pour que les actions de coopération puissent reprendre. Ce réengagement du politique passe par la prise en compte d’enjeux stratégiques comme le lien entre développement et sécurité. C’est le but de la stratégie de développement en faveur du Sahel, élaborée avec le soutien français. Un tel engagement doit se décliner désormais pour la Méditerranée, en répondant aux aspirations à la liberté de la société civile. • Sur l’efficacité de l’aide : le but premier des Objectifs du Millénaire pour le Développement n’est pas de toucher une cible statique, mais de créer une dynamique économique et sociale qui permettra aux pays concernés de répondre durablement aux besoins de leurs populations, en fonction des réalités et des spécificités qui leur sont propres. Pour de nombreux pays africains, l’atteinte de ces objectifs dépend de la force relative de leur croissance économique au regard de leur croissance démographique. L’aide française est concentrée sur les Pays les Moins Avancés, Henri de Raincourt souhaite que la prochaine conférence d’Istanbul soit un moment important de mobilisation en faveur de ces pays. Il faut créer les conditions d’une croissance endogène, qui est un facteur de développement à long terme. En ce sens, l’initiative du Cap, lancée en 2008 et qui mobilise 10 milliards d’euros en faveur du secteur privé en Afrique, a toute sa place dans une politique globale de développement. C’est aussi le sens de l’engagement de la France, pendant sa présidence du G8 et du G20, de lutter contre les freins au développement de l‘Afrique que sont le manque d’infrastructures et la faible intégration régionale. Le développement passe enfin par la capacité des pays en développement à renforcer leur gouvernance, améliorer le climat des affaires, la sécurité juridique et fiscale, la mobilisation de ressources fiscales, et lutter contre la corruption. Il faut désormais réexaminer avec un œil neuf les politiques de coopération, en tenant compte des revendications des populations, dans un esprit de respect mutuel. L’ heure est à l’imagination, et il faut compter sur les ONG pour participer à la construction d’un monde moderne et les remercier de leur travail quotidien. Nous partageons ici les mêmes convictions qu’il faut désormais mettre en œuvre avec ardeur, passion, enthousiasme et cœur. • Sur les bouleversements du monde qui conduisent à un paradoxe : le printemps des pays arabes montre en effet que la démocratie n’attend pas que le développement économique la précède. Les Etats ont quelque peu perdu la place politique et diplomatique prééminente qu’ils avaient au sortir de la décolonisation. A l’heure des grandes 14. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Yaël Zlotowski, Crédit Coopératif Où commence la fin de la pauvreté? Conversation avec Hernando de Soto Grand Débat Le Monde // Coopération internationale Modérateur Serge Marti Président, Association des journalistes économiques et financiers (AJEF) Intervenants Hernando de Soto Président, Institut pour la Liberté et la Démocratie Résumé analytique Selon Hernando de Soto, aucune nation ne peut développer une économie de marché forte, sans un cadre d’information publique adéquat qui enregistre tous les biens de propriété et autres renseignements économiques connexes. Dans leurs efforts pour atteindre une croissance économique – et contribuer à la réduction de la pauvreté - la plupart des pays en voie de développement rencontrent un obstacle principal : une grande part de l’activité économique dans leur pays se déroule dans l’ombre de la loi. Par conséquent, les gouvernements n’ont pas de connaissances profondes de l’économie de leur pays. Ainsi, ils n’ont pas ce qui a été l’un des principaux moteurs de la croissance économique dans les pays riches pour les 100 dernières années – c’est-à-dire un « système de mémoire publique » qui agit en tant que dépositaire des faits économiques d’une nation. Pourquoi la majorité des pauvres dans les pays en développement travaille en dehors du système juridique? Hernando de Soto soutient qu’ils n’ont guère le choix : les lois dans les pays en développement ont tendance à être coûteuses, lourdes, discriminatoires et tout simplement mauvaises. Sans les outils juridiques indispensables à la réussite économique, ces entrepreneurs « extralégaux » sont condamnés à la pauvreté. L’activité économique non enregistrée de ces petits entrepreneurs, qui ont pratiquement l’impossibilité d’obtenir la propriété légale de leurs biens et de l’enregistrer, crée une économie parallèle « extralégale ». Pour survivre, protéger leurs actifs, et faire fructifier leurs activités, les entrepreneurs « extralégaux » doivent créer leurs propres règles – ce que Hernando de Soto appelle « la loi du peuple ». Cela affecte aussi la société dans son ensemble parce que les règles de cette économie ne permettent pas de prospérer comme le reste de la société. Seule une minorité de l’élite est capable de profiter des avantages économiques de la loi et de la mondialisation, alors que la majorité des entrepreneurs sont coincés dans la pauvreté, où leurs actifs, qui représentent plus de 10 milliards de dollars américains, restent comme un « capital mort » qui croupit dans l’ombre de la loi. En d’autres termes, le pays dans son ensemble ne fonctionne pas à un niveau optimal. Pour réduire la pauvreté, Hernando de Soto affirme que les gouvernements des pays en développement doivent réformer leurs systèmes juridiques et fournir à la majorité de leurs citoyens l’occasion d’acquérir une participation au sein du marché économique. La clé d’une économie de marché moderne inclusif, selon Hernando de Soto, est l’octroi, à la majorité des personnes pauvres, d’un accès facile aux droits de propriété juridique par le biais de titres fonciers enregistrés. Cela incitera ces personnes à quitter le secteur extralégal et à rejoindre l’économie légale. Une telle documentation construit une partie essentielle du système de mémoire publique qui permet à la société d’identifier et d’accéder à des informations sur les individus et leurs biens. Elle permet de faciliter l’établissement clair de la limite de responsabilité pour les entreprises, de connaître leurs situations économiques, d’assurer leur protection face aux tierces parties. Elle permet aussi de quantifier et d’évaluer les actifs et les droits. Ce système de mémoire publique facilite également l’accès à une plus grande variété des possibilités économiques. Hernando de Soto souligne que les actifs détenus en dehors de la loi sont un « capital mort » – des richesses potentielles qui ne peuvent pas être mises à profit. Grâce à des droits de propriété, ces actifs sont transformés en « capital vivant », où un seul actif peut avoir de multiples fonctions : une maison, par exemple, n’est plus seulement un abri, mais peut être utilisé comme garantie pour un prêt ou une adresse vérifiable pour obtenir de l’électricité et d’autres services. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde Où commence la fin de la pauvreté ? Conversation avec Hernando de Soto 15. Synthèse Quels sont les moyens pour combattre la pauvreté dans le contexte actuel de crise économique et des révolutions dans le monde arabe ? En effet, avec la crise économique, le nombre de personnes pauvres est passé de 1,4 million en 2008 à 1,9 million en 2010. La liberté et la démocratie sont-elles suffisantes pour réduire la pauvreté ? Selon Hernando de Soto, cela dépend de la définition que l’on leur donne. Si la démocratie, par exemple, signifie le droit de vote, cela ne suffit pas : les électeurs à travers le monde en développement ont trop souvent élus des dictateurs. La liberté économique n’est pas non plus suffisante si l’on ne dispose pas d’autres libertés. Pour Hernando de Soto, la liberté économique et la démocratie sans droits de propriété ne sont pas suffisantes pour réduire la pauvreté. La majorité des pauvres dans le monde en développement ne bénéficie pas d’un accès facile au système juridique, qui, dans les pays avancés et pour l’élite des pays en développement, est la porte de la réussite économique. Les documents de propriété des personnes pauvres ont besoin d’être normalisés selon la loi, afin d’avoir accès au système juridique et être en mesure de profiter des avantages de celle-ci et de la mondialisation. Un document de propriété devient un mécanisme de la mémoire publique, facilitant toutes les activités économiques qui poussent une économie moderne de marché : l’accès au crédit, l’établissement de systèmes d’identification, la création de systèmes de crédit et d’information sur les assurances, la fourniture de logements et d’infrastructures, l’émission d’actions, l’hypothèque d’un bien, et même une gouvernance efficace. Quel a été le rôle de l’Etat péruvien dans la réforme de la propriété ? Entre 1988 et 1995, Hernando de Soto et l’Institut pour la Liberté et la Démocratie (ILD) ont conçu les bases administratives de la réforme de la propriété du Pérou et le système du droit des affaires, ce qui a permis l’obtention de titres de propriété à plus de 1,2 million de familles et a aidé 380 000 entreprises (travaillant auparavant sur le marché noir) à entrer dans l’économie formelle. Pour réaliser ces réformes, ils ont aussi éliminé l’immatriculation, les licences et les lois de permis bureaucratiques et restrictives qui rendaient l’ouverture de nouvelles entreprises chronophage et très coûteuse. Par exemple, la participation de l’Etat est la clé de la réforme de la propriété, qui est une réforme juridique fondamentale : l’État doit s’assurer que les titres fonciers sont pleinement reconnus par tous les acteurs économiques et juridiques et qu’ils montrent clairement le lien entre la terre et son propriétaire au niveau local, national et international – liant ainsi les acteurs économiques les uns aux autres. Avec la création de telles institutions, les coûts du travail en dehors de l’économie formelle deviendront sensiblement plus élevés que ceux d’entrée et de fonctionnement au sein de l’économie formelle. De même, les bénéfices d’exploitation dans l’économie formelle seront évidemment plus nombreux que ceux dans l’économie extralégale. 16. Convergences 2015 Le jeune tunisien qui s’est immolé voulait un emploi, pas un titre de propriété... L’approche des droits de propriété à la question de la pauvreté n’est elle pas un peu simpliste ? Pour Hernando de Soto, l’approche des droits de propriété est essentielle pour aider les entrepreneurs pauvres à transformer leurs biens et leurs entreprises en actifs qu’ils peuvent exploiter et développer offrant ainsi la prospérité de leurs familles – et des emplois pour d’autres. Ce Tunisien, en fait, avait « un travail » – c’était un vendeur de rue typique des pays en voie de développement coincés dans l’économie souterraine. S’il avait eu une licence légale pour faire des affaires, un inspecteur municipal aurait été moins susceptible de l’humilier, provoquant cette réaction tragique de l’entrepreneur. Hernando de Soto insiste sur le fait que l’État doit savoir qui possède quoi dans l’économie informelle avant qu’il puisse y avoir de la croissance économique ou une réduction de la pauvreté. Avant d’accorder des titres de propriété, par exemple, l’Etat a besoin d’identifier la personne qui possède ce terrain et doit obtenir des informations sur les individus, leurs biens (y compris ceux détenus dans l’économie informelle), sur les circonstances et, éventuellement, sur les charges et les obligations. L’État doit également s’assurer que cette information est entrée dans le système de mémoire publique, ce qui facilite la réalisation des fonctions économiques essentielles, et aide les agents économiques à communiquer les uns avec les autres. Pour montrer à quel point ces informations sont importantes, il cite l’exemple du delta du Nigeria où l’ILD a travaillé : la population extralégale et sans papiers est si vaste que le gouvernement estime qu’elle est comprise entre 15 et 30 millions. Hernando de Soto note qu’un nombre plus exact peut être obtenu, seulement grâce à l’information récoltée via la réforme agraire et la formalisation de la terre. Hernando de Soto insiste également sur l’importance de l’outil juridique de « responsabilité limitée » prévue par la loi de propriété pour les entrepreneurs. Cela aide les gens à évaluer et à limiter les risques en affaires en comparant la part de propriété investie dans l’entreprise et quelle est celle sauvegardée pour la famille. Selon Hernando de Soto, l’invention du concept de responsabilité limitée en Europe entre 1850 et 1900 était révolutionnaire : il a donné à chacun le droit de créer ou d’investir dans une société sans que personne ne risque ses biens personnels. Hernando de Soto souligne que dans les pays en développement, où la plupart des entrepreneurs n’ont pas accès à cette protection juridique, la « responsabilité illimitée » est la norme, et, pire encore, sans un titre de propriété juridique, il n’existe aucun moyen pour les petits entrepreneurs d’obtenir un crédit ou encore de lever des capitaux dans le but de faire croître leurs entreprises. L’ILD a-t-il des contacts avec des pays comme le Brésil et la Chine? Oui, mais les chefs d’Etat de ces pays n’ont pas engagé l’ILD. Ils ont cependant utilisé leurs idées sans le rendre public. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Hernando de Soto parle de la différence entre le « capital mort » – des actifs qui ne peuvent pas être exploitées car ils sont tenus en dehors de la loi, sans accès aux outils juridiques (comme les droits de propriété ou la responsabilité limitée) dont disposent les entrepreneurs des pays développés et qu’ils tiennent pour acquis et le « capital vivant », où les mêmes actifs permettent d'acquérir de nombreuses fonctions grâce à la jouissance des droits de propriété. Par exemple, dans l'économie extralégale, un bâtiment peut être utilisé comme abri ou lieu d'affaires, mais une fois que le droit de propriété est attaché à ce bâtiment, il peut être utilisé pour de nombreuses autres choses comme une garantie d'un prêt hypothécaire ; il peut également être identifié en tant que terminal pour obtenir de l'électricité, comme une location permettant de gagner de l'argent ou comme un moyen de tracer un criminel. Transformer la quantité massive de « capital mort » qui croupit dans les économies extralégales des pays en développement est principalement un enjeu politique : la loi doit être changée. Selon Hernando de Soto, la révolution dans la réflexion sur le développement économique est de comprendre que la loi réelle dans les pays en développement est la « loi du peuple » (les normes et les coutumes qu'ils utilisent pour faire et protéger les transactions), qui n'a pas été reconnue ou incorporé dans la loi réelle. Trop souvent, les pouvoirs politiques défendent le statu quo et ne s'attaquent pas à ce problème. Ils n’établissent pas les réformes institutionnelles nécessaires qui rendraient le cadre juridique plus reconnaissable et accueillant. Cela permettrait aux personnes travaillant dans l’économie extralégale d’entrer dans l'économie légale, où il est possible de protéger et faire croître leurs actifs, et donc de sortir de la pauvreté. Pour Hernando de Soto, l'actuelle crise financière mondiale est principalement due à des institutions financières qui ignorent ce que les réformateurs comme lui ont essayé d'obtenir des gouvernements des pays en développement. Il cite ainsi l’établissement des procédures appropriées pour la documentation et l'enregistrement des transactions qui permettent d’assurer la connaissance des propriétaires et les circonstances dans lesquelles ils ont acquis la propriété. Ces faits économiques sont la base de la confiance qui stimule la croissance économique. Lorsque les banques ont vendu les hypothèques et ont distribué des crédits à risque aux investisseurs par le biais de titres hypothécaires pour reconstituer leurs fonds, ils l'ont fait d'une manière si opaque et complexe que le lien entre le titre de propriété et de l'actif a été perdu – ce qui a miné la confiance envers le système financier. Rapporteur officiel : Convergences 2015 Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde Où commence la fin de la pauvreté ? Conversation avec Hernando de Soto 17. La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ? Mini-conférence // Coopération internationale Modérateur Antoine Michon Représentant, Délégation générale, ATD Quart Monde Intervenants Olivier Bontout Sous-Directeur Adjoint, DREES François Dechy Directeur Délégué, France Active Financement Bernard Devert Délégué Général, Habitat et Humanisme Michael Förster Economiste principal, division des politiques sociales, OCDE Jérôme Vignon Président, Observatoire National de la Pauvreté et de l’ Exclusion Sociale (ONPES) Résumé analytique Malgré un taux de pauvreté qui reste stable au niveau de l’Union Européenne, la pauvreté augmente dans certains Etats membres. Il y a une forte variation du taux de pauvreté entre les Etats. On assiste à un changement du visage de la pauvreté, à une crise du mal-logement et à une crise de l’humanité. 18. Convergences 2015 Quels sont les horizons de la pauvreté d’ici à 2020 pour l’Union Européenne et les Etats membres ? Il existe une stratégie commune de lutte contre la pauvreté et la misère qui mobilise les Etats, l’Union Européenne mais aussi chacun d’entre nous. Il s’agit de la stratégie de Lisbonne, en particulier de son volet social. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Antoine Michon, nous parle de la création d’ATD Quart monde en 1957, 5 ans après l’invention du mot « Tiers Monde » par Sauvy. Le Quart Monde fait référence au cahier du 4ème ordre de la révolution française. Son fondateur Joseph Brezinski voulait que le vrai sujet soit la libération des plus pauvres. Depuis 1972, ATD Quart monde veut mettre la lutte contre la misère au cœur de la construction européenne. Depuis l’accréditation de la journée mondiale du refus de la misère par l’assemblée générale des Nations Unies, ce mouvement a permis de faire le point sur la misère et la pauvreté dans nos pays développés. Antoine Michon pose la question à Michael Förster quelle est l’évolution de la pauvreté dans les 34 pays de l’OCDE, quelles sont les politiques mises en place et quel est le résultat obtenu. Pour celui-ci, les ministres des affaires sociales ont convenus d’une vingtaine d’objectifs dont le plus important est la détermination de combattre la pauvreté et l’exclusion sociale. Trois champs de réflexion se dégagent : • Quelles sont l’ampleur et les tendances de la pauvreté? • L’importance des inégalités. • Les intérêts des politiques. Il y a deux seuils de pauvreté. Le seuil de pauvreté absolue se base sur le coût des besoins essentiels, le seuil de pauvreté relative lui se base sur le niveau de vie. C’est en fonction du seuil de pauvreté relatif que le taux de pauvreté est calculé. Le critère du revenu facilite la comparaison entre pays. Dans les 34 pays de l’OCDE, il y a une divergence énorme entre les taux de pauvreté (6% Danemark, ≥ 20% au Mexique). La moyenne des pays est de 11%. On constate une augmentation de 1 point de pourcentage dans l’OCDE qui correspond à 1,5 millions de personnes supplémentaires qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. La situation est fort différente en fonction des pays. Si l’on prend 4 pays membres comme les USA, l’Allemagne, la Suède et la France, on constate que pour les USA le niveau de pauvreté reste élevé mais stable, pour la France il oscille autour de 7%, ceux de l’Allemagne et de la Suède ont considérablement augmenté depuis début des années 2000. Ces dernières années, il y a eu un changement du visage de la pauvreté. Le risque de la pauvreté s’est déplacé vers des populations très jeunes ou très âgées sachant que ces personnes ne sont pas ou plus en âge de travailler. Il pourrait y avoir un taux de pauvreté européen mais il faudrait le calculer en fonction du seuil de pauvreté absolue. En effet, si on prend le revenu absolu des 10% les plus pauvres en Suède, celui-ci sera plus élevé que la moyenne des revenus des pays de l’OCDE. Par contre, aux Etats-Unis, ce revenu sera comparable à un revenu moyen en Grèce par exemple. Cette inégalité due à la concentration des richesses est à considérer très sérieusement. On ne peut ni comprendre ni combattre la pauvreté si on ne comprend pas la richesse. Les inégalités se sont accrues dans l’OCDE en partie à cause d’une concentration de revenus. Il faut donc regarder l’entité de distribution et la répartition des richesses. Par ailleurs les transferts monétaires et non monétaires jouent un rôle très important pour atténuer et combattre la pauvreté. Les politiques doivent faire en sorte que la répartition soit efficace. Elles devraient aussi s’attaquer directement aux causes. Bien sûr l’une des causes majeures est le travail. Même si l’emploi n’est malheureusement pas une garantie de se retrouver au dessus du seuil de pauvreté (phénomène du travailleur pauvre ; plus de la moitié des ménages en situation de pauvreté travaille), il faut des politiques d’activation inclusive renforcée. A cela doit s’ajouter une réduction durable de la pauvreté, les politiques doivent donc se concentrer sur l’ éducation et la formation. Qu’en est-il plus précisément au niveau de l’Union Européenne et dans le cas de la France ? Pour Olivier Bontout, le taux de pauvreté se définit, au niveau de l’UE, par la proportion de ménages dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian dans chaque pays. Ce taux de pauvreté monétaire s’établit à 16% pour l’Union des 27 et connaît une stabilité depuis 2000. Malgré cela on observe une différence entre les pays (par exemple : Allemagne et pays scandinaves dont le taux augmente). Différentes approches représentant la nature multidimensionnelle de la pauvreté ont également été développées, notamment la pauvreté en terme de conditions de vie ou encore le lien avec le marché du travail. L’ objectif de l’Union Européenne de 2010 pour la décennie (2010-2020) est une diminution de 20 millions de personnes touchées par la pauvreté ou l’exclusion. L’approche retenue a connu une évolution à l’occasion de la définition de la cible et l’approche monétaire a été complétée par deux autres dimensions : • La pauvreté en termes de conditions de vie; • La pauvreté en lien avec le marché du travail (ménages dont l’intensité du travail est inférieure à 20%). Au niveau de la France on observe trois tendances : • la pauvreté est plus faible qu’en Europe et que chez la plupart de nos voisins ; • la pauvreté monétaire n’a pas connu d’évolution significative ; • la pauvreté change de visage. On observe une stabilité de la pauvreté monétaire depuis 2000 et un changement du visage de celle-ci, depuis plusieurs décennies. En effet il y a une diminution de la pauvreté parmi les personnes retraitées, mais on observe une augmentation progressive de la pauvreté chez les jeunes et chez certains actifs pour qui l’accès au marché du travail est difficile. Ces personnes ont une faible intensité d’emploi au cours de l’année au sens où elles enchaînent les périodes d’activité, d’inactivité et de chômage, Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ? 19. ce dont il résulte que les revenus d’activités ne sont parfois pas suffisants pour dépasser le seuil de pauvreté. La question de la pauvreté amène la question du mal-logement. Antoine Michon demande comment évolue le mal-logement, les personnes qui dorment dans la rue et les autres mal-être liés qui apparaissent. Pour répondre à cela Bernard Devert nous donne son témoignage. Selon lui, il est difficile de faire bouger les lignes et de faire en sorte que les 3 millions de personnes qui sont mal logées ou sans logement sortent de cette situation. Comment faire bouger et comment refuser cet inacceptable ? C’est à travers l’écoute et la visibilité des visages de ces personnes que d’autres perspectives sont envisageables. Pour revenir sur la question de la pauvreté, elle n’est pas seulement monétaire, il y a aussi ce manque de reconnaissance vis-à-vis de la personne qui n’a pas de toit. La pauvreté est aussi cela, une pauvreté à partir de laquelle des hommes et des femmes qui n’ont pas de travail, qui n’ont pas de toit, qui n’ont pas de relations considèrent que finalement ils ne sont rien. L’urgence est de lutter contre ce mal-logement qu’il faut entendre comme un malheur. Face à ce malheur il y a une question de responsabilité et d’humanité. Le mal-logement touche en France des familles, notamment des enfants. 600000 enfants sont victimes de ce phénomène, victimes maintenant pour des conditions de vie inacceptable mais aussi victimes demain des conditions inadéquates pour pouvoir suivre un parcours scolaire. Depuis 30 ans, il y a de moins en moins d’enfants issus de milieu défavorisés qui ont pu rejoindre la faculté ou les grandes écoles. Que pouvons-nous réaliser face à cela ? Bernard Devert identifie deux approches : • La réconciliation de l’économique et du social ; • La réconciliation de l’humain et de l’urbain. La deuxième approche souligne que finalement ce n’est pas seulement la crise du logement qui est en cause. Celle-ci en cache bien d’autres : une 20. Convergences 2015 crise de l’habitat au sens d’une crise de l’habité qui conduit à une crise du vivre ensemble. Voulons-nous vivre ensemble ? Quand on voit les prix de l’immobilier, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’incendiaires du lien et de la cohésion sociale. Ceci est une invitation à s’inscrire dans un enjeu politique, des solutions existent et se dessinent dans les textes mais entre ce qui est prévu dans les textes et les décrets d’application, il y a un écart. Bernard Devert lance 3 propositions pour essayer de lutter contre cette misère : • Le plan local d’urbanisme dans les villes est un instrument au service des municipalités. Les droits de construire devraient augmenter de 20 ou 30%. Ceux-ci sont affectés d’une charge foncière limitée voir nulle. La création des logements éligibles à des financements très sociaux dans le prêt locatif d’aide à l’insertion conduirait à une régulation du foncier. • La nouvelle loi solidarité et renouvellement urbain oblige les communes à avoir en 20 ans 20% de logement sociaux. • Une invitation à l’Etat et aux collectivités locales à voir comment un certain nombre de leurs bâtiments pourrait être offerts aux grands bailleurs de fonds à caractères sociaux pour peser sur le foncier et permettre que la ville ne soit pas interdite aux plus démunis. On assiste donc à une crise du mal-logement mais qu’en est-il des autres formes de pauvreté ? Antoine Michon demande à François Dechy si le retour à l’emploi par la création d’entreprise est une vraie possibilité. France Active Financement intervient dans deux champs. L’organisme permet à des demandeurs d’emploi de créer leur propre emploi en créant leurs entreprises. Il crée les conditions pour que ces projets puissent accéder aux conditions bancaires. Il s’agit de structurer leurs projets avec le soutien des politiques publiques de l’emploi et de convaincre les banques de les financer. La création d’entreprise est un processus 3 fois gagnant : pour l’Etat et les organismes sociaux qui financent un accompagnement, pour les banques (un projet bien accompagné et bien financé est un bon client) pour le porteur de projet car cela lui permet de Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements créer de la richesse dans un cadre sécurisé avec des financement adaptés. pas été une solution à la question du chômage. L’année dernière, le financement de 6000 créateurs d’entreprise et de 800 entreprises solidaires ont permis de consolider et de créer 30000 emplois. Il reste beaucoup à faire quant à la création d’entreprise comme moyen de retour à l’emploi. Pouvoir apporter des solutions efficaces est tout l’enjeu pour que le pauvre ne se transforme pas en entrepreneur pauvre. Maintenant il faut voir s’il y a suffisamment de sens de responsabilité pour que les Etats soient à la hauteur des défis modernes qui consistent à être à la fois des économies ouvertes au monde, à la compétitivité, à la technologie et des sociétés socialement inclusives. L’ horizon pour 2020 est de se fixer un objectif chiffré. Chaque Etat européen doit se donner des chiffres dans trois domaines : Cela demande des moyens et un changement de représentation. Il s’agit vraiment de faire changer d’échelle le cercle vertueux d’inclusion sociale, économique et financière. • Réduire les inégalités (taux de pauvreté monétaire), améliorer la protection sociale et avoir une fiscalité beaucoup plus juste ; Pour synthétiser tous les points abordés, Antoine Michon pose 3 questions à Jérôme Vignon : • diminuer ce noyau dur de familles dans lesquelles aucun adulte ne travaille ; • Quelles sont les tendances longues sur l’évolution de la pauvreté en France et en UE ? • Y a-t-il un succès ou un échec depuis le Congrès de Lisbonne ? • attaquer la pauvreté profonde (exemples des Roms, des personnes âgées dans les nouveaux Etats membres et de la population en dessous du seuil de 40% du revenu médian). • Quelles sont les stratégies pour les nouveaux objectifs fixés à 2020 ? Qu’est ce qui relève des politiques nationales et qu’est ce qui va passer par l’intervention de l’UE ? Il est nécessaire de mobiliser une rigueur budgétaire, des accords sur Europlus, une stabilité macro-économique renforcée et des mécanismes européens qui vont avoir des impacts forts. Pour Jérôme Vignon, avec ce que l’UE représentait de tradition sociale, de protection sociale, de modèle d’économie sociale de marché plus toute cette formation et intelligence disponible à l’approche d’un élargissement de l’UE, il y avait un réel optimisme des chefs d’Etats à Lisbonne en 2000 au sujet de l’éradication de la pauvreté. Quelle est l’urgence ? Le moment est venu de ne plus laisser les Etats membres seuls pour assumer les stratégies de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. L’ Europe va s’engager pour qu’il y ait plus de rigueur budgétaire. Pour cela, elle doit mettre en place des gardes fous, des cadres pour les services sociaux d’intérêt général, des indications claires et obligatoires pour le revenu monétaire dans chaque pays afin d’empêcher que cette rigueur ne pèse d’abord sur les plus pauvres. C’est l’Europe seule qui peut le faire. Cette stratégie de lutte est un test d’humanité pour tous, pas seulement pour les Etats mais aussi pour l’Union Européenne et chacun d’entre nous. Il confirme qu’on assiste à une augmentation de la pauvreté dans les pays développés de l’Union Européenne et à un changement des visages de la pauvreté dans le sens générationnel. La moyenne reste stable car le taux de pauvreté aura augmenté dans des pays comme l’Allemagne mais aura diminué dans des pays comme la Pologne. On assiste à une stabilisation de la pauvreté mais on soupçonne que la pauvreté profonde augmente. Celle-ci est une segmentation importante de la société. L’augmentation du taux de participation à l’emploi et du taux d’activité étaient les objectifs majeurs. Il y a eu une augmentation du taux d’emploi pour les femmes et les seniors. Par contre cela n’a pas atteint le noyau dur des 10% de personnes vivant dans la pauvreté. L’activation à marche forcée du travail ne touche pas certains qui en restent très éloignés. Rapporteur officiel : Convergences 2015 Par ailleurs, on assiste à une précarisation de l’emploi. Par exemple avec la réforme « Hartz »1 en Allemagne, il y eut un rebond de la pauvreté avec une détérioration des conditions et de la qualité du travail. Cela n’a donc 1 Cette réforme renforce la lutte contre le chômage volontaire, supprime les trappes à inactivité qui poussent les membres de la population active à vivre des allocations chômage plutôt que d’accepter un emploi dont ils jugent le salaire trop faible. La mise en place de ces réformes ne s’est pas faite sans heurts. Officiellement, elle vise à adapter le droit (du travail, fiscal) allemand à la nouvelle donne économique dans le secteur des services. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La pauvreté augmente-t-elle dans les pays développés ? 21. Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015 Séance Plénière // Coopération internationale Modérateur Georges Serre Directeur adjoint, Direction de la mondialisation, Ministère des Affaires Etrangères et Européennes Intervenants Serge Michailof Professeur, Institut d’Etudes Politiques de Paris Lionel Zinsou Président, PAI Partners Cécile Molinier Directrice du bureau de liaison de Genève, Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) Résumé analytique Cette table ronde réunissait des profils d’origine très variée : un représentant du MAEE, un enseignant de l’IEP, un représentant du PNUD et le président d’une société de capital-investissement. Les intervenants ont donné leur vision de ce qu’il faudrait faire pour améliorer et poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) au delà de 2015. Parmi les pistes indiquées, on relève notamment : •La nécessité d’une réelle appropriation et d’un véritable consensus sur les stratégies de développement par la population locale à tous les échelons ; •La nécessité de reprendre le chantier des OMD pour prendre en compte en particulier le caractère indispensable de la croissance économique, du développement des infrastructures, de l’amélioration du cadre de vie urbain et enfin de la relance de l’agriculture familiale dans la lutte contre la pauvreté. 22. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Pour Georges Serre, en 2000, au moment où les OMD sont définis, on prend conscience que le développement est l’affaire de tous, y compris des pays en développement. Depuis 2008, l’histoire s’est accélérée avec les crises alimentaires, financières puis économiques et de nouveaux acteurs sont apparus, comme les grandes fondations (telles que la Gates Foundation). De même, nous sommes passés du G8 au G20, soit une gouvernance beaucoup plus inclusive. L’objectif 8 prend tout son sens dans ce nouveau contexte. A part l’objectif santé, atteint en partie grâce à la Gates Foundation, le bilan des OMD est mitigé. Pour Cécile Molinier, la clé du succès n’est pas technique, elle nécessite volonté politique et changement de paradigme. corrélés). Enfin, intégrer la lutte contre la pauvreté avec la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement est essentiel. Lionel Zinsou, ancien consultant du PNUD en politique industrielle en Afrique, est sensibilisé par le développement industriel de ces pays et constate que les entreprises ne sont pas prises en compte dans les OMD. Or beaucoup d’entre elles sont prêtes à participer à leur réalisation et ont un potentiel énorme. Un bon exemple est la Gates Foundation dont le budget équivalent à celui de l’Organisation Mondiale de la Santé est concentré sur trois pandémies. Les diasporas jouent également un rôle important. En Afrique, les transferts d’épargnes des migrants sont équivalents aux aides publiques au développement ou bien aux transferts d’investissements. Le sommet de septembre 2010 était volontairement tourné vers l’action et rassemblait un grand nombre de chefs d’Etat tenant un discours très concret sur les succès et les échecs en termes de réalisation des OMD, l’analyse des facteurs de succès et de blocage, et de leur réplicabilité. La concentration d’intervenants nouveaux ou déjà existants est un fait récent dont le potentiel ne peut qu’augmenter avec l’arrivée croissante des entreprises. Pour la première fois, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a déclaré que les droits de l’homme sont indispensables à la réalisation des OMD, mais également que les femmes sont des acteurs du développement. Enfin, ce sommet a débouché aussi sur un plan d’action à 5 ans afin d’accélérer la réalisation des OMD. • On doit cesser d’être complaisant envers la prévalence du secteur informel dans de nombreux pays en développement. Dans certains domaines, on constate des succès notoires : par exemple des progrès importants ont été accomplis dans la lutte contre la faim, l’éducation et la santé en Ethiopie, au Malawi et au Ghana, alors qu’en Egypte la mortalité maternelle est passée de 174/100.000 à 5/100.000 naissances en 25 ans. Cela dit, il reste beaucoup d’échecs inacceptables : 26 000 enfants meurent encore chaque jour dans le monde. Les principaux facteurs de blocage sont les crises financières, l’évolution climatique, la volatilité des prix, la spéculation sur les denrées alimentaires, l’urbanisation sauvage, les conflits et la violence. Les facteurs d’accélération identifiés sont l’appropriation nationale et un véritable consensus des populations sur la stratégie de développement. La volonté politique est nécessaire à tous les niveaux. Il faut promouvoir une croissance inclusive, durable et équitable en termes aussi de développement humain (espérance de vie et taux de scolarisation inclus). Voici quelques pistes contribuant au progrès : • L’importance du secteur informel (80% au Bénin en termes de valeur ajoutée) ne doit pas être considérée comme une donnée immuable. C’est le capitalisme sauvage. A l’heure actuelle, c’est très pénalisant d’être dans le secteur formel en termes de coûts, impôts, rackets… En conséquence il faut des incitations positives à passer dans le secteur formel comme au Rwanda, ce qui impactera de façon positive la santé, l’emploi, la formation et la fiscalité. Par ailleurs, on parle toujours d’investir, mais de quelle manière ? Implémenter les OMD impliquerait une dépendance croissante de l’étranger ; paradoxe intolérable. Il faut générer des ressources nationales par la fiscalité, appréhender de la matière fiscale ce qui implique de passer au secteur formel. Les OMD ne portent que sur des sujets très intensifs en capital : l’agriculture, nécessaire à la lutte contre la faim, est l’activité qui consomme le plus de capital. Pour faire 100 de chiffre d’affaires en lait, un capital de 150 est nécessaire alors que pour transformer ce même lait et obtenir un chiffre d’affaires de 100, il ne faut que 50 de capital. Plus on va vers l’amont plus l’investissement en capital est élevé. Il faut beaucoup investir dans l’éducation des femmes puisqu’elles exercent un fort effet de levier en termes de répercussions sur l’éducation et la santé. Il faut également investir dans la santé, l’eau potable, l’éducation, les socles de protection sociale – y compris le secteur informel – l’accès à l’énergie dans les zones rurales et la mobilisation accrue des ressources domestiques. Seule l’énergie rivalise avec l’agriculture en termes d’intensité capitalistique. Au-delà de 2015, il sera nécessaire de prendre en compte la nouvelle typologie des pays, car la distinction pays développés/ non développés ne tiendra plus et il faudra insister sur l’équité et la réduction des inégalités (à noter que le manque d’équité et le manque de durabilité sont Il faut enfin associer les entreprises au développement, en les encourageant à y contribuer de façon désintéressée. Il y a donc un réel problème de capital. Heureusement, la bancarisation – y compris le développement de la microfinance et de l’épargne – vont à toute allure dans ces pays. Il faut encourager cette révolution financière, tout en continuant à chercher des financements innovants. Serge Michailof pense que l’architecture des OMD présente de sérieuses faiblesses liées au contexte historique de son lancement : au Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance Plénière Poursuivre les Objectifs du Millénaire pour le Développement au-delà de 2015 23. départ, l’aide au développement était essentiellement un instrument de lutte contre le communisme dans le contexte de la guerre froide et de facilitateur du processus de décolonisation. Puis, face à la crise de la dette des années 80, l’ aide s’est fourvoyée dans des programmes d’ajustements structurels impliquant des réductions massives des dépenses publiques entraînant le démantèlement des secteurs sociaux dans les pays pauvres. La prise de conscience du caractère inacceptable de ce sacrifice s’est faite dans l’ opinion publique dans les années 90. Cela s’est concrétisé dans les OMD en 2000, qui se sont donc focalisés sur les secteurs sociaux, au point d’oublier les autres domaines. Les objectifs de lutte contre l’extrême pauvreté seront globalement atteints et dépassés, mais seulement grâce à la croissance économique de la Chine et de l’Inde. Le montant global de l’aide a certes augmenté mais l’aide réelle aux pays les plus pauvres a stagné en termes réels depuis 20 ans et sa concentration actuelle sur les secteurs sociaux fait que le soutien à la croissance économique des pays les plus démunis a été largement délaissé, ce qui est extrêmement critiquable. Cette approche privilégiant les secteurs sociaux reposait sur le postulat selon lequel le progrès social génère de la croissance économique. Postulat qui n’est nullement vérifié. En réalité, la croissance économique est indispensable pour soutenir la croissance de dépenses sociales qui constituent pour l’essentiel des charges récurrentes, si les pays concernés ne veulent pas devenir de plus en plus dépendants de l’aide internationale. On peut d’ailleurs s’interroger, dans la conjoncture budgétaire internationale, sur le réalisme des engagements à long terme qui ont été pris pour financer des charges récurrentes à caractère social en augmentation. En effet la fiscalité internationale demeure encore balbutiante et ne permet pas d’assurer le financement de ces charges. Finalement, on se rend compte que le principe de base de financer les OMD avec des mécanismes divers n’est pas respecté puisque l’aide traditionnelle au développement a soutenue une grande partie du financement de ces objectifs. découvre aujourd’hui les conséquences dramatiques en Afghanistan), ont été complètement négligés. L’aide au développement agricole a été escamotée depuis les années 70 : elle ne mobilise qu’environ 3 à 4 % de l’aide internationale, alors que 75% des plus pauvres vivent de l’agriculture. Enfin, les OMD souffrent aussi de faiblesses de conception : étant universels, ils sont pour beaucoup de pays largement irréalistes car ils sous estiment les délais incontournables pour atteindre certains objectifs. Les pays qui ne peuvent atteindre certains de ces objectifs, tels la scolarité universelle, ne doivent pas être forcement stigmatisés. Enfin l’objectif de doubler l’aide aux pays les plus pauvres n’est pas forcément souhaitable. Dans certains pays, l’aide atteint déjà 10% du PIB. A l’augmenter, on risque de provoquer le fameux syndrôme hollandais qui fragilise l’économie réelle. Au niveau de la mise en œuvre des programmes, notons enfin que les approches top down qui se sont généralisées sont bien fragiles, escamotent le problème de la création des institutions nationales et ne tiennent pas dans la durée. Il est donc temps de remettre sur le chantier la conception des OMD. Il importe à cet égard de réhabiliter la croissance économique. Dans les pays où cette croissance reste illusoire, il est enfin fondamental de sécuriser les transferts impliqués pour la couverture des besoins sociaux les plus criants par une fiscalité internationale. L’architecture des OMD est encore basée sur l’idée séduisante qu’il est possible d’éliminer la pauvreté sans s’occuper des problèmes politiques et institutionnels. Or l’histoire économique montre bien que la réduction de la pauvreté ne relève pas seulement de processus de redistribution ; mais implique aussi la croissance économique, même si sa nature doit bien sur changer face aux contraintes environnementales. Or la croissance implique des choix politiques qui ont été ignorés dans cette approche très technique et finalement naïve. De plus, nous nous rendons compte que des problèmes fondamentaux, tels que l’accès à l’eau et le développement des institutions (on en 24. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Priscilla de Moustier, OXUS Responsable pour le futur : repenser le capitalisme Grand débat Le Monde // Général Modérateur Erik Izraelewicz Directeur et membre du directoire, Le Monde Intervenants Antoine Frérot Président Directeur Général, Veolia Environnement Michel Pébereau Ancien Président, BNP Paribas Augustin de Romanet Directeur Général, Caisse des Dépôts et Consignations Francisco Chico Whitaker Ferreira Co-fondateur, Forum Social Mondial Résumé analytique Pour trois des quatre orateurs (Antoine Frérot, Michel Pébereau et Augustin de Romanet), le système capitaliste n’est pas une idéologie, il n’obéit pas à un dogme. Le système capitaliste a donc développé sa logique propre par accumulation des logiques des entreprises, de leurs clients et de ceux qui les financent, chacun essayant d’influencer les autres à son bénéfice. Les trois convergent quand ils affirment que, dans un régime de liberté, chaque type d’acteur (entreprise, collectivité, financier) a, à long terme, intérêt à promouvoir un capitalisme dont l’impact sur l’environnement est soutenable, et qui contribue à l’amélioration de la société. Et tous d’insister que chaque type d’acteur a la capacité d’y contribuer. Ils convergent également pour dire que l’optique à long terme, qui vise à maximiser les bénéfices à l’ensemble de la société, est la plus souhaitable, mais pas toujours la plus visible. Ils convergent enfin pour reconnaître que le cycle crise/expansion est une caractéristique de ce système qui renaît perpétuellement de ses cendres et est donc continûment repensé. La dernière crise est une crise de régulation. Elle a actuellement pour résultat un déséquilibre prononcé des finances publiques des Etats des pays développés, dont on peut s’interroger sur l’impact pour une évolution vers un développement durable. Francisco Whitaker pense autrement dans plusieurs de ces aspects. Il considère aussi que le système capitaliste est capable de renaître toujours de ses cendres et qu’il doit donc être continuellement repensé, mais que cette renaissance se fait tout en assurant la continuité de sa logique, qui n’est pas tournée vers l’amélioration de la société. Dans cette logique, cette renaissance n’est qu’un prétexte pour le développement des affaires, le but étant de gagner et d’accumuler de l’argent, dans le plus court terme possible. Selon Francisco Whitaker, la dernière crise est Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde le résultat d’un manque de contrôle social sur l’avidité de ceux qui dirigent les entreprises et manipulent des finances, et que le moment arrive de ne plus chercher à « repenser » le capitalisme mais de construire un « post-capitalisme basé sur une autre logique ». L’axe, la responsabilité et l’intensité de la « revue » varient donc selon les interlocuteurs. Mieux intégrer le long terme, partager la création de richesse entre les différentes parties prenantes, intégrer le concept de frugalité dans sa régulation font partie des axes retenus par certains. Il s’agit de modifier le comportement de deux acteurs en particulier, le consommateur et l’entrepreneur. L’initiative revient à l’entrepreneur pour Michel Pébereau, au régulateur pour Augustin de Romanet, aux sociétés, à l’Etat et aux politiques publiques pour Francisco Whitaker. L’intensité et l’urgence de l’évolution est plus variée encore : • Francisco Whitaker n’accepte pas l’idée de réduire tous les citoyens – avec leurs droits – à des consommateurs ayant accès aux biens et services dont ils ont besoin uniquement s’ils ont de l’argent pour les acheter. Il critique alors la façon dont le système capitaliste pousse les sociétés au consumérisme exacerbé, pour que la machine de production – et le gaspillage de ressources - puisse tourner à une vitesse croissante, ce qui met en danger un développement durable. • Antoine Frérot se prononce pour l’avènement d’un capitalisme de long terme et un nouveau contrat entre les parties prenantes du cycle de création de richesse. • Michel Pébereau et Augustin de Romanet se positionnent quant à eux pour une régulation qui harmonise les intérêts à court et long terme des entrepreneurs. Responsable pour le futur : repenser le capitalisme 25. Synthèse Pour les trois premiers intervenants (Antoine Frérot, Michel Pébereau et Augustin de Romanet), le capitalisme est le résultat de la combinaison de la liberté d’entreprendre et de l’accumulation privée des moyens de production. Tel un moteur, il est le produit de la volonté des conducteurs du véhicule qu’il propulse : il n’a ni intention ni volonté, il n’est même pas une condition suffisante du développement humain. Il n’est donc pas une idéologie mais le résultat des activités économiques humaines, encadrées par les lois de la société. La création de richesse y est assumée par l’entreprise, modèle d’organisation humaine qui a développé des processus efficaces et créatifs pour tirer le meilleur parti possible des moyens de production à sa disposition. En ce sens, les trois intervenants convergent sur un même constat : le système capitaliste ne peut s’infléchir que par l’intervention du régulateur ou la modification des comportements des entrepreneurs et des consommateurs. Les intervenants de la table-ronde qui sont des responsables d’entreprises rappellent que leurs entreprises sont depuis longtemps engagées dans ces démarches. La crise financière récente est une crise de la régulation financière. Elle a amené un grand nombre d’institutions, en particulier aux EtatsUnis, à une distribution excessive de crédits, par aveuglement ou cupidité. Cette crise a démontré les limites du secteur à s’autoréguler face à la pression de la concurrence, même si de nombreux pays y font exception. Elle ne trouvera sa résolution qu’une fois le redressement des finances publiques des pays de l’OCDE accompli, qui continuera à faire porter un coût élevé aux populations de ces Etats. Veolia Environnement l’est également par métier, étant impliquée dans la construction et l’exploitation d’infrastructures environnementales et sociales (eau, propreté, services énergétiques, transport) de long terme, mais aussi par son implication dans les territoires très proche des collectivités et donc étroitement associée à leur épanouissement. C’est dans son cœur de métier qu’elle a trouvé des solutions pour favoriser l’accès à l’eau des plus pauvres, combinant nouvelles techniques et modèles de solidarité tarifaire. Au-delà de cette crise, notre monde économique est engagé dans un élan apparemment insoutenable de consommation de ressources naturelles et de pollution. L’explication en est la quête de la rentabilité, qui pousse les entreprises à faire la promotion de la consommation de leurs produits. Mais la rentabilité est le seul critère efficace d’appréciation de l’utilité de l’action d’une entreprise. Mieux, elle garantit sa survie et contribue à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble, comme l’ont démontré les Trente Glorieuses et comme le démontre l’accès de la population chinoise à la prospérité ces dernières années; même si le cas chinois d’un capitalisme d’Etat présente des caractéristiques de régulation exceptionnelles dans l’économie mondiale. BNP Paribas l’est par stratégie. Dès son origine, elle a promu auprès de ses actionnaires des projets de moyen et long terme dont elle a voulu faire, au-delà des résultats, les critères déterminants de leur décision d’investir. De la même manière, entreprise de services, elle a fait de la gestion sociale de l’organisation un thème d’excellence. Enfin, dès sa privatisation, elle s’est impliquée dans le soutien à l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire dès 1993 avec l’ADIE et l’AFEV. La question est donc d’encourager les entreprises à développer des activités soutenables, à la fois socialement et pour l’environnement. C’est leur intérêt vis-à-vis de toutes les parties prenantes de la chaîne de création de richesse : La dictature du court terme souvent invoquée pour justifier les comportements limites est donc largement le produit de la volonté de quelques dirigeants d’entreprises. Pourtant, la vitesse à laquelle les comportements de long terme sont intégrés n’est pas satisfaisante. • de leurs employés, qui déserteront autant que possible une structure au comportement non éthique ou irresponsable ; • de leurs actionnaires, qui ne s’engageront pas dans le soutien à une organisation dont les perspectives de long terme sont incertaines ; • de leurs clients, qui intègrent de plus en plus les démarches de soutenabilité dans leur comportement d’achat ; • de leurs financiers, qui organisent des accords internationaux pour garantir l’acceptabilité environnementale et sociétale des projets qu’ils soutiennent ; • des territoires, qui n’hésitent plus à poursuivre les entreprises aux comportements non éthiques, ni à refuser l’implantation de projets qui ne leur conviennent pas. 26. Convergences 2015 La Caisse des Dépôts a depuis longtemps fait le choix : • d’une finance au bénéfice de tous via le microcrédit, le prêt d’honneur, le financement en fonds propres des petites entreprises; • d’une finance durable au service du très long terme par le financement des biens publics (sur des durées de 40 ans), par l’intervention en fonds propres pour des périodes longues auprès des entreprises; • de l’implication dans l’investissement socialement responsable comme l’attention portée à l’encouragement des entreprises citoyennes (par exemple en se montrant attentif à la participation des salariés). En ce sens, elles sont plutôt en avance sur le monde des entreprises, mais elles sont aussi révélatrices que les logiques holistiques peuvent être couronnées de succès. Seul le changement de comportement du consommateur et du citoyen peut accélérer l’adoption de cette perspective de soutenabilité environnementale et sociétale. Ce changement est très long, notamment dans les pays en développement dont les besoins essentiels ne sont pas satisfaits. Pour l’infléchir, deux axes de réflexion sont suggérés : • l’intégration du temps long; • la redistribution. L’intégration du temps long vise à stabiliser les conditions d’engagement, notamment financières dans les démarches d’investissement pour Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements mettre en place une solidarité entre l’investisseur ou le prêteur et le réalisateur dans l’aboutissement des projets. Il vise aussi à intégrer les externalités sociales et les conséquences sur l’environnement des comportements marchands dans la réflexion économique. Cette approche est en cours de déploiement, elle doit s’accélérer. La redistribution est le fait de veiller à ce que le résultat de l’accumulation de richesses né des projets couronnés de succès bénéficie de manière plus homogène à l’ensemble de la population. Elle peut être le résultat de transferts, mais aussi celui de la participation des entreprises au bien-être (emploi, infrastructure, etc.) de la totalité des populations des territoires dans lesquelles elles s’implantent. C’est dans ce domaine que les opportunités de collaboration avec les nouveaux acteurs économiques à objectif social, comme la microfinance, l’entrepreneuriat social, le commerce équitable, sont les plus apparentes. C’est à ces deux conditions qu’une société plus frugale et plus humaine peut être construite. La croissance continue à être indispensable, les besoins humains étant loin d’être satisfaits, mais cette croissance doit s’asservir au développement. La régulation est la mieux à même d’accélérer cette évolution. Cette régulation peut avoir deux sources : l’une coopérative et volontaire des acteurs, l’autre plus politique des collectivités. La plus grande Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde menace à cette évolution favorable provient des Etats, qui vont se trouver contraints de redresser leurs finances gravement obérées par la combinaison d’années de développement à crédit et d’interventions forcées dans le système financier pour en éviter la déroute. Francisco Whitaker est d’accord avec quelques unes de ces affirmations et initiatives, mais considère que tout en pouvant diminuer les effets pervers de la logique du capitalisme, ses résultats pour un développement durable effectif de long terme sont limités par l’acceptation non critique de ce système. Il milite pour une prise de conscience croissante de ces effets pervers, pour que toujours plus de forces sociales décident de ne plus « repenser » le capitalisme mais de construire un « post-capitalisme » basé sur la coopération et non sur la compétition, sur l’obligation éthique de satisfaire prioritairement les besoins élémentaires des deux tiers de l’humanité vivant encore dans des conditions indignes pour des êtres humains, sur la possibilité d’orienter la vie de chacun, non pour « avoir » toujours plus mais pour « être » toujours plus, et sur le respect de la nature. Rapporteur officiel : François Lepicard, Hystra Consulting Responsable pour le futur : repenser le capitalisme 27. L’économie sociale est-elle au cœur ou à la marge de l’économie de marché ? Grand Débat Le Monde // Economie sociale et solidaire et Social Business Modérateur Antoine Reverchon Responsable, Le Monde Economie Intervenants Gérard Andreck Président, Groupe MACIF Cécile Renouard Chercheur, ESSEC IRENE Susan George Présidente d’Honneur, ATTAC-France Seybah Dagoma Conseiller de Paris et du 1er arrondissement, Adjointe, Mairie de Paris Martin Hirsch Président, Agence du Service Civique Résumé analytique Plusieurs grandes tendances coexistent à l’heure actuelle : Les grandes entreprises privées sont amenées à entreprendre des actions dans les domaines sociaux et environnementaux. Par ailleurs, après la crise, les gouvernements ont diminué leurs budgets sociaux et seraient prêts à se défausser de leurs responsabilités dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Dans ce contexte, les politiques sociales et environnementales se doivent de conduire à de réels progrès, et ce, notamment, en évaluant ces politiques au moyen d’indicateurs spécifiques. Les projets conjoints entre entreprises « classiques » et entreprises 28. Convergences 2015 sociales sont aussi un bon moyen de faire évoluer les mentalités et les pratiques. S’il n’est pas souhaitable que les Etats se désengagent des secteurs sociaux, ils peuvent néanmoins améliorer l’efficacité de leurs actions en faisant intervenir des entreprises du secteur social et solidaire et en incitant des entreprises « classiques » à créer des projets spécifiques à vocation sociale. En règle générale, pour faire évoluer l’attitude des pouvoirs publics ainsi que les mentalités, il est nécessaire que tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire agissent de concert. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Seybah Dagoma, Conseiller de Paris et du 1er arrondissement, Adjointe au Maire de Paris a ouvert la session en expliquant que la crise du capitalisme financier a mis en avant l‘économie sociale et solidaire. La Mairie de Paris a une politique volontariste dans ce secteur, qui, en 2010, a procuré 3000 emplois à des bénéficiaires du RSA (Revenu de Solidarité Active). La crise actuelle nécessite un changement d’échelle et une prise de risque en faisant le pari des convergences entre les structures de l’économie sociale et solidaire qui devraient se fédérer, s’allier, notamment pour répondre aux marchés publics, avec les entreprises classiques, dans les secteurs qui sont les leurs, sous l’impulsion des collectivités locales, qui peuvent initier, contrôler, coordonner et accompagner ces projets, ce grâce aux marchés publics, qu’il faudrait réformer en introduisant la prise en compte des effets sociaux et environnementaux et enfin entre l’ Etat et les collectivités locales. L’économie sociale et solidaire peut-elle conduire à un changement de l’ensemble du système? Est-elle dans le marché ? Gérard Andreck explique que l’économie sociale et solidaire pèse 10% des emplois, qu’elle a continué à créer des emplois pendant la crise mais qu’elle reste un secteur très hétérogène. Le Centre des Entreprises et Groupes de l’Economie Sociale (CEGES) dont Gérard Andreck est président regroupe tous les acteurs, des plus petits aux grosses banques et mutuelles, unis les uns aux autres (les plus gros soutiennent les petits) par leurs idées communes et solidaires. Le sec teur des assurances montre que l’économie sociale et solidaire est bien dans le marché : en effet un français sur deux assure son véhicule chez une mutuelle. A la différence du secteur classique, les mutuelles ont la responsabilité de satisfaire leurs adhérents et de mettre à la disposition du grand public des produits qui seraient sinon trop coûteux. En revanche, le secteur de l’économie sociale et solidaire destiné à la « réparation » (médico-sociale), n’est pas sur le marché et vit une période difficile car les aides de l’Etat diminuent. Par ailleurs, l’économie sociale et solidaire se prête beaucoup mieux à des activités de services qu’à des activités de production. La politique sociale et environnementales des grandes entreprises relève-t-elle de l’alibi, de la réparation ou est-elle un réel changement ? Pour Cécile Renouard, les entreprises font partie du problème et doivent faire partie de la solution. Notre modèle de croissance est insoutenable. Il faut le faire évoluer. Les entreprises peuvent-elles participer à cette évolution? En effet, il y a une contradiction entre les engagements sociaux et environnementaux qu’elles devraient prendre en compte et les exigences financières à court terme des actionnaires. Les entreprises occidentales développent maintenant des stratégies Bottom of the Pyramid (BOP) : les pauvres représentent en effet de grands marchés qu’elles souhaitent conquérir en leur offrant des produits et des services ayant une utilité sociale. Il est parfois difficile de distinguer les mobiles des grandes entreprises et il faut se méfier des stratégies supposées être « gagnant-gagnant », pour l’entreprise et pour les populations locales. Un discernement au cas par cas s’impose : par exemple, Unilever vend en Inde des soupes vitaminées à bas prix, améliorant ainsi réellement l’alimentation, ce qui est positif. Mais quand Unilever vend de la lessive en dosettes au Nigeria aux plus pauvres, on peut se demander si l’objectif n’est pas alors de pénétrer un nouveau marché en faisant consommer des produits de marques aux consommateurs et en excluant ainsi les producteurs locaux, sans améliorer la vie de la population. Les initiatives menées en partenariat avec des entrepreneurs sociaux sont intéressantes car elles obligent les grandes entreprises à penser autrement et motivent les salariés de ces entreprises. Les réglementations sont insuffisantes notamment en ce qui concerne les prix de transfert : il s’agit des prix des biens et services échangés intrafirmes (entre filiales et entre filiales et maison-mère). En manipulant ces prix et en transférant le profit vers des zones fiscalement avantageuses, les entreprises se livrent à des pratiques d’optimisation fiscale le plus souvent légales mais dommageables vis-à-vis du développement, puisqu’elles constituent un manque à gagner pour les Etats. Pour penser autrement, pour regarder la performance économique et sociale avec une autre grille de lecture, il faudrait appliquer les indicateurs de l’économie sociale aux grandes entreprises. Le rôle de l’Etat et son évolution sont importants dans la lutte contre la pauvreté. Selon Martin Hirsch, les pouvoirs publics peuvent inciter les entreprises privées à monter des projets dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Quand il était au gouvernement, Martin Hirsch a créé avec Danone un projet pilote pour rendre accessible du lait infantile 40% moins cher, l’entreprise acceptant de ne pas dégager de marges sur ce projet. Il y a des projets semblables dans l’optique et la téléphonie mobile. Ces projets se font sous la forme de joint-venture sans retour sur investissement. Il sera ensuite possible de régler le curseur pour pouvoir rémunérer un peu les capitaux et ainsi attirer des investisseurs. Les politiques publiques de désengagement de la protection sociale ont tenté de reporter leurs responsabilités sur l’économie sociale. On constate que dans de nombreux pays la création de richesse s’accompagne de création de pauvreté. Dans ce contexte, l’ONU souhaite que tous les pays se dotent d’un socle de protection sociale qui atténue les chocs et a proposé cette politique au G20. L’économie sociale n’est pas vouée à remplacer la protection sociale, mais on peut imaginer des organismes hybrides, privés/ publics, comme les cliniques ophtalmologiques de Mohammed Yunus au Bengladesh où chacun paie selon ses moyens. Les entreprises ne doivent pas faire du social comme alibi et les gouvernements ne doivent pas se désengager de la protection sociale. Mais il y a des synergies à exploiter entre ces différents acteurs, qui pourront faire sortir l’économie sociale de sa marginalité. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Grand débat Le Monde L’économie sociale est-elle au cœur ou à la marge de l’économie de marché ? 29. Susan George affirme que les Etats sont inféodés au néolibéralisme. L’ économie sociale reste marginale tant en Europe que dans le monde. Les politiques de la Banque Mondiale et du FMI ont poussé à la privatisation de tous les services publics qui font en réalité partie de l’économie sociale. Combiné aux coûts imposés pour la santé et l’éducation et à la politique du tout à l’exportation, cela induit des catastrophes, comme au Niger en 2005 où une privatisation très extensive a créé un système sans stocks, sans moyens de transport des récoltes ni soins vétérinaires. Ceci a généré une famine. Dans l’OCDE, les budgets sociaux sont coupés sans que ne soient examinées les recettes : en 1985, les profits des entreprises représentaient 25% du PNB, aujourd’hui 35%. De même, les impôts des entreprises représentaient 4,2 % du PNB en 1985, chiffre qui est maintenant de 2,4%. Une enquête de Public Services International évalue à 1900 milliards les privatisations effectuées pendant la même époque. Le cadre dans lequel l’économie sociale opère n’est pas propice. Il est essentiel que tous les acteurs et toutes les forces en présence s’allient pour faire évoluer les mentalités et le système. Pour Susan George, il est surprenant que la crise n’ait rien fait bouger au niveau du G20, ni de l’Europe. Pour Martin Hirsch, il y a des besoins de protection sociale dans les pays arabes où ont eu lieu des révolutions. Les fonds accumulés par Moubarak ou Ben Ali suffiraient amplement. Ils sont supérieurs aux fonds des réserves élaborés en 15 ans en France. Pour Cécile Renouard, la régulation des marchés financiers est très insuffisante, la crise n’a pas entraîné de réel changement. Il y a un grand besoin de formation à ces questions dans l’enseignement supérieur. Il faudrait enseigner la responsabilité sociale, l’éthique et la philosophie, réintroduire les stages ouvriers, faire réfléchir à la question du sens de l’activité économique. Selon Gérard Andreck, pour faire avancer les choses, il faut pouvoir mesurer l’impact des initiatives et donc concevoir des indicateurs. Pour le moment, on reste dans le déclaratif. Mais quelle est donc la capacité de l’ensemble de toutes ces initiatives de faire changer les choses ? 30. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Priscilla De Moustier, OXUS SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 Deuxième partie Améliorer les pratiques + d’efficacité +d’impact + d’investissement Commerce et pauvreté : quelle connexion ? Table-ronde // Coopération internationale Modérateur Adrien de Tricornot Journaliste, Le Monde Economie Intervenants Romain Benicchio Responsable de plaidoyer, OxfamS France Kif Nguyen Responsable des opérations, Café Africa Eugénie Malandain Chargée de l’ évaluation d’impact, Plateforme du Commerce Equitable Ghislaine Psimhis Secrétaire Générale adjointe, GICA RCA Résumé analytique La mondialisation et la libéralisation des échanges sont des opportunités pour un développement durable dans les pays pauvres à condition qu’ils permettent de créer des emplois durables. C’est un objectif qui doit être partagé par tous les acteurs (ONG, entreprises privées, et pouvoirs publics) afin que celui-ci soit atteint. Mais si le commerce est un moyen de lutte contre la pauvreté, c’est la durabilité de l’engagement entre les partenaires commerciaux 32. Convergences 2015 qui est le levier d’une transition pérenne. Un engagement qui va au-delà de l’urgence permet en effet aux producteurs d’étendre leur projet sur du long terme et d’être donc moins dépendants des fluctuations économiques des prix. Est-il raisonnable de dire aujourd’hui que le commerce est une solution efficace de lutte contre la pauvreté, du moins tel qu’on le pratique aujourd’hui ? Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Ghislaine Psimhis, GICA RCA, vient d’une des deux organisations patronales de République Centrafricaine qui contribue pour 45% aux recettes fiscales mais ne représente que 20 entreprises (les plus grandes), ce qui montre bien la vulnérabilité du pays suite aux conflits armés. Ghislaine Psimhis croit que la mondialisation et la libéralisation des échanges sont des opportunités pour les pays en développement mais un développement n’est durable que si l’on crée des emplois durables qui relèvent l’homme dans sa dignité. Cet objectif doit être commun à tous afin d’être atteint. Il doit concerner les ONG qui sont arrivées pour faire face à des situations d’urgence puis ont proposé des programmes de développement autant que le pouvoir public et que les entreprises privées. Eugénie Malandain représente la Plateforme du Commerce Equitable qui lutte pour que le commerce international réponde à un certain nombre de critères sociaux et économiques et donc pour que les instances de régulation et de gouvernance internationale soient renforcées. Oxfam est une confédération d’ONG actives dans l’urgence et dans le développement. Pour Romain Benicchio, le commerce est un moyen pour lutter contre la pauvreté mais il n’est pas une réponse en soi. Le commerce a un rôle à jouer dans des questions plus larges : il s’agit d’encourager les productions locales et les investissements étrangers mais également de protéger les populations contre les chocs externes. Kif Nguyen représente Café Africa, une association dont l’objectif est de réduire la pauvreté en Afrique à travers la relance des filières café dans chaque pays. En effet, alors que les exportations africaines de café constituaient près de 30% du marché mondial il y a 30 ans de cela, elles ne représentent aujourd’hui plus que 12%. Cette chute est d’autant plus paradoxale que le marché du café est dynamique (croissance de la demande mondiale d’environ 2% par an) grâce à une demande très forte dans les pays émergents. Or, le café a toujours représenté un produit clé dans les zones rurales africaines car il rapporte directement de l’argent qui permet de payer les frais d’éducation ou de santé quand les cultures traditionnelles vivrières permettent simplement la survie. L’ effondrement de la production a eu un impact désastreux car rien n’est venu remplacer cette activité et le revenu qui en était issu. Café Africa entend donc utiliser le commerce comme un levier afin de soutenir le développement durable des zones rurales africaines audelà des aides d’urgence ou de l’assistanat à court terme. La réponse qu’apporte Café Africa est de rassembler tous les acteurs de la filière (planteurs, acheteurs locaux, transformateurs, exportateurs, maisons de négoce, torréfacteurs mais également institutions de recherche et organes de l’Etat) pour encourager la concertation tout au long de la chaîne de valeur. Un diagnostic commun permet le développement de plans d’actions nationaux et de stratégies sectorielles. Par ailleurs, l’engagement de l’Etat et de la filière permet de les mettre en œuvre. Au-delà des plans, la démarche permet à l’Etat et au secteur privé de développer des relations positives qui dépassent l’antagonisme généralement observé. Ce changement de mentalité a une valeur considérable et un impact souvent sous-estimé. L’amélioration de la gouvernance d’une filière permet aussi aux acteurs du secteur privé d’être consultés sur les règles et normes à mettre en place, ce qui évite les problèmes souvent observés dans les pays du Sud de règlements inadaptés bloquant des pans entiers d’une industrie. Enfin, l’amélioration du climat des affaires qui en résulte permet à l’industrie elle-même, ce qui inclut les petits planteurs, de pouvoir faire entendre sa voix et de lutter ainsi efficacement contre la corruption et la parafiscalité qui est souvent la première cause du sous-développement économique dans ces pays. Un élément innovant dans cette approche est de lier des comités locaux de filière à un comité national, ce qui permet à chacun à travers le pays de se faire entendre et de pouvoir suivre la mise en œuvre des plans de relance de la filière. Ils accompagnent bien sûr la mise en œuvre car ils ne souhaitent pas rester au niveau du discours, ce qui implique la levée de fonds avec le gouvernement concerné auprès de grands bailleurs, et l’appui technique à la mise en œuvre de projets de large envergure. Ils disposent ainsi d’une large palette de compétences : du soutien à la mise en œuvre de programmes agronomiques, au renforcement de la qualité du café produit, sans oublier la commercialisation car ils cherchent à aider les filières nationales à obtenir le meilleur prix possible sur le café exporté afin que toute la chaine de production bénéficie de revenus supplémentaires. Adrien de Tricornot demande quelle est la différence entre une activité comme celle de Café Africa et le commerce équitable ? S’agit-il d’une opposition ? D’une complémentarité ? Pour Eugénie Malandain, le commerce équitable repose sur des logiques volontaires des entreprises ou des ONG qui veulent s’engager dans des partenariats économiques et commerciaux pour mettre en place des filières qui répondent aux impératifs sociaux et environnementaux. L’objectif est de tomber d’accord sur un prix juste qui couvre les coûts de production mais intègre aussi les coûts sociaux et environnementaux. D’autres critères sont également pris en compte : la durabilité de l’engagement entre les partenaires commerciaux est le point le plus important car cela permet aux producteurs d’étendre le projet sur le long terme et d’être donc moins dépendants des fluctuations économiques. Par ailleurs, un préfinancement peut être proposé par les acheteurs pour plus de sécurisation sur les approvisionnements. Les acheteurs comme les producteurs s’engagent à respecter les 11 conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) (interdiction du travail des enfants, liberté syndicale…). Les critères environnementaux ne sont pas le pilier le plus développé historiquement mais restent en croissance depuis 5 ans. Aujourd’hui, le commerce équitable fait face à la question du transport : il s’agit principalement de limiter les impacts environnementaux de l’exporta- Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Commerce et pauvreté : quelle connexion ? 33. tion. Lorsqu’on fait un bilan carbone de ces activités, on se rend compte que l’émission des gaz polluants se fait davantage dans les transports au Nord entre les ports et les réseaux de distribution. Des chaines de magasins comme Biocoop s’engagent aujourd’hui à n’acheter des produits équitables que pour des produits qui ne sont pas locaux. Pour Kif Nguyen, le commerce équitable et une structure comme Café Africa sont complémentaires. Dans le secteur du café, il existe beaucoup d’organisations faisant la promotion du commerce équitable et des certifications en général, mais Kif Nguyen souligne qu’un recensement de tous les projets de cafés en Ouganda a montré que seuls 10% des planteurs étaient touchés par des projets d’appui quels qu’ils soient, dont une infime partie par des certifications dites équitables. Comment aider les 90% restants ? Il convient d’agir au niveau de la filière dans son ensemble. La plupart de la valeur le long de la chaîne de production s’évapore du fait de la fiscalité/parafiscalité, des intermédiaires inutiles qui profitent de la désorganisation de la filière et qui prélèvent des commissions insensées ou bien des coûts de transport trop élevés car les routes sont impraticables, sans parler de la corruption. C’est ce qui explique que le planteur touche trop peu. Il est possible en mettant tout le monde autour de la table, avec des 34. Convergences 2015 solutions très simples, d’améliorer le système afin que le maximum du prix d’exportation revienne au planteur mais bénéficie aussi aux autres acteurs qui font un travail utile et nécessaire. En faisant cela on touche 90% de la filière, cela fait une différence. Pour lui, le commerce équitable reste un marché de niche réservé à des personnes capables de payer un coût supplémentaire pour avoir le café ou d’obtenir des subventions qui couvrent le coût des expatriés, des certifications. Adrien de Tricornot constate que tous les intervenants concluent qu’il y a trop d’intermédiaires locaux dans les pays producteurs qui captent la marge des producteurs mais que chacun y apporte des solutions différentes. Eugénie Malandain rappelle que la question de l’intermédiaire est le problème fondateur du commerce équitable mais nuance en précisant qu’en réalité, certains intermédiaires sont indispensables et ont une réelle valeur ajoutée. C’est pourquoi le commerce équitable a aussi un rôle pédagogique en permettant d’aller en profondeur dans la notion de filière, notamment lors de la mise en place d’un label. Selon Kif Nguyen, il est indispensable que la part la plus importante de la valeur ajoutée aille aux producteurs. Or, ces derniers font face à ce qu’ils appellent si bien au Congo des « tracasseries », c’est-à-dire à des dizaines de taxes et à des filières corrompues qui taillent dans leurs bénéfices et Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements découragent les investisseurs potentiels. On estime que l’amélioration du fonctionnement d’une filière pourrait permettre à tous les planteurs de recevoir entre 70 et 80% de la valeur FOB ( free on board , donc livré dans le bateau) du café. Ce serait une amélioration formidable de la situation. Adrien de Tricornot soulève le fait que l’Etat, fragile, est souvent absent de ces filières. Il pose la question de savoir si les Etats occidentaux n’ont pas leur part de culpabilité dans le sous-développement de ces pays en leur demandant de ratifier des conventions internationales alors qu’ils n’en n’ont pas les moyens techniques ou d’ouvrir leurs frontières alors que leurs marchés ne sont pas matures. Peut-on dès lors affirmer que la pratique du commerce est la solution au développement durable ? Ghislaine Psimhis répond que la plus grosse difficulté que rencontre son organisation est le dialogue public-privé. Dans la plupart des pays les moins avancés, l’Etat est en situation précaire ou de banqueroute. Sa priorité doit être d’assurer les salaires pour garantir la paix sociale, car en cas d’émeute et de fragilité sociale, les investissements disparaissent du fait des pillages. On ne peut pas demander à l’Etat de jouer son rôle de régulation du marché. Le problème est que le secteur public incrimine le secteur privé de ses déficiences (soupçons de fraude, mauvaise volonté à contribuer aux dépenses sociales ou recherche excessive de profit) et vice versa (absence d’écoute et de prise en compte de leurs problématiques, insuffisance d’appui au développement des entreprises, gaspillage ou mauvaise gouvernance). Mais face à l’urgence, des partenariats public-privé se sont mis en place, car les besoins en infrastructures sont tels qu’il faut absolument se diriger vers le cofinancement. La priorité, vue du secteur privé, est d’une part d’améliorer le dialogue public-privé afin de régler les questions fiscales et réglementaires, et d’autre part de faire basculer les entreprises, du secteur informel vers le secteur formel. Cela permettra d’augmenter l’assiette fiscale et les revenus de l’Etat. Les entreprises sont entravées par les contrôles et redressements fiscaux, ce qui favorise le développement du secteur informel. favorise l’accès à la santé, à l’éducation et compense les impacts de la volatilité des prix alimentaires. Il réaffirme que le commerce international est un moyen et pas une fin, que la libéralisation n’est pas la solution à tous les problèmes et qu’il faut prendre en considération les particularités de chaque pays dans les négociations. Les intervenants s’accordent à souligner que les pays en développement ont affiné leurs techniques de négociation au cours des dix dernières années : les éléments de langage des représentants de la société civile des pays du Sud se sont étoffés. L’Afrique semble évoluer très vite parce que les gens sont confrontés à une extrême détresse mais ont une soif de vivre qui touche presque à l’acharnement et qui permet l’innovation, l’ingéniosité. Les organisations de producteurs sont dorénavant présentes aux négociations de l’OMC, ce qui permet des négociations plus pertinentes. Kif Nguyen lance alors un appel à une réflexion collective pour repenser les approches de l’aide au développement et financer des projets parfois plus limités mais plus réalisables, qui méritent réellement ces financements. Eugénie Malandain développe l’exemple d’un accord commercial bilatéral entre le Cambodge et les Etats-Unis dans le secteur textile qui conditionne les échanges commerciaux au respect de normes sociales : quand les entreprises textiles cambodgiennes s’engageaient à respecter les conventions internationales du travail, les quotas d’achat de textile augmentaient aux Etats-Unis. Cet accord était financé par l’OIT ; l’aide publique américaine, le secteur privé cambodgien et des ONG américaines et cambodgiennes étaient très impliquées. A la fin du système des quotas, le secteur a tenu car des marques achètent ces produits textiles socialement propres et la société civile internationale joue un rôle très important à ce niveau. Romain Benicchio souligne que l’exportation de produits de base Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde A7 Commerce et pauvreté : quelle connexion ? 35. Questions Quels ont donc été les suites de ce projet au Cambodge ? A-t-il débouché sur l’augmentation des volumes ? De la part de marché ? Il a eu un rôle d’exemplarité. Même si entre 2001 et 2005, le Cambodge était un Etat en phase de post-conflit avec beaucoup de corruption, le dispositif a été efficace. De plus, ce cadre de régulation a poussé le Cambodge à ratifier l’ensemble des conventions de l’OIT et à se mettre aux normes internationales. Cependant, lorsqu’on interviewe des ouvriers et des syndicats, on aperçoit les limites de ces dispositifs car tout repose sur le contrôle du respect des normes de l’OIT qui reste peu fiable. On dit souvent que la mondialisation pourrait réduire la pauvreté grâce aux investissements étrangers. La pauvreté peut-elle être réduite ainsi au niveau local et au niveau de la transformation du secteur informel en secteur formel ? Par ailleurs, quel poids a une organisation comme Café Africa pour changer l’environnement économique et institutionnel, et en particulier le problème des taxes locales ? Ghislaine Psimhis explique que lorsqu’une industrie s’installe, elle provoque des flux de populations et génère des problématiques (déforestation pour bois de chauffe, alimentation sur le site d’implantation, insertion professionnelle et sous-traitance locale…) qui sont de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. Aujourd’hui plus qu’hier, la tendance dans les grandes entreprises privées est à la RSE et elles ont des obligations, négociées avec l’Etat lors de la signature de leur licence d’exploitation, qui font partie de leur cahier des charges : faire des écoles et des dispensaires, aménager des routes ou électrifier une zone, etc. Ces projets bénéficient à l’ensemble de la population. L’investissement direct à l’étranger (IDE) est donc très important quand il est négocié en amont du processus et met la question sociale au cœur des priorités. Pour Kif Nguyen, il est difficile de mesurer son impact mais le principal changement constaté est celui de la mentalité : en faisant évoluer la relation public-privé, ne serait-ce qu’en les mettant autour d’une table pour qu’ils échangent, on a un impact très important sur toute la filière. Au Congo, Café Africa a amené un ministre à constater les « tracasseries ». Le gouverneur s’est également déplacé. A leur retour, le sujet a été mis à l’ordre du jour du conseil des ministres et un discours public a été fait pour déclarer que les taxes allaient être réduites et que des contrôles seraient mis en place. J’ai vécu au Congo et ai fait partie d’une « école spéciale » qui donne des enseignements primaires à des jeunes qui en ont dépassé l’âge. Cette école reçoit 2000 élèves, gratuitement. L’instruction est essentielle dans nos sociétés modernes. Quelle est la proportion de bénéfices faits par ces grandes sociétés allouée à l’instruction ? En République Centre-Africaine, la scolarisation est de la responsabilité du secteur public. Le problème de fond n’est pas tant financier que de travailler autrement. Après des sommes colossales de l’Aide Publique au Développement allouées à l’éducation, rien n’a changé et les populations 36. Convergences 2015 désœuvrées tombent dans la violence. La société civile prend une grande part de responsabilité car quand on investit de l’argent, on se rend vite compte si l’investissement porte ses fruits ou pas. Le consommateur a bien compris que le commerce équitable est un moyen de développement du Sud mais a du mal à se retrouver car on ne lui donne pas les outils pour mieux comprendre. S’il achète un produit équitable, il ne le voit pas comme un acte d’achat commercial égal. Par ailleurs, jusqu’à quel point pouvons-nous permettre l’investissement extérieur dans ces pays ? Eugénie Malandain confirme que les liens avec les consommateurs sont assez difficiles. Les organisations de commerce équitable ont essayé de se rapprocher des associations de consommateurs mais avec difficulté car il y a beaucoup de freins et de critiques. Il est vrai qu’aujourd’hui les frontières du commerce équitable bougent : historiquement il était plutôt Nord/Sud (années 1960) et devient aujourd’hui Nord/Nord et aussi Sud/Sud dans une logique de relocalisation de l’économie. De plus, le développement d’une multiplicité de labels perd le consommateur. C’est pourquoi, la Plate-Forme du Commerce Equitable publie un guide des labels du commerce équitable et de la RSE qui est accessible sur son site internet. Ce dernier a pour objectif d’être un centre de ressources pour le consommateur. Pour Romain Benicchio, le rôle du régulateur est d’orienter l’investissement et d’assurer le lien avec l’économie locale. La question reste de savoir si l’Etat est capable de jouer ce rôle. Kif Nguyen rajoute que beaucoup d’annonces sont faites dans la presse concernant des entreprises qui allaient acheter de grandes surfaces. Il est vrai qu’elles en ont parfois l’idée mais elles se rendent compte rapidement que c’est infaisable : il est impossible de garantir la propriété car l’Etat est faible. Si la production de café a décru en Afrique, c’est certainement qu’un pays d’Amérique Centrale a gagné. Comment se passe la redistribution ? Pour Kif Nguyen, il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle car le marché est en croissance. La flambée des prix, c’est en partie la spéculation mais aussi le fait qu’il y a un déséquilibre fondamental entre l’offre et la demande. Mais il est vrai que sur certains produits comme les minerais, la redistribution est faible. L’augmentation des prix à la production est-elle répercutée aux producteurs ? Il y a toujours un décalage entre le moment où les prix flambent sur le marché et le moment où cette augmentation revient au producteur. Il est tout à fait faux que le producteur ne sait pas vendre son produit : les plus grands groupes ont des employés qui sillonnent les campagnes pour trouver les produits, le producteur a du poids selon l’efficacité de la filière. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Antoine Michon, ATD Quart Monde Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ? Table-ronde // Coopération internationale Modérateur Serge Mostura Directeur du Centre de crise, Ministère des Affaires Etrangères et Européennes Intervenants Xavier Boutin Directeur Exécutif, IECD Anne Leymat Conseillère technique, Handicap International Olivier Gilbert Délégué aux innovations sociales, Veolia Environnement Thierry Mauricet Directeur Général, Première Urgence - Aide Médicale Internationale Anne Héry Directrice des relations extérieures, Secours Islamique France Résumé analytique Une des questions posées par les programmes de développement des ONG est celui la durabilité. Ceci comprend d’une part la question de la pérennité lorsque les programmes sont délégués aux acteurs locaux, mais aussi la question des difficultés à passer d’interventions d’urgence à des programmes de développement. Les intervenants ont tout d’abord souligné les grandes différences entre les programmes d’urgence et ceux de développement, en termes de bailleurs, d’acteurs, de modes de fonctionnement, de finalité. L’urgence ne débouche pas forcément sur du développement, de même que l’on peut se trouver dans une situation de développement, lorsqu’une urgence surgit. Le lien n’est pas véritablement fait. Ceci tient dans le fait que les programmes de développement se mettent en place avec les partenaires locaux, ce qui est plus difficile dans les situations d’urgence. Cette notion de partenariat est essentielle pour la durabilité des programmes de développement, même lorsque l’organisation quitte le lieu. Les relations institutionnelles et politiques sont importantes mais, dans certains pays, du fait de la corruption ou de l’absence d’Etat, l’essentiel est de s’appuyer sur la société civile. Il faut savoir lier le projet de développement avec la société civile et le savoir-faire du pays. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ? 37. Synthèse Cet atelier a pour thème la durabilité des programmes de développement engagés par des « acteurs de développement » tels que des ONG, des agences des Nations Unies, des fondations, des entreprises mais aussi le fait de travailler en partenariat public/privé/associatif et international/national/local qui font la réussite ou pas des programmes. Comment faire pour que les projets soient pris en charge par les communautés après le départ des acteurs de développement et puissent avoir une durabilité ? Mais la question qui se pose est également : quel lien y-a-t il entre l’urgence et le développement ? Quelles sont les difficultés pour passer d’une action d’urgence à une action de développement ? Anne Héry, du Secours Islamique France, rappelle les principes qui gouvernent les ONG dans les situations de crises : les principes d’indépendance, d’impartialité, de neutralité, pour toucher l’ensemble des populations affectées. Le principe qui guide les actions est de sauver les vies et non pas de répondre aux intérêts stratégiques de telle ou telle partie prenante. Mais les relations avec les acteurs locaux sont nécessaires, elles sont même essentielles pour la durabilité des projets. Ce qui amène une première difficulté. Les programmes d’aide de première urgence et de développement sont différents : la finalité, les objectifs, le mode opératoire (travail direct et immédiat dans l’urgence / recherche, travail de fonds, dans le développement), les acteurs ne sont pas les mêmes. Les bailleurs non plus. Il est plus facile de trouver des bailleurs pour 6 mois, dans l’urgence, que pour un plan de développement de 3 ans. Il n’existe pas non plus d’évolution linéaire entre l’urgence et le développement. Le contexte change sans cesse et peut aller de l’un à l’autre. D’où la nécessité qu’ont les ONG d’avoir plusieurs casquettes. L’exemple d’Haïti montre que ce qui s’annonçait comme une fin de l’urgence a été remis en cause avec l’épidémie de choléra, qui a rebasculé la situation. La notion de partenariat est clé, mais elle doit être appréhendée différemment dans les deux cas. Le travail avec le partenaire local dans le développement comporte souvent une composante de renforcement de capacités. Mais il est difficile de travailler dans le même sens en situation d’urgence : la réactivité des partenaires est souvent faible, le type d’activité différent ; ceci peut causer des dégâts dans les relations avec eux. Le partenaire peut aussi se trouver instrumentalisé, ou mis en danger dans le cas d’une situation de conflit par exemple. Le système de coordination dans les deux contextes n’est pas le même. Dans l’urgence, on voit se superposer un système de coordination spécifique, piloté par les Nations Unies, et très tourné vers les acteurs internationaux, laissant une faible place aux acteurs locaux. Anne Leymat, d’Handicap international (acteur d’urgence, de post-urgence mais aussi de développement) rappelle à son tour que les situations d’urgence ne débouchent pas forcément sur du développement. Les enjeux sont différents. L’idée est d’interrompre progressivement et de déléguer dès que possible aux partenaires 38. Convergences 2015 locaux. Handicap International a ainsi mis en place un « Principe de Différentiation Opérationnelle » qui concerne les directions Urgence, Développement et Mine. Chaque direction a un mode d’opération spécifique et différent. Il s’agit d’adapter le mode opératoire aux différentes activités. Le principe de coordination, avec acteurs et partenariats est un moyen de réaliser la mission sociale d’Handicap. Le développement des capacités des acteurs locaux est un gage de pérennité. Xavier Boutin, de l’Institut Européen de Coopération et de Développe (IECD), rappelle que l’urgence crée des interrogations en termes de développement. Des pays ainsi ignorés avant la crise sont soudain découverts. Concernant le financement, les partenariats s’inscrivent obligatoirement dans la durée, mais le financement est court (paradoxe), d’où la difficulté à développer un plan long avec un financement court. Xavier Boutin insiste sur le partenariat. C’est le fruit d’une mobilisation de la société civile locale (association, communautés villageoise) avec une dynamique de développement. Il faut faire en sorte que le local puisse porter et continuer ce projet. C’est le point focal lorsqu’on lance un projet de développement. Le partenaire peut être une institution, coopérative, association. Le projet est une occasion de se renforcer : c’est un outil de renforcement institutionnel. Le partenariat permet aux locaux de s’approprier le projet. Il cite l’exemple de la formation agricole en Côte d’Ivoire. Il faut lier le savoir-faire du pays avec le projet de développement ; il s’agit de sentir ce qu’il y a d’expert dans le pays, en vue de développer les acteurs économiques futurs. La durabilité veut aussi dire que qu’il n’y a pas de contradiction avec les autorités locales. Sachant que les intérêts des élites ne seront pas forcément ceux des populations, ou des ONG. Il faut agir de telle sorte que le projet aille vers le renforcement de la société civile. Les autorités locales doivent participer surtout au niveau des questions de financement. Il faut également développer le partenariat avec les entreprises privées. Dans l’éducation, la santé, la formation professionnelle, le tissu économique s’intéresse à ce que les jeunes soient formés. La question de l’autofinancement est cruciale dans la pérennité. L’essentiel est de mettre tous les acteurs concernés autour de la table et assurer ainsi l’autonomie et l’équilibre financier. C’est un travail d’accompagnement et de renforcement institutionnel. Il faut arrêter de penser en termes de projet (uniquement financier). Il faut continuer le projet jusqu’à ce que les institutions publiques soient capables de le prendre le projet en main. Les bailleurs doivent changer leurs modes de financement. Olivier Gilbert de Veolia Environnement déclare ensuite que dans le cadre des contrats de gestion déléguée de services publics d’eau, d’énergie, de transport et de propreté, Veolia doit généraliser l’accès aux services à l’ensemble des habitants du territoire sur lequel le groupe intervient, et ce quelques soient les capacités financières de Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements ces derniers. Il s’agit d’une mission de service public, et d’une attente des populations et des autorités locales qui fait l’objet chez Veolia de constantes innovations dans le but d’adapter les métiers aux besoins et capacités des habitants les plus défavorisés. Veolia est présent dans les pays en voie de développement depuis une quinzaine d’années. Les contrats qui lient Veolia avec les villes de ces pays prévoient de plus en plus d’objectifs explicites en matière d’accès aux services essentiels. Cette préoccupation s’étend également dans les pays développés où il s’agit plutôt d’innover pour permettre aux habitants qui traversent des périodes de difficulté et de précarité de ne pas être exclus du service pour raison financière. De nombreux programmes sont ainsi menés à l’étranger mais aussi dans les agglomérations françaises, en lien avec les autorités. L’innovation « sociale » tient en 4 points : • L’ingénierie sociale (ou marketing social) : elle vise à construire le dialogue avec populations concernées, à concevoir le service futur avec leur participation et à établir une évaluation socio économique du contexte. C’est le plus important, car c’est cette partie qui conditionne l’appropriation du projet par les populations bénéficiaires. • L’innovation financière : il s’agit de trouver les financements nécessaires pour créer le service qui faisait défaut (raccordement à l’eau et à l’assainissement d’un quartier périurbain) puis le rendre économiquement durable. Ceci nécessite un travail en lien avec les autorités responsables du service et la mise au point d’outils spécifiques : fonds sociaux, modélisation, mobilisation d’aides extérieures y compris internationales, etc. C’est important car la desserte des quartiers non desservis (en général, en périphérie) coûte en général plus cher qu’en centre ville. Par ailleurs, les montants nécessaires aux investissements ne sont pas compris dans les finances locales. • L’innovation juridique ou administrative : il s’agit de régulariser rapidement la situation de familles concernées par les projets, qui ne disposent souvent pas de documents officiels nécessaires à leur raccordement aux services publics (tels que des titres de propriété, des quittances de loyer, etc.) sans créer de précédents qui ne permettraient plus de gérer la ville (c’est surtout en ville que le foncier et les obstacles administratifs sont de vraies contraintes). Naturellement, cette partie se fait en lien avec les autorités publiques compétentes. • L’innovation technique : avec des solutions adaptées aux contextes locaux, visant à s’affranchir de toutes les barrières que l’on rencontre dans les quartiers et zones défavorisés. On peut ajouter une dernière innovation, celle relative à l’organisation du travail. Pour espérer réussir un projet durable, il est nécessaire de travailler en partenariat : partenariats avec les ONG, les autorités locales, les bailleurs, les experts (sociologues, socio économistes, etc.) mais surtout avec la population concernée elle-même et les forces vives locales (médecins, chefs locaux, associations de femmes, etc.) afin d’éviter de « passer à côté » des bonnes solutions et des contraintes socio-culturelles. Enfin, une fois le projet réalisé (la desserte en eau d’un quartier informel par exemple) une des conditions de durabilité du projet concerne la gouvernance : la répartition des rôles en matière de gestion locale du nouveau service doit être la plus claire possible et doit être acceptée par la majorité des bénéficiaires. Thierry Mauricet de Première urgence – Aide médicale parle de l’organisation qui est une création récente visant à rapprocher les deux organisations en vue de faire plus d’urgence. La plupart du temps, l’organisation se substitue aux autorités locales. Toute notion de partenariat est impossible, au delà du partenariat administratif (autorisation de travailler etc.). L’organisation fait en sorte que les populations retrouvent leur niveau de vie précédent, mais elle n’est pas dans une thématique de développement. Première Urgence – Aide médicale reconnaît ainsi qu’il existe un creux au moment où l’association s’en va et s’interroge sur le vide laissé, notamment dans les programmes de relance agricole, etc. L’organisation envisage l’éventualité de se rapprocher de ses collègues, avant de quitter le terrain. Les projets de développement sont beaucoup plus difficiles à élaborer, plus longs. Le temps que les développeurs prennent en main la situation, le cap se perd. Il est difficile de passer la main aux ONG locales, car elles sont souvent en difficultés de financement. Elles n’ont pas accès au même guichet d’aide internationale car elles ne sont, le plus souvent, pas capables de remplir les conditions requises (transparence etc.). Aussi Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Durabilité : comment sortir des programmes d’urgence ? 39. Questions Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ? Il faudrait arriver à ce que les acteurs locaux s’approprient le projet, ce qui est difficile en situation de crise car l’Etat est souvent absent. Il existe donc un système qui tire le programme de développement loin des acteurs locaux (transparence, bailleurs, internationalisation, etc.), mais la réduction du fossé avec les acteurs locaux est une réalité dans certains programmes. Le Secours Islamique France prend l’exemple du Tchad et des projets hydrauliques villageois. Ils développent une relation avec les communautés du fait de la proximité culturelle : le dialogue est plus facile, et donc le taux de durabilité plus long. Handicap International développe ensuite son expérience en Indonésie après le tsunami. Le fait d’avoir le même bailleur pendant 3 ans a permis de sortir de l’urgence et de responsabiliser les autorités locales. Il faut également faire un travail de définition, de diagnostic participatif. En termes de financement, avez-vous des solutions, des exemples de bailleurs de fonds spécifiques ? La question qu’il faut se poser est : quel est le modèle économique de l’action ? Il ne faut pas oublier l’importance de la maîtrise d’œuvre locale et internationale. L’assistance technique sur place est importante et va de pair avec la recherche et l’identification des talents locaux. Les partenariats financiers sont divers. On peut penser par exemple à offrir des services marchands au sein de structures non marchandes (les ONG), vendre des services de production (par exemple la vente de formations aux acteurs économiques, etc.), ou alors instaurer des systèmes de parrainage (familles européennes et élèves locaux, entreprises). Une autre personne de l’assistance soulève ensuite le problème de la rentabilité des programmes. Veolia prend alors l’exemple de projets d’accès à une eau potable au Niger. L’idée est de créer des TPE (très petites entreprises) dans le monde rural permettant à des familles qui n’ont accès qu’à une eau non potable de dégager des revenus de leur agriculture familiale et d’en profiter pour organiser un service de qualité et payer les coûts inhérents à ce service. Quels sont les partenariats avec les autorités locales pour lever les obstacles au moment du lancement des projets, notamment ceux liés à la corruption ? Veolia répond que dans le cadre de ses contrats, le Groupe travaille toujours en lien avec les autorités publiques qui lui ont confié la gestion du service pendant une période donnée afin d’y apporter des changements spécifiés dans un contrat. Si certaines des responsabilités ont été déléguées à Veolia comme l’organisation des services, la gestion du quotidien, l’exploitation des installations, le transfert de savoir-faire aux agents locaux etc., d’autres ne sont pas déléguées comme les décisions relatives aux investissements, les tarifs, le règlement de service etc. Chaque partie joue ainsi son rôle. Ceci est important pour comprendre comment sont gérés ensuite les services : il s’agit de travailler en commun. L’opérateur doit assurer une bonne gestion du service, les autorités délégantes décident des grandes orientations et assurent le cas échéant leurs pouvoirs de police. Pour ce qui est des obstacles, c’est ensemble qu’ils doivent être traités. Par exemple, pour prévenir d’éventuels problèmes de corruption locale, Veolia met en place des procédures et des actions de sensibilisation concernant les règles d’éthique. Si malgré tout des problèmes apparaissent, c’est avec l’autorité délégante que les sanctions sont prises. Par ailleurs, concernant la bonne gestion du service, Veolia doit assurer l’équité de traitement entre tous les usagers des services. Ainsi, il ne peut accepter que des passe-droits existent et que certains usagers ne paient pas leur branchement ou le tarif normal. En tant qu’opérateur, il doit faire respecter le règlement de service fixé et voté par les autorités et passer outre les éventuelles pressions locales visant à favoriser certains clients au détriment d’autres. Il doit garder son indépendance d’entreprise pour mener à bien les missions qui lui sont confiées, dans l’intérêt de l’ensemble de la population. Rapporteur officiel : Christine Rousselot, Réseau Européen de la Microfinance Le lien avec des partenaires locaux (ONG, socio économistes, ou entrepreneurs sociaux) est alors essentiel pour trouver les bons modèles économiques. 40. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements La triple bottom line, nouveau modèle ou utopie ? Table-ronde // Environnement et développement Modérateur Brice Terdjman Directeur Associé, ENEA Consulting Intervenants Stef van Dongen Fondateur, Enviu Fanny Picard Associée, Alter Equity Elisabeth Laville Fondatrice, Utopies Pierre Victoria Vice-Président Développement Durable, Veolia Environnement Résumé analytique Les modèles de reporting fondés sur l’approche triple bottom line sont de plus en plus répandus. Cependant, ce concept reste encore vague et souvent perçu comme porteur de contradictions. La rhétorique de la triple bottom line est-elle trompeuse ? S’agit-il d’un écran de fumée derrière lequel les entreprises qui ne parviennent pas à de réelles performances sociales et environnementales peuvent se cacher ? Est-ce un standard que les entreprises doivent atteindre ? Cette table ronde a rassemblé experts, investisseurs, évaluateurs et représentants d’entreprises afin de mieux comprendre les différents positionnements sur cette notion de triple bottom line. L’approche triple bottom line consiste en l’analyse de la performance d’une entreprise selon 3 critères : social, environnemental, économique. Elle peut être considérée comme la transposition de la notion de développement durable dans les entreprises. Sa mise en pratique peut être motivée par différents éléments : elle peut résulter de nouveaux besoins liés aux problèmes sociaux et environnementaux actuels, de la volonté de dirigeants de gérer leur entreprise de façon responsable, de nouvelles attentes des consommateurs qui recherchent des produits respectueux de l’homme et de l’environnement. Quelle qu’en soit l’origine, il est nécessaire de disposer d’éléments pour évaluer les performances sociales et environnementales des différents acteurs. Plusieurs méthodes de mesure ont vu le jour mais aucun standard n’a encore émergé de façon reconnue. A ce stade, ces méthodes sont généralement imparfaites car on ne sait pas encore bien mesurer certains paramètres. Elles permettent néanmoins de comparer les projets en fonction de certaines dimensions de leur utilité sociale ou environnementale. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La triple bottom line, nouveau modèle ou utopie ? 41. Synthèse Brice Terdjman a débuté la table-ronde par une brève introduction à la notion de triple bottom line (TBL). Cette approche consiste à évaluer la performance sous trois angles : économique, environnemental et social. Elle peut être utilisée par des acteurs très différents : ONG, fonds d’investissements, de dotations, entreprises, entrepreneurs sociaux, etc. Comment les acteurs appliquent-ils cette notion au sein de leurs structures ? Quelles sont les motivations et les évolutions de cette approche ? Dans un premier temps, Fanny Picard a présenté Alter Equity, un fonds d’investissement s’appuyant sur l’idée que la recherche de rentabilité est compatible avec une pratique éthique des affaires. Son objectif est de servir un rendement dynamique à ses investisseurs tout en contribuant à l’intérêt général d’un double point de vue : • d’un point de vue sectoriel : en investissant dans des entreprises (non cotées en bourse), dont l’activité a un impact social ou environnemental positif; • et d’un point de vue opérationnel : en accompagnant ses participations dans la mise en œuvre d’un business-plan extra-financier, encourageant et cadrant un progrès vers plus de responsabilité sociale. Elisabeth Laville a ensuite expliqué l’origine d’Utopies, cabinet de conseil spécialisé en développement durable. Utopies est né en 1993, du constat que les entreprises ne prenaient pas en compte les enjeux environnementaux et sociaux dans leur stratégie. Or, ce sont des éléments cruciaux, puisque qu’une entreprise ne peut pas prospérer dans un environnement humain qui se dégrade. De plus, les questions sociales et environnementales peuvent avoir un impact financier non négligeable. Il est donc nécessaire pour les entreprises d’intégrer ces dimensions à leur stratégie. Pour Elisabeth Laville, si des progrès ont été faits dans la compréhension des concepts liés au développement durable, ils restent insuffisants dans la pratique et il faudrait un changement bien plus radical. Selon elle, le problème réside dans le fait que la stratégie business et la stratégie développement durable sont élaborées séparément. Il faudrait établir clairement le lien qui existe entre les deux pour prendre conscience de leur impact mutuel. Il s’agirait ainsi d’une question de gouvernance. Pour Pierre Victoria, Veolia Environnement, l’application de la TBL provient de la nature même de l’entreprise. En effet, Veolia est une entreprise de services à l’environnement. Elle se doit de répondre aux attentes des collectivités territoriales clientes, qui ont inscrit la durabilité des territoires au cœur de leurs stratégies et de leurs orientations. L’entreprise a donc dû construire un modèle économique répondant à des exigences aussi bien environnementales et sociales qu’économiques. Stef van Dongen est le fondateur d’Enviu, une organisation qui développe des solutions innovantes en réponse aux problèmes sociaux et environnementaux. Il possède une vision moins pessimiste de la 42. Convergences 2015 situation actuelle : les jeunes se mobilisent de plus en plus, l’innovation se fait de manière très rapide… Il considère que le changement en matière de développement durable est déjà initié, et que le défi pour les acteurs du secteur est désormais de parvenir à coordonner leurs efforts pour introduire les entreprises sociales sur le marché et pouvoir réellement mesurer leur impact social. La dimension sociale est désormais primordiale, complète Pierre Victoria. Ainsi, Veolia s’efforce de lutter contre la précarité par différents moyens : nouveau système « Allô Solidarité » pour venir en aide aux employés en situation de précarité, formations diverses, chèques eau, etc. Pour Elisabeth Laville, l’émergence de ces problématiques sociales et environnementales est liée à la crise de ces dernières années, et les entreprises s’en servent aujourd’hui pour améliorer leur image. Elle est donc peu optimiste quant à la capacité des grands groupes à intégrer ces dimensions, malgré l’existence de quelques exemples positifs d’engagement. Marks and Spencer, par exemple, s’engage à ce qu’un produit sur deux soit « garanti développement durable ». Il existe très peu de démarches semblables dans le monde, et pourtant, selon Elisabeth Laville, cela devrait être le rôle des grands groupes de transformer le marché : « Il existe un potentiel des consommateurs responsables, qui ne demande qu’à être révélé par des offres. C’est aux entreprises de faire l’éducation de leurs actionnaires ». Fanny Picard pense que les consommateurs et les salariés poussent les entreprises vers la prise en compte de démarches d’intérêt social et environnemental. Un grand nombre de sondages viennent attester de cette évolution des consommateurs. On peut ainsi citer les résultats suivants : • 75% des français disent attendre que les entreprises développent des produits respectueux de l’environnement, 71% qu’elles proposent des produits de bonne qualité et 52% qu’elles traitent bien leurs salariés (Sondage EURO RSCG - Harris Interactive nov. 2009). • 76% des français se reconnaissent dans l’assertion « je privilégie les produits respectueux de l’environnement même s’ils coûtent un peu plus cher » (IFOP-Journal du Dimanche, fév. 2009). Pour 69% des français, la première responsabilité d’une entreprise est son attention à la santé et à la sécurité des salariés (Ethicity-TNS Media, fév-mars 2010). Cette évolution importante des consommateurs suite à la crise financière et économique de 2008 entraîne des changements très rapides et structurants dans un certain nombre d’entreprises. Ce mouvement vers la responsabilité sociale et environnementale est porteur d’espoir. Il ne suffit malheureusement pas à ancrer l’optimisme au regard de l’ampleur et du calendrier des enjeux de dérèglement climatique et de la souffrance sociale auxquels nous faisons face. Selon Stef van Dongen, les entreprises investissent déjà énormément Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements d’argent dans les problématiques de développement durable, et ne pourront pas changer le marché seules. Il pense que l’ensemble des acteurs devraient se coordonner pour repenser totalement les modèles actuels de la valeur et de la propriété, car le changement doit venir de l’extérieur. Quid des investisseurs ? Pour Fanny Picard, les marchés financiers ne reconnaissent à ce stade aucun autre rendement que le rendement financier. L’ISR (Investissement Socialement Responsable), représente de l’ordre de 3% de la capitalisation de la Bourse de Paris, c’est-à-dire un encours marginal. Mais les mentalités et les pratiques évoluent rapidement. Au sein du private equity, l’investissement dans les entreprises non cotées, dans l’ensemble des pays à culture financière ancienne, fait émerger un certain nombre d’acteurs soutenant une responsabilité sociale et environnementale. En ce qui concerne les marchés boursiers, ce sont probablement les émetteurs qui expliqueront au marché la profondeur de la demande qu’ils lisent chez leurs consommateurs et leurs salariés. Il est probable que les marchés – même s’ils n’ont pas encore intégré cette évolution – y procèdent par basculement, de façon rapide, dès qu’ils auront compris l’importance sur le rendement ainsi – et c’est fondamental – que sur la réduction des risques. il existe de nombreuses initiatives de ce type. La difficulté est que beaucoup d’éléments ne sont pas chiffrables, mais doivent malgré tout être pris en compte. Fanny Picard pense que même si les indicateurs actuels de bien-être social ou de progrès environnemental sont encore imparfaits, ils permettent de cumuler des premières expériences, de faire émerger des acteurs de ces évaluations, et de comparer les projets entre eux, dans le temps et les uns par rapport aux autres. Si Stef van Dongen reconnaît la difficulté de mesurer des éléments tels que le bien-être, la satisfaction ou autres choses non chiffrables, il met également l’accent sur la nécessité de rendre des comptes aux actionnaires et aux parties prenantes. Enfin, on peut se demander quelle est l’utilité de ces indicateurs pour continuer de parler de croissance à une société dont la survie passe par une moindre prédation sur les ressources malgré l’émergence démographique ? Rapporteur officiel : Sébastien Goua, Croix-Rouge L’accent a ensuite été mis sur l’importance de l’innovation dans la conduite du changement. Pour Elisabeth Laville, si le développement durable n’est pas considéré comme un levier de l’innovation, il ne changera jamais d’échelle. Par ailleurs, Stef van Dongen a présenté l’impact investment comme une opportunité pour les ONG de se positionner en tant que pionniers dans l’utilisation de cet outil innovant. Elisabeth Laville préconise d’observer autour de nous et de s’inspirer des méthodes déjà utilisées qui fonctionnent. Aux Etats-Unis par exemple, Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La triple bottom line, nouveau modèle ou utopie ? 43. Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : Discussion sur les bonnes pratiques Table-ronde // Economie sociale et solidaire Modérateur Anne Rodier Journaliste, Le Monde Economie Intervenants François-Xavier Hay Directeur des partenariats, MACIF Nicolas Hazard Directeur de cabinet du délégué général, Groupe SOS Hugues Sibille Vice-Président, Crédit Coopératif, Président, AVISE Résumé analytique Il existe différents statuts pour les organisations d’économie sociale et solidaire (ESS) en France et en Europe, qu’il s’agisse des entreprises sociales, des associations, des coopératives, des mutuelles ou des fondations. Dans quelle mesure ces statuts déterminent-ils les objectifs et les succès de l’organisation ? La gouvernance est un élément essentiel dans la gestion d’une entreprise sociale. En effet, ce sont les statuts particuliers qui déterminent la gouvernance et distinguent une structure de l’économie sociale et solidaire d’une entreprise « classique ». La multiplicité des statuts existants en France permet à chaque porteur de projet d’adopter la forme de gouvernance la plus pertinente selon la finalité qu’il souhaite donner à sa structure. Du point de vue des investisseurs potentiels ou du grand public, cette diversité peut engendrer un manque de lisibilité des entreprises de l’ESS. 44. Convergences 2015 Se pose alors la question de la création d’un statut d’entreprise sociale. Pour certains, cela permettrait de faciliter l’accès aux capitaux pour ces entreprises. Pour d’autres, le statut n’est pas une preuve d’impact social et il serait préférable de mettre en place un label qui jugerait des pratiques réelles des entreprises au quotidien, à un moment donné. Par ailleurs, l’impact social est une notion difficilement mesurable, et les méthodes d’évaluation varient selon les structures et leur champ d’action, mais il est néanmoins une condition souhaitée par un nombre croissant d’investisseurs acceptant de prendre des risques malgré la lucrativité limitée des entreprises sociales. A partir de ces réflexions, la MACIF, le Crédit Coopératif ainsi que le groupe SOS nous ont apporté un éclairage sur les pratiques actuelles des entreprises sociales. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Lors de cette table-ronde, les participants ont réalisé un état des lieux des modèles de gouvernance existants, et ont mis en lumière l’importance de cet élément dans la gestion d’une entreprise sociale, en s’appuyant sur leur propre expérience. Dans un premier temps, Nicolas Hazard a présenté le Groupe SOS, qui possède la particularité de cumuler en son sein plusieurs statuts différents. Présent en France métropolitaine et dans les Départements d’Outre Mer (DOM), il compte aujourd’hui 4 000 salariés, répartis en 3 pôles d’action : le pôle santé et social, le pôle éducation et formation, et le pôle d’insertion par l’activité économique. La structure du groupe est particulière : il se compose d’une quarantaine d’entreprises sociales de statuts variés – associations, entreprises, coopératives – et a fait le choix de mutualiser certaines fonctions et compétences en créant un groupement d’intérêt économique. Selon Nicolas Hazard, cette organisation permet une structure de gouvernance optimale. D’une part, car le groupe est détenu par 3 associations principales. Il s’agit ainsi d’une association de personnes morales, ce qui garantit la non-lucrativité du groupe et lui confère davantage de légitimité en tant qu’acteur de l’économie sociale et solidaire. D’autre part, la multiplicité des statuts permet de distinguer, selon l’impact recherché et le « degré commercial », le statut le plus adapté pour chaque activité. Pour les activités d’intérêt général, par exemple, on privilégiera plutôt un statut associatif. Pour Nicolas Hazard, si le statut constitue un élément essentiel de la gouvernance, du fait de son rôle déterminant dans le pilotage de la structure, il n’est cependant pas une condition suffisante de succès. Selon lui, l’enjeu le plus important réside dans la mesure de l’utilité sociale. La spécificité de l’économie sociale et solidaire repose sur 3 éléments principaux, a ensuite rappelé Hugues Sibille. L’ESS, ce sont d’abord des valeurs : démocratie et solidarité. Ce sont ensuite des statuts particuliers qui établissent des règles portant sur deux aspects : le partage du pouvoir, « un homme=une voix », et des profits car les excédents mis en réserve sont non attribuables à titre personnel et doivent être réinvestis dans l’activité de l’entreprise. Enfin, l’émergence de la responsabilité sociale des entreprises fait partie intégrante du mouvement, puisque c’est là que se jouent les équilibres entre rentabilité et solidarité. Or, c’est au niveau de la gouvernance que se font les arbitrages relatifs à ces trois éléments. C’est donc elle qui permet de garantir l’application des principes de l’ESS par l’entreprise. Francois-Xavier Hay rappelle l’importance des statuts décrivant la « raison sociale », l’intention sociale à l’origine du projet, les règles de partage des pouvoirs et des profits. Ces éléments sont fondamentaux car ils régulent le fonctionnement de la structure et permettent de distinguer la société de personnes (un homme=une voix) de la société de capitaux (un euro=une voix). Par conséquent, l’économie sociale se différentie de l’économie capitalistique par un partage du pouvoir démocratique et non fondé sur la propriété d’un capital. Si l’on y ajoute l’impartageabilité des réserves obligatoirement attachées à l’objet social. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des statuts la qualité de leur mise en pratique est primordiale pour l’impact d’une entreprise sociale. Suite à ce premier échange sur l’importance du système de gouvernance dans les entreprises sociales, les intervenants ont été interrogés sur leurs pratiques au sein de leurs organismes. A la MACIF, comme nous l’a exposé Francois-Xavier Hay, le principe de solidarité est mis en œuvre à travers le partage des excédents, qui sont soit injectés dans l’activité de l’entreprise, ou affectés à des actions telles que les activités prévention, la fondation, ou autres activités de la vie mutualiste du groupe qui concourent à la résolution des enjeux sociétaux. Le système « un homme=une voix » garantit quant à lui l’application du principe démocratique : les quelques 2 000 délégués sont élus par les sociétaires, et parmi eux sont nommés les administrateurs au niveau national. Les délégués sont issus des partenariats politiques et les débats menés par les délégués animent la gouvernance et orientent les décisions de la société. Le consensus construit par la diversité des partenariats politiques permet de minimiser les risques dans les processus de décisions de l’entreprise. Qu’en est-il pour une banque coopérative ? Si Hugues Sibille reconnaît le challenge de mettre en place une réelle démarche participative dans une structure de grande échelle, le Crédit Coopératif s’efforce de faire concorder théorie et pratique. Ainsi, les 33 000 personnes morales qui sont ses sociétaires peuvent prendre part aux décisions en participant, entre autres, aux assemblées générales régionales qui annoncent les résultats de la banque, définissent les grandes orientations, désignent le Conseil d’administration. Deux autres particularités sont également à noter dans les pratiques du Crédit Coopératif : la publication d’un rapport coopératif mentionnant l’origine et l’utilisation des ressources financières, ainsi qu’un système de parties prenantes. Dans chaque région, un Comité de région composé de partenaires, sociétaires et clients a été mis en place pour discuter du fonctionnement de la banque et mieux comprendre son organisation et ses besoins. Le modèle de développement du groupe est un modèle partenarial, basé sur la coopération et la coproduction entre la société et ses clients. Cela permet d’être plus proche des besoins des parties prenantes. La troisième partie de la discussion a été dédiée à la question de l’impact, et des éléments dont disposent les entreprises sociales pour l’évaluer. Selon Nicolas Hazard, l’impact social présente autant d’importance que l’impact financier. Il est cependant difficile à mesurer, en particulier Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : Discussion sur les bonnes pratiques 45. au sein du groupe SOS, du fait de la diversité des activités exercées. La méthode d’évaluation varie donc d’une activité à l’autre. Pour les activités d’insertion professionnelle par exemple, SOS évalue le pourcentage de personnes qui retrouvent un emploi dans une entreprise classique au bout des 3 premiers mois de recherche. Concernant les Centres d’Education Renforcés (CER), les statistiques montrent que le taux de récidive pour les jeunes délinquants est moins élevé au sortir d’un CER qu’après une peine carcérale. C’est en se basant sur ce type de données que SOS analyse son utilité sociale. Au Royaume-Uni, des social impact bonds ont été créés, ce sont des obligations rémunérant les entreprises sociales en fonction de leur impact social. Cela fait émerger deux interrogations : doit-on tendre vers ce type de système ? La lucrativité doit-elle être liée à la performance, même pour une entreprise sociale ? A la MACIF, explique Francois-Xavier Hay, les enjeux sociétaux guidant les prises de décisions sont variés : accès à la santé/dépendance, accès au logement, à la mobilité, surendettement… L’impact social des activités menées est simplement exprimé par les retours formulés par les délégués, représentants des sociétaires. Le rapport des activités mutualistes et de la responsabilité sociale de l’entreprise complète cette évaluation. 46. Convergences 2015 Pour Hugues Sibille, le premier élément à identifier pour mesurer l’impact du Crédit Coopératif est l’utilisation de l’argent par la banque. Chaque année, 8 milliards d’euros sont déposés au Crédit Coopératif, il est donc crucial de savoir à quoi ils sont employés. Près de 40% de ces dépôts servent à financer des associations ou des activités d’intérêt général. Cette traçabilité des flux est fondamentale car cela amène plus de transparence donc plus de confiance. Enfin, les derniers échanges ont porté sur le débat autour de la nécessité d’un statut pour les entreprises sociales. En effet, l’ensemble des acteurs du secteur s’accordent à reconnaître le manque de lisibilité des entreprises sociales. Pour François-Xavier Hay, un statut unique n’est pas nécessaire, car il existe suffisamment de solutions permettant de créer des structures. Selon lui, l’enjeu n’est pas tant dans les statuts que dans les pratiques et leur mesure. Il estime plus judicieux de mettre en place un label qui jugerait les pratiques des entreprises et associations car ce n’est pas un statut qui garantit l’impact social d’une entreprise mais bien ses pratiques. Et si celles-ci changent et ne sont plus jugées sociales, il est aisé d’ôter le label alors qu’il est très difficile de retirer un statut. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Hugues Sibille ajoute que différentes utilisations peuvent être faites d’un label : il peut faire office de marque pour communiquer, être un référentiel, ou bien être plus contraignant. Par exemple, pour les finances solidaires, il existe le label Finansol, piloté par un comité indépendant du label, qui établit un certain nombre de critères de solidarité et de transparence. Dans tous les cas, il faut déterminer qui attribue le label (pouvoirs publics, acteurs du secteur…). Par ailleurs, le Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux) met en avant 4 critères qui, selon lui, définissent une entreprise sociale : • L’ objet de la société doit avoir une finalité sociale ; • La profitabilité doit être limitée ; • L’écart de rémunérations doit être limité ; • Les bénéfices doivent être réinvestis dans l’activité de l’entreprise. Mais cela permet-il une lisibilité suffisante pour les investisseurs potentiels ? Hugues Sibille poursuit en expliquant que si un nouveau statut spécifique d’entreprise sociale était créé, on risquerait d’aboutir à la formation d’un « ghetto » des entreprises sociales. Le premier souci pour les entrepreneurs sociaux, explique Nicolas Hazard, est la levée de fonds. Avec un statut associatif, il est impossible d’ouvrir son capital aux actionnaires pour augmenter les financements. Il y a un équilibre à trouver : on peut envisager en revanche dans une société de capitaux, dans le pacte des actionnaires, une limitation de la lucrativité, mais il sera plus délicat de trouver des investisseurs prêts à prendre des risques. L’enjeu est donc le suivant : comment faire aujourd’hui pour lever des fonds en tant qu’entrepreneur social et comment changer d’échelle sans refroidir les investisseurs ? Le modèle de la Community Interest Company, lancé au Royaume-Uni en 2005, constitue une option envisageable. Ou encore, on pourrait imaginer des entreprises avec un statut de Société par Actions Simplifiée (SAS) auquel on ajouterait un statut fiscal particulier destiné aux entreprises sociales. Les structures de gouvernance, nous l’avons vu, constituent donc un élément crucial dans le succès d’une entreprise. L’enjeu réside désormais dans la lisibilité des entreprises de l’ESS, et il n’existe à ce jour aucune solution miracle. Il incombe ainsi à chaque entrepreneur social de savoir s’inspirer des modèles de réussite et d’adopter la gouvernance la plus adaptée à son entreprise, selon son objet social, ses capacités de développement les ambitions et l’implication de ses membres dans une gouvernance démocratique ou capitalistique. Rapporteur officiel : Pauline Barthel, Croix-Rouge Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde A3 Une bonne structure de gouvernance, clé de la réussite : Discussion sur les bonnes pratiques 47. Une comparaison des définitions de l’économie sociale dans différents pays Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Entrepreneuriat social Modérateur Apostolos Ioakimidis Administrateur Principal, Direction Générale Industrie et Entreprises, Commission européenne Intervenants Tarik Ghezali Délégué Général, Mouvement des entrepreneurs sociaux Joshua Motta Investisseur principal, IGNIA Fund Anne-Claire Pache Professeur Assistante en entrepreneuriat social, ESSEC IIES Résumé analytique Cette table ronde porte sur les diverses définitions de l’économie et des entreprises sociales. Il en ressort deux grandes tendances : une définition américaine et une définition française très différentes. La définition américaine est pragmatique ; elle se concentre sur les résultats. Aux Etats-Unis, une entreprise sociale est une entreprise ayant des répercussions positives sur la communauté, apportant des produits de qualité et développant des compétences au sein de la communauté. Une entreprise sociale est non lucrative, participative et a un certain statut juridique. Cette définition étant malgré tout restrictive, il est possible d’aller au-delà et de considérer une entreprise sociale selon sa finalité. En France, l’entreprise sociale doit être viable économiquement, avoir un objectif social, encadrer sa lucrativité et enfin avoir une gouvernance démocratique et participative. Ainsi, il n’y a pas une seule définition de l’économie sociale ; mais toutes se recoupent sur un point essentiel : celui de protéger les populations les plus vulnérables. En France, la définition est beaucoup plus cadrée : en effet l’entreprise sociale a été définie par le législateur. 48. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Quelle est la définition américaine de l’économie sociale ? Pour Joshua Motta, investisseur principal chez IGNIA, l’économie sociale et l’investissement dans celle-ci doivent permettre aux communautés d’acquérir des connaissances et habiletés techniques. Selon lui, l’intérêt pour les communautés n’est pas le type d’investissement qui est effectué, mais bien les répercussions que ces investissements provoquent. Ils doivent donner aux communautés un produit de qualité au meilleur coût possible. Les investissements doivent servir à créer un impact économique et social apportant une plus value à la communauté. Ils doivent également permettre aux communautés de développer des compétences dans un domaine précis et ainsi faciliter l’accès au travail dans les entreprises créées. Les produits et services fournis doivent refléter un haut standard de qualité. Toujours selon Joshua Motta, les gens ne considèrent pas le type d’entreprise et de secteur, mais seulement les résultats qui sont tirés de ces investissements. Un exemple parlant est celui d’un important investissement privé réalisé au Mexique et ayant permis de développer un réseau de téléphone mobile prépayé. Ce réseau a pu offrir un excellent service de téléphonie mobile, à un prix bien en dessous du marché des opérateurs traditionnels. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Aux Etats-Unis, les investisseurs ne parlent pas de l’économie sociale; pour eux, ce secteur de l’activité économique se nomme the third sector. Quelle est la définition française de l’économie sociale ? Selon Anne-Claire Pache, professeur à l’ESSEC, l’économie sociale se décline en deux principales définitions, l’une se basant sur la légalité des statuts et l’autre sur la finalité. La première est la définition juridique, une spécificité française selon laquelle les entreprises sociales doivent être non-lucratives. De plus, leur structure doit être construite dans un esprit de démocratie. Chaque personne a droit à un vote, contrairement aux entreprises capitalistes où le nombre de vote dépend du capital investi. Les mutuelles, les fondations et les coopératives font partie de ce type d’entreprise. La deuxième est la définition selon la finalité. Selon cette définition, l’entreprise produit des biens et/ou services à valeurs sociales ajoutées. Ces entreprises favorisent l’intérêt général et les profits ne sont pas redistribués, mais réinvestis dans la communauté ; l’entreprise est là pour la collectivité. Une comparaison des définitions de l’économie sociale dans différents pays 49. La caractéristique principale de l’économie sociale en France réside dans son organisation. Celle-ci s’est développée en contre point de l’activité capitaliste traditionnelle, elle suit un courant divergent favorisant l’enrichissement collectif. On peut dégager quatre fondamentaux de l’économie sociale vue par la France : • Un projet économique viable. • Une finalité sociale forte (on répond à un problème social) : Lorsque la solution sociale n’existe pas, il suffit de la créer. Le meilleur exemple serait celui de la Grameen Bank créée par Muhammad Yunus. Il a su développer un outil simple qui permit à plusieurs communautés de se développer. • Une lucrativité limitée et encadrée. • Une gouvernance participative : Il faut faire participer les parties prenantes des projets. La participation permet aux entreprises sociales d’avoir une direction collective. Cette définition accepte l’idée du renouvellement permanent autour de ces principes fondamentaux. Cette vision de l’économie sociale se distingue de celle partagée dans le milieu américain. En France, l’engagement envers l’économie sociale prend un rôle politique. Le législateur favorise ce type d’économie en créant un espace juridique favorable. Aux Etats-Unis, le third sector est soutenu par un mouvement populaire citoyen, il bénéficie beaucoup moins de l’appui des pouvoirs publics. Son principal soutien provient de l’engagement philanthropique de fondations privées. 50. Convergences 2015 L’économie sociale s’est développée en deux familles. La première privilégie la forme non-lucrative. Elle se développe autour de l’économie solidaire en faisant travailler des gens en réinsertion sociale ou en favorisant le commerce équitable. La deuxième famille favorise un statut lucratif dans l’espoir de mener à bien un objectif social. Ces concepts sont relativement nouveaux puisqu’ils ont été créés vers la fin des années 1990. Il existe aussi un dernier concept de l’économie sociale en France. Il s’agit de l’entreprise et de l’entrepreneuriat social. Cette idée fait référence à un état d’être et d’esprit axé sur l’entreprenariat. Elle vise à développer au maximum les impacts sociaux de ces entreprises sur la communauté. Elle s’inscrit dans une logique ambitieuse au service de l’économie sociale. Elle permet de créer des ponts entre le monde capitaliste traditionnel et l’économie sociale. Ainsi, l’économie sociale ne peut se définir d’une seule et unique façon. Tous les intervenants présents lors de cette table-ronde s’accordent en ce sens. L’économie sociale s’est graduellement développée depuis le début du siècle dernier et semble prendre une nouvelle tangente suite à la crise financière de 2008-2009. Que la définition de l’économie sociale s’oriente vers l’approche étatsunienne ou française, elle poursuit le même objectif, celui de venir en aide aux communautés vulnérables. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Louise Swistek, Groupe SOS Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ? Table-ronde // Coopération internationale Modérateur Philippe Ryfman Professeur, Université Paris I Intervenants Alain Boinet Directeur Général, Solidarités International Michael Philip Cracknell Co-directeur, Enda interarabe François Danel Directeur Général, Action Contre la Faim Jean-Guy Henckel Fondateur, Réseau Cocagne Béndicte Hermelin Directrice Générale, GRET Frédéric Roussel Co-fondateur, ACTED Résumé analytique Les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont une promesse pour les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Cependant, les pauvres ont besoin de moyens de subsistance durables pour sortir de la pauvreté. Ceci peutêtre notamment atteint par la création d’emplois, de biens et de services pour les pauvres. Quel est le rôle des ONG dans ce domaine où elles ont longtemps été perçues comme une réponse à court terme dans les situations d’urgence plutôt qu’une réponse à long terme contre la pauvreté ? L’axe socio-économique est une composante essentielle du travail des ONG. Outre les réponses que celles-ci peuvent apporter en situation d’urgence ou de crise, leurs activités doivent impliquer directement les populations et dans la mesure du possible leur donner les moyens d’assumer certaines responsabilités de façon pérenne. A l’image d’ACTED qui s’emploie à contribuer de façon durable au développement des zones d’intervention, le GRET œuvre à former et accompagner les populations pour les rendre autonomes. Les ONG s’attachent également au respect de la dignité humaine dans l’aide aux populations. Dans cette optique, Alain Boinet rappelle d’ailleurs que la création d’emploi et de revenu est fondamentale, bien qu’elle ne constitue pas une fin en soi : que l’ONG ait ou non cette vocation, elle doit d’abord s’adapter aux besoins des populations locales et trouver sa place aux côtés des pouvoirs publics. Peu aidée dans cette tâche par le consensus géo-économique de Washington, il lui faut s’appuyer sur la collaboration des parties prenantes et l’intérêt collectif, pierres angulaires de la coopération et du développement économique. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ? 51. Synthèse ACTED est une ONG qui intervient en situation d’urgence, c’est-à-dire après un grave problème, mais également en post-crise. Frédéric Roussel a la forte conviction qu’après avoir dépassé les questions de vie ou de mort, une autre dimension est à prendre en compte : c’est l’axe socio-économique. En effet, la principale composante d’une crise est l’effondrement des revenus : en cas de crise, les victimes perdent leurs biens mais également leur travail et donc leur source de revenus. Dans les sociétés traditionnelles, le travail structure aussi bien le revenu que le statut et l’insertion par l’activité. Au Pakistan, l’été dernier, seulement trois jours après les inondations, ACTED a employé des dizaines de milliers de personnes pour déblayer et reconstruire. Il était possible de louer quelques bulldozers mais avec l’outil du cash for work , on a employé des personnes, pour quelques jours seulement mais cela a permis d’assurer un revenu individuel mérité et donc du lien social et de la dignité. Plus les distributions de biens et services se maintiennent, plus la situation devient difficile. Les populations qui restent des années dans des camps de réfugiés sont les plus difficiles à réinsérer dans un tissu normal. C’est pourquoi l’action humanitaire doit élargir son action en s’occupant non seulement de sauver des vies mais également de ce qui va autour. C’est pourquoi ACTED construit des routes. Ce n’est pas humanitaire au sens propre du terme mais cela permet le déplacement et la réinsertion de populations réfugiées ou déplacées. L’idée principale est d’assumer que les bénéficiaires ont aussi le droit de devenir riches. Ils ont les mêmes attentes que nous : maximiser leurs revenus pour eux et pour leurs familles, afin de maximiser le soin et l’éducation. Cette théorie est porteuse d’un grand nombre de renouvellements dans le secteur des ONG. L’objectif du GRET est de permettre un développement durable, donc sous-tendu par un développement économique. Le GRET n’est ni une ONG d’urgence ni une ONG humanitaire, c’est une ONG de développement. Bénédicte Hermelin prend l’exemple de l’action du GRET pour l’accès à l’eau potable : le GRET ne construit plus de puits ni même de bornes fontaines (point d’accès collectif dans un village) mais travaille sur le raccordement et le réseau pour que chaque foyer ait l’eau dans son habitation. Outre une certaine qualité de vie, ce système permet une mobilisation des bénéficiaires en cas de défaillance du système. L’ONG apporte un savoir-faire et un accompagnement dans la mise en place. Elle forme les bénéficiaires pour qu’ils soient autonomes dans l’entretien de ces systèmes. Et comme cet entretien a un prix, les bénéficiaires doivent payer suffisamment pour que le système soit indépendant et autonome. Le GRET intervient également auprès des collectivités locales pour que les populations soient aidées et qu’un service public soit mis en place. Il s’agit de faire en sorte que la parole des acteurs soit prise en compte dans les politiques publiques. L’idée fondamentale est qu’une ONG n’a pas vocation à rester sur le terrain ni à se substituer à qui que ce soit. Il faut qu’à son départ du terrain, le service soit en place et autonome. L’ONG Solidarités International est née dans les années 70 avec la génération « Sans Frontière » et trouve ses racines dans le fait d’aller au secours 52. Convergences 2015 des populations en danger même sans autorisation. Solidarité International intervient dans des pays très pauvres confrontés à un conflit qui détruit les vies et les moyens de subsistance. Cette intervention s’inscrit dans le temps et va de la rupture à la sortie de crise. A chaque phase correspond des besoins précis. La période d’urgence est celle des conflits et des mouvements de réfugiés pendant laquelle il s’agit de répondre à des besoins vitaux. Lors de la sortie de conflit, les besoins évoluent, les populations se réorganisent et les structures existantes reprennent l’initiative, il faut alors répondre à des besoins plus durables. Comme Frédéric Roussel et Bénédicte Hermelin, Alain Boinet croit qu’il est fondamental de créer de l’emploi pour le revenu et la dignité. Solidarités International emploie d’ailleurs 10 nationaux pour 1 expatrié. Mais sa conviction profonde reste que ce n’est pas un but en soi : le plus important est d’adapter son action aux besoins des populations. En Afghanistan, Solidarités International est présente depuis 30 ans et mène en parallèle des programmes d’urgence à Kaboul auprès des réfugiés et des programmes d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans la banlieue de Kaboul. La question fondamentale que se pose toute ONG est : jusqu’où aller ? Il ne faut pas se substituer aux populations ou au gouvernement. De plus, entre l’urgence et le développement, il y a la reconstruction qui est une étape importante et qui accompagne le processus de paix. Aujourd’hui, les dispositifs pour les acteurs humanitaires sont mal adaptés pour la reconstruction. C’est pourquoi, Alain Boinet et Benoit Miribel (de la fondation Mérieux) ont écrit et transmis un rapport au Ministère des Affaires Etrangères pour demander la création d’un Fonds de Reconstruction. Action Contre la Faim est une ONG qui a un positionnement un peu différent des autres panélistes : son cœur de métier est la nutrition et la sécurité alimentaire. Pour François Danel, les ONG n’ont pas vocation à créer des emplois et des revenus pour les plus pauvres. Action Contre la Faim a quitté l’Indonésie après le tsunami : une intervention d’urgence a été mise en place, des vies ont été sauvées, mais l’ONG a considéré qu’ensuite sa valeur ajoutée n’était plus suffisamment forte et qu’il était temps pour elle de passer le relais aux pouvoirs publics. Les ONG doivent faire très attention car elles deviennent des acteurs économiques importants dans les pays d’intervention : l’arrivée massive d’ONG crée des conflits et des rivalités avec les autorités locales, même si la création d’emplois et de revenu est positive. Pour modérer ce point de vue, François Danel souligne que si les ONG n’ont pas vocation à créer de l’emploi, cela reste une dimension importante dans les programmes d’Action Contre la Faim : en Haïti comme en Côte d’Ivoire, Action Contre la Faim a distribué des coupons alimentaires, ce qui a permis non seulement de répondre à l’urgence mais également de relancer l’économie et d’utiliser les produits locaux. De même, dans les programmes de sécurité alimentaire, Action Contre la Faim distribue des semences et aide à l’autonomie par des programmes de maraichage. La priorité est la lutte contre la malnutrition, mais l’intervention est durable. S’il est vrai que c’est par le développement économique qu’on réduira les problèmes d’un pays, Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements chaque ONG doit se centrer sur sa valeur ajoutée pour les populations qui souffrent, savoir passer le relais et travailler avec d’autres acteurs. Michael Philip Cracknell a créé Enda Interarabe dans les années 1990 et les activités de microcrédit ont débuté en 1995. Pour lui, le microcrédit est un outil de développement économique durable car aujourd’hui, les activités d’Enda Interarabe sont autosuffisantes et refinancées par des prêts bancaires à des taux commerciaux. Le microcrédit est un outil de solidarité des pauvres entre eux car s’ils ne remboursaient pas leurs prêts, les activités s’arrêteraient et d’autres personnes ne pourraient en profiter. La révolution du 14 janvier 2011 en Tunisie a bousculé la situation : les grèves, le fort chômage et l’insécurité (600 prisonniers ont été libérés lors de la révolution et la police était peu active) ont fait souffrir les micro-entreprises. Les magasins ont été pillés, quelques locaux ont été incendiés, les circuits commerciaux avec des pays comme la Libye ont été coupés et donc les taux de remboursement ont chuté. Pour permettre à ces micro-entrepreneurs de se remettre, Enda a introduit des prêts à des taux très faibles et les met en relation avec des donateurs. Pour Michael Philip Cracknell, le fond du débat reste la politique néo-libérale des années 1990 qui n’a eu d’autres buts que d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres, notamment en réduisant les impôts qui est le moyen par lequel l’Etat peut aider les pauvres. Frédéric Roussel ajoute que le Consensus de Washington plane effectivement au dessus des débats et que la 4ème édition du Forum Convergences 2015 a aussi pour objectif stratégique de jeter les bases d’un Consensus de Paris. Jean-Guy Henckel souligne que la confrontation de son action à celle des autres panélistes qui ont davantage une action au Sud est inédite et très intéressante car ces approches peuvent s’inspirer mutuellement. Jean-Guy Henckel fait partie du mouvement de l’insertion par l’activité économique lancée dans les années 1970 et dont l’objectif était de réinsérer les publics en difficulté qui vivaient en centres d’hébergement. Pour cela, les travailleurs sociaux ont pensé à créer des entreprises pour ces personnes en difficulté mais n’avaientt aucune formation pour ce faire. C’est à cette période que Jean-Guy Henckel a monté une petite expérience, les Jardins de Cocagne, qui sont le moyen d’aborder un territoire dans toute sa diversité : entreprises, pouvoirs publics, agriculteurs et personnes défavorisées se rassemblent pour parler d’un projet commun. Jean-Guy Henckel rejoint les autres panélistes sur le fait qu’il est indispensable de passer de l’urgence au développement en ne montant pas un dispositif de plus dont on sera fier mais en permettant que les parties prenantes s’approprient cette idée et soient en autonomie. Chaque jour, l’organisation des Jardins de Cocagne reçoit une demande pour installer ce dispositif dans une région en France, ce qui fait une marge de progression de 200 entreprises par an. Mais les membres de l’association ont décidé de n’en créer que 10 ou 12 en faisant le choix de prendre le temps de fédérer toutes les parties prenantes pour rendre les jardins parfaitement viables : il faut laisser le temps aux intérêts personnels de s’exercer pour que l’intérêt collectif puisse prendre corps. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Création d’emplois et de revenus pour les plus pauvres : quel rôle pour les ONG ? 53. Questions: •On a vu une grosse évolution depuis 30 ans, en particulier avec le problème du lien entre le politique et le développement sur le terrain : les politiques locaux se désinvestissent, or la pérennité ne peut exister sans eux. Par ailleurs, le problème des salaires proposés par les ONG se fait de plus en plus sentir. Pourriez-vous vous exprimer sur ces sujets ? •Vous avez tous fait référence aux rôles des acteurs du développement public, associatif et privé. Alain Boinet a parlé d’une substitution possible des ONG aux états faibles, en situation de post crises. Les autres panélistes peuvent-il également s’exprimer sur ce sujet ? •Frédéric Roussel croit beaucoup dans le « cash for work » qui est créateur d’emploi mais on a vu que les objectifs et les moyens de mise en œuvre sont très différents entre ONG. J’ai personnellement travaillé en Haïti pour Action contre la Faim sur un programme de « cash for work » et c’était très sensible parce qu’il s’agit de l’injection de beaucoup d’argent dans des bidonvilles. Est-ce que les intervenants pourraient faire un bilan tant sur le plan de la sécurité alimentaire que de l’emploi, notamment à Port au Prince, de ce dispositif du « cash for work » ? •Pourriez vous nous expliquer comment se coordonne l’action des ONG sur le terrain ? Pour Bénédicte Hermelin, la question des salaires est un vrai problème. Au GRET, nous portons une attention particulière au niveau de salaires : ils sont toujours 20% au dessus du salaire minimum du pays, quelqu’il soit, et nous tachons d’avoir une échelle de salaire aussi resserrée que possible. On fait des études régulières sur les niveaux de salaire et on se place à un niveau comparable à ce qui se fait dans le pays et dans le milieu. Il est vrai que les ONG peuvent participer à la distorsion du marché de l’emploi en arrivant. En ce qui concerne la coordination, il est très compliqué de se coordonner entre acteurs d’urgence et de développement car nous n’avons pas les mêmes pratiques, ni les mêmes objectifs. On dialogue mais on ne réussit à travailler qu’avec certaines ONG en Haïti car d’autres refusent. Pour la question de la substitution Etats fragiles, ce qui fonctionne bien, c’est de travailler avec les collectivités locales, pour les former et les rendre plus efficaces. Frédéric Roussel reste un fervent partisan du « cash for work » car c’est, pour lui, le moyen le plus massif d’insérer de l’équité dans une communauté. Il faut, bien sûr, faire attention à l’approche communautaire, sélectionner des activités qui ne sont pas sensibles, payer des salaires en ligne avec ce qui se fait mais cela permet, en période de crise, d’employer beaucoup de gens. Sur la question de la mobilisation des pouvoirs publics, Frédéric Roussel a tenu à faire le lien avec la question du débat public, celle de savoir comment l’action des ONG pourrait être relayée par tous au sein du débat public. Ce qu’il faut retenir c’est qu’un jardin bio en Auvergne ou au Kenya, finalement, c’est la même chose et que la solidarité a plusieurs villages et plusieurs visages mais elle est la même partout. Pour Jean-Guy Henckel, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne peux pas dire aux pouvoirs publics qu’on va se substituer à eux pendant quelques temps pour s’occuper des publics en difficulté et après leur rendre le pouvoir. Les pouvoirs publics, seuls, ne savent pas s’occuper des pauvres. Aujourd’hui, il est important pour les organisations sociales de pouvoir changer d’échelle. Or, elles n’ont pas d’argent pour cela et le tête à tête avec les pouvoirs publics n’est pas satisfaisant. C’est pourquoi, Jean-Guy Henckel a appelé à un partenariat tripartite, public-privésolidaire pour réinventer une démocratie participative. Pour Alain Boinet, la coordination entre ONG sur le terrain est assez difficile. Il s’agit de répondre à des besoins de manière complémentaire avec d’autres acteurs : les ONG doivent donc s’informer sur celles qui sont déjà présentes ou répondre à des besoins auxquels personne ne répond. Le problème arrive lorsqu’il y a trop d’acteurs (au Kosovo, 350 ONG étaient présentes sur un territoire grand comme deux départements français) ou pas assez (au Darfour, il y avait 2 millions de déplacés sur territoire grand comme la France et très peu d’ONG présentes). Dans le cadre de la réforme sur son fonctionnement, l’ONU a mis en place des « clusters » qui sont des structures thématiques (réfugiés, logistiques, eau…) de coordination des acteurs nationaux et locaux. C’est une bonne idée mais elle ne fonctionne pas toujours. Le problème de la coordination avec l’ONU, c’est que cette organisation a deux mandats, humanitaire et politique, et que les ONG se trouvent prises dans des tractations politiques qui peuvent entraver leur action. Selon François Danel, un véritable effort de coordination a été fait pour l’aide d’urgence en Haïti. Sur la question de la substitution, il faut que les ONG soient capables de limiter leur intervention au secteur sur lequel elles ont de la valeur ajoutée et de passer le relais aux acteurs locaux lorsqu’elles sortent de ce périmètre. 54. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel: Priscilla de Moustier, OXUS Changement d’échelle : quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ? Table-ronde // Entrepreneuriat social Modérateur Olivier Kayser Directeur Général, Hystra Consulting Intervenants Laurence Grandcolas Lamoureux Responsable développement, Ashoka France Johny Joseph Directeur, Creative Handicrafts Laurent Muratet Directeur Marketing et Communication, Alter Eco Christophe Roturier Directeur délégué, Max Havelaar France Résumé analytique La diversité des sujets traités et des organisations participantes à Convergences 2015 témoigne de la multiplication des initiatives en faveur d’enjeux du développement. Nous pouvons nous en féliciter. Pour autant, face aux enjeux colossaux pointés par les Objectifs du Millénaire, la recherche d’impact à grande échelle est un élément clef pour que nos dispositifs soient satisfaisants. Leur nombre ne suffit peut-être pas, la taille serait essentielle. La problématique de cette table ronde soulève alors plusieurs questions : comment, dans leur développement, les entreprises sociales peuvent-elles conserver leur ADN culturel, autour duquel l’entrepreneur a initialement bâti son projet, et fédérer les membres de leur équipe ? Si en étant plus petit, on est plus agile, comment maintenir les dynamiques d’innovation et de pertinence dans les réponses aux besoins que nous adressons sur le terrain ? Pour pérenniser un modèle, quand peut-on considérer que la taille critique est atteinte ? Alors que Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, définit l’entrepreneur social comme le réinventeur de tout un secteur d’activité pour servir des finalités sociales, la mission de son entreprise peut-elle supporter des limites de taille ? Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Changement d’échelle : quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ? 55. Synthèse Plusieurs témoignages, de pays et de secteurs différents, apportent leurs éclairages. Johny Joseph nous présente Creative Handicrafts, Inde, qui distribue des produits artisanaux, sous un label « Fair Trade » (jouets, objets de décorations …). Cette organisation a créé de l’emploi pour près de 1000 femmes et génère un chiffre d’affaire d’1 million d’euros. Pour Johny Joseph, toute organisation a son cycle de vie. Il est naturel pour elle de se développer, de grandir : la question reste de savoir jusqu’où ? Il s’agit alors de bien comprendre de quelle croissance nous parlons : croissance financière (autocentrée sur le résultat financier de son activité) ou croissance inclusive (englobant la redistribution de valeur vis-à-vis de l’ensemble de ses parties prenantes), c’est-à-dire comment faire pour que mon activité profite à de plus en plus de monde. Dans l’atteinte de ces objectifs, des risques demeurent : le poids d’un système qui peut biaiser les choix et les responsabilités des individus qui le compose. Dans le prolongement de cette idée, Johnny Joseph termine en nous interrogeant sur nos systèmes de production : passer d’un modèle de production de produits de masse vers un modèle de production par les masses (i.e. générant un emploi et des revenus pour les masses). Laurent Muratet nous présente Alter Eco, France, qui emploie 45 personnes et commercialise des produits bio-équitables, achetés auprès de petits producteurs. Leur mission s’intègre dans les interdépendances du développement durable, en répondant à la fois à des enjeux sociaux (amélioration des revenus des petits exploitants) et environnementaux (préservation et valorisation des espaces agricoles et naturels). Depuis 11 ans qu’Alter Eco existe, cela ne fait que 2 ans que l’entreprise est profitable. Elle a atteint en 2010 un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros. Pour Laurent Muratet, la recherche de pérennité de son action passe par l’atteinte d’une taille critique. Elle est la seule à même d’assurer la survie du modèle et donc de servir durablement sa mission. Pour autant, une taille optimale est atteignable sans qu’elle soit sans limite. En effet, plus une entreprise est petite, plus elle semble connectée à son bon sens, aux réalités du terrain où elle souhaite avoir de l’impact. Alors que le commerce équitable représente encore moins de 1% des échanges marchands, la croissance des acteurs du marché passera par une sensibilisation des consommateurs : vulgariser une pensée complexe (redistribution de valeur, relocalisation de l’économie, prix juste, agroéconomie,…) n’est pas simple. Christophe Roturier nous présente le label Max Havelaar, France, qui promeut le commerce équitable : un marché estimé à 3,4 milliards d’euros dans le monde, dont 300 millions d’euros en France. Pour Christophe Roturier, la croissance de son organisation est essentielle pour atteindre plus d’impact direct et pour influencer davantage les règles des échanges mondiaux. Cette croissance participe ainsi à plusieurs objectifs : renforcer le système du commerce équitable, élargir ses zones de solidarité (accompagner de nouveaux producteurs labélisés, intégrer de nouvelles organisations et de nouvelles filières) et densifier 56. Convergences 2015 l’impact des productions déjà labélisées. Christophe Roturier nous fait observer qu’un agriculteur isolé ne peut rien ; les organisations collectives sont nécessaires pour influencer des négociations commerciales et peser sur le développement d’un territoire. Pour autant, le développement de démarche collective n’est pas simple : comment rendre visible les intérêts de pratiques qui peuvent, à court terme, être vues comme contraignantes ? Dans le système de labellisation de commerce équitable Max Havelaar, les producteurs sont inclus dans les organes de gouvernance internationale. Ils peuvent peser sur les grandes orientations du système. Aujourd’hui, on estime que le secteur du commerce équitable touche environ 1,5 millions de producteurs et travailleurs regroupés dans plus de 800 organisations : face à 1 milliard de petits producteurs dans le monde, les perspectives de développement restent gigantesques. Laurence Grandcolas Lamoureux nous présente Ashoka, France, qui est un réseau de soutien auprès de 3000 entrepreneurs sociaux, répartis dans 70 pays. Créé il y a 30 ans, Ashoka emploie aujourd’hui 200 collaborateurs et gère un budget de 25 millions d’euros. A travers l’action des entrepreneurs qui composent ce réseau, Ashoka estime améliorer la vie de 300 millions de bénéficiaires. Forte de l’expérience des entreprises sociales de ce réseau, Laurence Grandcolas Lamoureux observe que leur croissance ne se fait pas uniquement par une croissance organique centrale. Elle peut passer par des effets de réseau, le développement de partenariats, des collaborations ouvertes, et de l’essaimage. La démultiplication des effets d’un modèle peut ainsi passer par son enrichissement par d’autres. Laurence Grandcolas Lamoureux insiste alors sur la question du financement : comment attirer les investissements nécessaires aux plans de développement ? Peut également se poser la question du respect et de la transmission des valeurs initiales, portées par l’entrepreneur historique. Différentes modalités existent pour que la taille n’impose pas de compromis (exemple : une charte de principe pour l’entreprise sociale des Jardins de Cocagnes). Enfin, reste l’enjeu de l’entrepreneur : la croissance peut éloigner le fondateur du terrain et du contact avec les bénéficiaires. En a-t-il envie ? En a-t-il les compétences ? Olivier Kayser nous présente Hystra Consulting qui élabore et construit des projets réunissant les expériences d’entrepreneurs sociaux aux ressources de grands groupes : tirer partie des fortes capacités à innover des uns et à répliquer à grande échelle des autres. Ayant travaillé dans le secteur de l’énergie, notamment sur la valorisation de petites unités de lampes à panneaux photovoltaïques, Olivier Kayser revient sur le cas de Grameen Shakti, distribuant ses produits à près de 700 000 familles. Cette organisation recherche en permanence le double impact : fournir un équipement essentiel, tout en créant des emplois locaux (installation, formation, maintenance). Au risque de prendre du temps, ils ne souhaitent pas avancer l’un sans l’autre. Ce type de question est fréquente chez les entrepreneurs sociaux : réussir sur le « quoi » mais également sur le « comment ». Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Au-delà des choix stratégiques des entrepreneurs, Olivier Kayser insiste sur le fait que la croissance de leurs projets dépendra également d’externalités et de leur capacité à les modifier à leurs avantages : modifier certaines réglementations ainsi que le niveau d’information auxquels les consommateurs ont accès, par exemple. développement, plusieurs étapes et questions clefs ont été identifiées : seuil de rentabilité, redistribution des richesses créées parmi les parties prenantes, réplication sur d’autres territoires, respect des valeurs initiales, pertinence du modèle au cours du temps, rôle de l’entrepreneur dans son entreprise et place de son entreprise dans son écosystème. Pour servir sa mission dans le temps, l’entrepreneur social doit pérenniser son modèle économique. Cela passe vraisemblablement par l’atteinte d’une taille critique. Si cette croissance sert l’autonomisation du modèle, elle participe aussi à son efficacité face à des enjeux de solidarité qui restent massifs, au Nord comme au Sud. Sur ce chemin de Rapporteur officiel: Olivier Maurel, danone.communities Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Changement d’échelle : quelle taille une entreprise sociale peut-elle atteindre sans compromettre son modèle ? 57. Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable et une IMF : labels, objectifs et dérives Table-ronde // Entrepreneuriat social et Microfinance Modérateur Arnaud de Bresson Délégué Général, Paris EUROPLACE Intervenants François Marty Président, Chênelet Franck Renaudin Directeur Général, Entrepreneurs du Monde Roger Persichino Universitaire Jérôme Schatzman Directeur Général, Tudo Bom ? Résumé analytique Comment conjuguer l’économique et le social dans différentes activités d’entrepreneuriat social et de microfinance, dans l’humanitaire et dans le commerce équitable ? 58. Convergences 2015 Cette table-ronde démontre que chacun dans son secteur, tout en faisant face à des défis propres, s’engage vers une rentabilité sur le long terme et s’attache à donner un sens social à son activité. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse En introduction, Arnaud de Bresson rappelle que la finance durable est un élément clé pour la Place de Paris. Un plan d’action a été établi au niveau de la Place pour continuer à développer nos forces sur l’ISR, la finance responsable et la finance carbone. Il se félicite d’avoir autour de la table trois patrons engagés qui vont pouvoir donner un éclairage très concret de leurs pratiques. Ils ont chacun une expérience particulièrement originale, riche d’enseignement. Pour François Marty, il y a un réel problème de catéchisme au sein de l’économie sociale. Bien souvent perçue comme un ratio entre le social et l’économique, il rappelle que l’économie sociale est un ensemble et une réelle conjonction de ces composantes. Arnaud de Bresson confirme la conjonction de l’économique et du social au sein de la création d’entreprise. Les deux visions sont complémentaires et liées : il n’y a pas de projet durable sans l’une et l’autre. Avant tout, l’entrepreneur est quelqu’un qui a un rêve et qui a envie d’entreprendre au-delà du profit. A cet égard, François Marty précise que l’entreprise où « l’on rêve à bon cœur » permet d’avancer. Ainsi, le social c’est défendre les acquis sociaux, de la petite enfance aux personnes âgées. Le social dans une société c’est alors ce qui distingue la barbarie de la non barbarie. Le solidaire c’est entreprendre avec. L’économie sociale favorise l’innovation en interne. De sa propre expérience, François Marty démontre qu’il a pu adapter des machines complexes, destinées à des ingénieurs, à une main d’œuvre peu qualifiée. L’innovation a permis la création d’emplois inaccessibles aux populations les plus fragiles. Par l’innovation sociale et solidaire, il a pu inventer un business. Lauréat de la fondation Ashoka, François Marty s’est lancé dans la construction de logements sociaux à faible charge par l’écologie. Il a fallu réinventer la filière avant de trouver la finance. Bien souvent dévalorisé, le travail des salariés dans le social doit être perçu comme une passion et le sens d’une vie. Lorsque François Marty s’interroge sur la rentabilité, il remet en cause le court terme. Ainsi, les entreprises qui jouent sur un taux de rendement de 20% apparaissent moins rentable sur la durée. Par ailleurs, il faut se demander ce qui est rentable pour la société et analyser les dépenses passives (le coût d’un chômeur). Il y a un besoin pressant de rechercher l’économie de demain. Entrepreneurs du Monde conduit des programmes de microfinance. Cette association a pour mission de donner accès à des services financiers à des familles vivant dans des conditions très précaires afin de développer une petite activité économique. Pour ce faire, Entrepreneurs du Monde inscrit son action dans une vision sociale. Ainsi, afin de poursuivre son objectif premier – l’accès aux besoins fondamentaux des populations vulnérables – la microfinance doit impérativement être suivie par des services non financiers complémentaires : des formations, un accompagnement et du social dans certains cas. Selon Franck Renaudin, la microfinance a parfois dérivé de cet objectif initial pour devenir une activité seulement commerciale. Entrepreneurs du Monde est une entreprise sociale en ce qu’elle travaille avec des bénéficiaires qui n’ont ni accès au secteur bancaire traditionnel, ni aux autres institutions de microfinance. Contrairement à d’autres institutions qui s’adressent uniquement à des bénéficiaires qui ont déjà une activité, Entrepreneurs du Monde encourage la création d’activité. Elle poursuit ainsi son objectif initial en ciblant les familles bénéficiaires et en allouant des crédits sans garantie à des montants très faibles (parfois aussi peu que 15 €). L’emprunt est ainsi effectué par le biais d’un programme de remboursement très flexible selon les capacités des familles. La tension entre objectifs économiques et sociaux est forte et fréquente dans le domaine de la microfinance. Elle explique bien des dérives dans ce secteur, dont parlent les médias. On assiste à un vrai phénomène de financiarisation de la microfinance. Pour Entrepreneurs du Monde, l’objectif est d’appuyer des organisations pour qu’elles deviennent indépendantes financièrement. Il est néanmoins fondamental de placer l’objectif social en priorité. A cet égard, la pérennité financière suit toute activité sincèrement orientée vers les plus pauvres. Preuve à l’appui, Franck Renaudin cite des exemples de programmes qui ont maintenu ce cap de la logique sociale et qui accèdent aujourd’hui à leur indépendance financière. A contrario, une organisation partenaire d’Entrepreneur du Monde qui s’est lancée dans une activité plus lucrative a perdu en viabilité. De son expérience dans des ONG humanitaires, Roger Persichino revient sur le rôle de l’humanitaire. Pour lui, un chef de mission développe des activités dans des pays où l’ONG n’est pas encore implantée. Cette fonction recouvre les champs traditionnels de l’action d’entreprises sur le terrain afin d’analyser les besoins des bénéficiaires, de dégager les ressources ou de mobiliser les équipes. Néanmoins, il s’agit de libérer du sujet la tension entre l’objectif social et l’objectif commercial. L’humanitaire ne pose pas ces termes comme tels : les moyens sont au service de l’action sociale ou de la mission sociale de l’organisation (sur le terrain ou au siège). En revanche, il y a des tensions sociales qui émergent et qui entrent en tension avec la mission sociale de l’organisation. Qu’est ce donc que le social ? Roger Persichino introduit cette interrogation par son expérience au Pakistan en 2005. Suite au séisme, il a fallu mobiliser des tentes d’hiver pour près de 3 millions de déplacés. La survie de ces populations déplacées s’est heurtée aux conditions de production des tentes sollicitant le travail des enfants. Quand on parle de social, il faut ainsi se demander si l’on parle du champ des bénéficiaires ou de la société en général, de l’urgence ou du long terme. L’idée n’étant pas de sauver des vies par le travail des enfants. Dans quelle mesure peut-on relier l’urgence de la situation et l’impact social de la production. Dans l’humanitaire, le social recouvre des dimensions entre l’international et le national. Roger Persichino a été confronté à des dissensions avec les employés internationaux plus que les nationaux sur les acquis sociaux. Au final, à la question « qu’est-ce que le social ? », il répond que ce sont des choix à effectuer. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable et une IMF : labels, objectifs et dérives 59. Lorsqu’il lance Tudo Bom ? en 2002, Jérôme Schatzman entreprend de remonter toute une filiale de production, de la matière première coton à la marque de vêtement fabriquée au Brésil, à l’encontre du flou artistique de la chaîne de production qui mobilise pourtant de nombreux enjeux sociaux et environnementaux. Jérôme Schatzman souligne ainsi l’ambition du projet : le changement est opéré en mettant en place une véritable filière intégrée verticalement qui apporte la transparence. Tudo Bom ? replace le côté human inside au cœur de ses produits et cette méthode se traduit sur le vêtement : on peut directement identifier la confectionneuse de son vêtement sur le site internet. Jérôme Schatzman évoque les tensions entre objectifs économiques et sociaux dans le commerce équitable. La transparence et la confiance apparaissent comme des éléments centraux du progrès. Il est difficile de faire supporter tous les coûts au client final, il faut donc activer des types de financement propres à la coopération internatio- 60. Convergences 2015 nale et locale. La mission du commerce équitable se heurte ainsi à cette question de rentabilité de l’activité. La rentabilité économique reste néanmoins un outil de mesure afin d’obtenir un équilibre financier et de rendre un modèle duplicable. Autrement dit, si l’économique reste un outil d’échange et de commerce, il permet de dupliquer des activités à l’infini, le commerce équitable pouvant ainsi s’insérer dans le système. Il existe par ailleurs un risque quant à la subvention de l’inefficacité en soutenant les producteurs qui dégagent une rente. Pour Jérôme Schatzman s’il faut aussi mesurer les autres rentabilités sociales et environnementales, la tendance à la monétisation de l’impact social présente à cet égard un écueil. Il faut interroger notre rapport au temps afin de comprendre de nouvelles logiques. Alors que la vision « court-termiste » suscite la crainte au regard de la flambée des cours de coton, ces prix ont d’ores et déjà été intégrés et absorbés dans le modèle économique de Tudo Bom? Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Quels sont les labels pour une filière intégré ? Y a-t-il des labels pour la filière entière ? La labellisation existe-t-elle dans le commerce équitable ? Est-elle efficace ? Engage-t-elle une réelle reconnaissance de l’activité ? De la transparence ? Existe-t-il des labels dans le microcrédit ? Dans le social business ? On milite pour définir très clairement une microfinance sociale grâce à des critères précis (échelle des salaires, pourcentage du niveau de l’épargne des foyers, montant moyen des crédits) et il ne faut pas mélanger tous les acteurs de la microfinance (Entrepreneurs du Monde avec Compartamos par exemple). Selon Jérôme Schatzman, la notion de transparence est fondamentale : comment se prouve-t-elle ? Par un label ? Par ce tiers qui rassure davantage le consommateur. Le label est lié au temps court : en 1988, le label Max Havelaar a souhaité vendre du café en supermarché pour un achat rapide des courses. Dans le commerce équitable, la labellisation est uniquement privée. Il n’y a pas encore de labellisation publique en France. Au Brésil, la définition publique du commerce équitable commence à exister. Il y a deux types de labellisations : la labellisation horizontale, qui consiste en l’audit de ses pairs, et la labellisation verticale de cabinets d’audit. Il faut savoir que pour la plupart des producteurs de coton, vu de Sao Paulo, il est souvent choquant de recevoir un auditeur de France, payé à un niveau peu comparable à leurs salaires. On retombe ainsi sur la question de la transparence et de la confiance : il est plus facile de défier l’auditeur. Certaines marques seront plus aptes à générer de la confiance par la cohérence de leur discours et de leurs actes que par des labels. La question n’est pas évidente. A la base c’est un atout commercial. Au final, quand on vend des produits d’entreprises sociales ou solidaires, c’est la qualité du produit ou du service qui doit être le premier argument. Le label ne remplacera pas un café mauvais. Les certifications ISO se muent en combat pour se mettre en conformité vis-à-vis de la certification. Au final, le risque zéro par la certification absolue tourne en rond. En revanche, les consommateurs et les associations ont un rôle à jouer dans ce circuit de la transparence. Nous constatons que la sphère de la microfinance connait une certaine dérive. Alors que la plupart des institutions de microfinance s’alimentent sur les marchés financiers classiques, mais pratiquent des taux exorbitants pour les populations vulnérables, le système soulève une incohérence et entraine une situation dramatique pour le remboursement des clients. Pour Franck Renaudin, il y a un mouvement vers des labellisations proposées aux acteurs de la microfinance. Cette tendance est positive : elle est liée à une prise de conscience du secteur et de l’importance de choisir des partenaires avec une mission sociale extrêmement prononcée. La question de la sincérité est fondamentale. En effet, ces dispositifs ne fonctionnent que si la démarche sociale est sincère. On ne peut pas décréter unilatéralement une mission sociale dans la microfinance. Si la mise en place de ces différentes initiatives est intéressante, elle s’inscrit sur le long terme et repose sur la participation et l’acceptation des acteurs. Une fois mis en œuvre, il faut ensuite exploiter et améliorer ces mesures pour aller encore plus loin dans cette mission sociale. Or beaucoup d’acteurs contournent ces différents mécanismes. Selon Franck Renaudin, des secteurs entiers du microcrédit en Afrique ont besoin d’avoir un accès au microcrédit, sans pour autant avoir forcément besoin d’un accès à un accompagnement social. A ce titre, une microfinance minimaliste, sans accompagnement social, est tout à fait justifiée dans certains contextes. Par contre, ce terme microfinance regroupe des acteurs ayant des objectifs très divergents, voire contradictoires. Or ce secteur est clairement à segmenter pour que l’on sache de quelle microfinance on parle. On a identifié la dérive provoquée par cette approche très financière de certaines IMF. Au niveau du fonctionnement du système, les rémunérations des investisseurs présentent un problème éthique : des personnes dégageront des revenus parfois significatifs en plaçant des fonds à des taux de 6-8% par an. Si elle n’est pas généralisable, cette tendance est réelle. Il est important d’aboutir à une définition précise de ce que serait une microfinance sociale. Il faut aussi militer pour une baisse des taux d’intérêt puisque les IMF font d’importants gains de productivité. Arnaud de Bresson conclu que l’économie sociale ne doit pas être une Eglise. Il n’y a pas d’un côté l’économique et de l’autre le social. Le comportement social doit se développer dans le mainstream, concerner l’universalité des entreprises et des comportements. L’ économie sociale ne doit pas comporter de chapelles, où chacun serait retranché dans sa spécialité. Toutes les initiatives doivent contribuer à la même cause. Il faut bénir toutes les initiatives de création d’entreprise pour le changement du modèle économique dans le monde. Rapporteur officiel: Convergences 2015 Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Conversation entre un entrepreneur social, une entreprise de commerce équitable et une IMF : labels, objectifs et dérives 61. Du Sud vers le Nord : la reproduction de méthodes et de pratiques pour répondre aux problématiques sociales Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Social business Modérateur Olivia Verger-Lisicki Responsable Programme BoP, IMS-Entreprendre pour la Cité Intervenants Daniel Dantand Chef de Projets Responsabilité Sociétale à la Direction de la Stratégie et du Développement Durable , GDF SUEZ Bénédicte Faivre-Tavignot Directrice Exécutive, Chaire Social Business, HEC Carlos de Freitas Coordinateur, Palmas Institute Europe Maria Nowak Présidente Fondatrice, Adie Résumé analytique La microfinance est née dans les pays du Sud pour les bénéficiaires du Sud. Vingt ans plus tard, les pays du Nord ont importé cette méthode pour résoudre leurs propres problèmes issus de la pauvreté. 62. Convergences 2015 Comment assurer un transfert de compétences ? Quelles sont les autres bonnes pratiques en faveur de la réduction de la pauvreté que les pays du Nord pourraient emprunter des expériences des pays du Sud ? Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Alors qu’on évoque bien souvent le transfert d’innovations du Nord vers le Sud, on constate que ce mouvement tend actuellement à s’inverser. En effet, l’innovation, notamment sociale, n’est plus l’apanage des pays développés. Au Sud, la créativité et la richesse des initiatives prenant en charge des besoins sociaux n’ayant trouvé aucune réponse satisfaisante inspirent de plus en plus le Nord dans la recherche de solutions sociétales nouvelles. La prise de conscience de différents acteurs (publics, associatifs, économiques) est croissante dans ce sens, à l’heure où l’on parle de plus en plus de reverse innovation (innovations conçues dans les pays émergents, puis développées mondialement) et où, surtout, le Nord est confronté à la montée des précarités qui nécessite des approches inédites pour répondre à l’ampleur des besoins. Au-delà de l’enjeu d’innovation cher aux entreprises, celles-ci ont un intérêt grandissant pour le sujet, avec : • la volonté du secteur privé de contribuer à la lutte contre la pauvreté, au-delà de la pure philanthropie ; • la stagnation des marchés « classiques » dans les pays développés, qui pousse à investir de « nouveaux » marchés auprès de clientèles jusque-là délaissées ; • une motivation forte des salariés sur ces projets qui renouent avec leur recherche de sens au travail. Mais comment peut-on importer les approches du Sud, avec toutes leurs spécificités, au Nord ? Les intervenants ont mis en avant différents freins : • La mauvaise connaissance des populations en situation de pauvreté est le principal frein actuel. Il faut aller à la rencontre de ces personnes pour apprendre à les comprendre et délimiter les contours de cette pauvreté. • Le cadre légal du Nord : au Sud, le cadre pour lancer les démarches est souvent informel. Dans les pays développés, les démarches sont rendues longues et difficiles car la réglementation n’est pas encore adaptée à ces projets. • Il faut faire avec l’existant au Nord quand au Sud les démarches partent d’un terrain plus vierge, où la marge de manœuvre est plus grande. Dans ce cadre, les conditions de succès suivantes pour des applications au Nord ont été soulignées : • La vision doit être systémique : tous les leviers doivent être activés au Nord, du législatif à l’échelon citoyen. Il est important de trouver une pédagogie de formation de l’opinion publique sur les sujets de lutte contre la pauvreté. Les citoyens ont un rôle essentiel à jouer pour faire bouger les lignes et permettre une réaction pertinente des autorités publiques. • L’ approche doit être expérimentale, avec des tests sur des zones pilotes avant d’envisager des applications à grande échelle. • Le projet doit être envisagé sur le long terme : il faut sortir du modèle de « court termiste » ambiant et concevoir ce transfert d’innovations sur un temps long. • Tous les acteurs qui ont un rôle à jouer doivent travailler de façon conjointe : la co-création est une démarche nécessaire, les entreprises doivent s’associer aux ONGs et associations qui ont une forte légitimité et une bonne connaissance du terrain. Elles doivent également aider les entrepreneurs sociaux à changer d’échelle. • Les réponses apportées aux besoins sociaux nécessitent une approche transversale, prenant en compte l’interdépendance forte des difficultés rencontrées par les populations pauvres (emploi, logement, accès aux biens essentiels…). • Les populations pauvres ne doivent plus se sentir stigmatisées : dans les pays en développement, la pauvreté n’est pas vécue comme une honte et il s’agit bien souvent d’une pauvreté active. En France, et dans les pays du Nord plus généralement, les personnes en situations de pauvreté ont un sentiment fort d’exclusion et il faut arriver à leur rendre leur dignité. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Du Sud vers le Nord : 63. la reproduction de méthodes et de pratiques pour répondre aux problématiques sociales Sur la question du transfert des innovations en faveur des populations pauvres du Sud au Nord, il apparaît donc que l’agrégation de plusieurs acteurs est essentielle. Chacun à un rôle à jouer par rapport à ce qu’il peut apporter : les entreprises pour leur approche économique, les associations et ONG pour leur légitimité et leur connaissance de ces populations, l’Etat et les autorités publiques pour la constitution du cadre législatif et les citoyens pour la pression qu’ils peuvent exercer pour faire avancer et changer les choses. L’opinion publique doit être transformée. Même si les freins sont nombreux, la prise de conscience et l’intérêt montants 64. Convergences 2015 pour le sujet sont autant de leviers à actionner pour mettre en place les démarches qui permettront de faire reculer la pauvreté dans les pays du Nord. Rapporteur officiel : Olivia Verger-Lisicki, IMS-Entreprendre pour la Cité Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide Atelier // Social Business et BoP Modérateur Henri de Reboul Délégué Général, IMS-Entreprendre pour la Cité Intervenants Sébastien Goua Chargé de projet, Croix-Rouge Sébastien Lambroschini Directeur, ACTED Corne de l’Afrique Emmanuel Marchant Délégué Général, danone.communities François Perrot Chef de projet, Lafarge Shyama Ramani Professeur, Maastricht University School of Business & Economy Fabienne Riom Responsable France BoP Learning Lab, pôle RSEBoP, ESSEC IIES Bernard Saincy Directeur responsabilité sociétale - Direction du développement durable, GDF SUEZ Rustam Sengupta Fondateur, Boond Gilles Vermot-Desroches Directeur du Développement Durable, Schneider Electric Résumé analytique Depuis quelques années, les stratégies BoP (Base of the Pyramid) suscitent un intérêt croissant. Du Bop 1.0 a découlé le protocole du BoP 2.0 qui conditionne les stratégies et le succès du BoP 2.0. Celuici est une bonne approche dans la théorie mais ne correspond pas réellement aux réalités de terrain. Il faut donc élargir cette voie afin de pouvoir répondre aux attentes des entreprises et aux besoins Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier des populations pauvres en combinant plusieurs démarches. Il s’agit de commencer par la co-création de marché, d’impliquer la communauté dans les projets, de comprendre les besoins pour créer l’offre. Il est nécessaire de créer l’accès aux produits et aux services BoP pour les populations pauvres. Le BoP est un enjeu stratégique pour l’entreprise pour laquelle il faut trouver le bon business model. BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide 65. Synthèse Depuis plusieurs années, les entreprises tentent d’inventer des produits et services et de nouvelles façons de vendre adaptés aux communautés pauvres. Avec la première approche BoP avancée par C.K. Prahalad, il s’agissait d’adapter le produit et d’atteindre le consommateur. Comme le souligne également Sébastien Goua, il faut que les associations apprennent elles aussi à inclure les entreprises dans leurs projets. La démarche consiste à s’appuyer sur un business model solide pour apporter une pérennité à la finalité sociale, qui manque aux initiatives de charité pure. Le profit devient alors un véhicule pour mieux lutter contre la pauvreté, pour atteindre et maximiser l’impact social ; impact à définir en fonction du métier de l’entreprise et du territoire sur lequel cette dernière s’implante. • Le social business est un business model de proximité : Emmanuel Marchant évoque l’importance d’utiliser les ressources locales, de travailler avec les populations locales et de donner une chance aux personnes les plus pauvres de ces communautés. Les critiques sur cette vision ont été nombreuses, avec une mise en exergue du fait qu’on ne peut régler le problème de la pauvreté simplement en considérant les populations pauvres comme des consommateurs. L’entreprise doit également participer à l’augmentation de leurs revenus. Le Protocole BoP 2.0 a été co-écrit par le Professeur Stuart Hart et Erik Simanis1 sur la base d’expériences d’entreprises et en croisant différents champs académiques. Il a plusieurs objectifs : dans un premier temps, celui de les connaître et de les comprendre, malgré la distance qui existe entre ces populations et les grandes entreprises. Ensuite, pour créer un environnement propice à la conception d’un nouveau produit, un espace R&D qui innove en profondeur. Ce protocole est un bon stimulant méthodologique, néanmoins ce n’est pas exactement ce qui se passe en réalité et il faut aller plus loin dans cette voie. Il existe un fossé entre ce que la plupart des entreprises veulent – aller plus loin avec les communautés – et la réalité des affaires – l’exigence du retour sur investissement à court terme. Malgré cela, qu’est-il possible de faire ? Jusqu’où peut aller l’implication des différents acteurs et l’innovation du modèle économique ? Dans une démarche dite «2.0», il faut commencer par co-créer le marché. C’est un processus long et difficile impliquant des acteurs nombreux et différents : • La construction doit se faire avec toutes les parties prenantes : ONG et associations, entrepreneurs sociaux, partenaires financiers, pouvoirs publics, populations ciblées. Les partenariats doivent être construits à partir de ce que chacun peut apporter. • Les entrepreneurs sociaux, ONG et associations ne doivent pas être considérés par l’entreprise comme des sous-traitants ; ils apportent une connaissance de la population et permettent notamment de faire le lien avec celle-ci, de la mettre en relation avec l’entreprise. • Le travail de l’entreprise doit compléter celui des entrepreneurs sociaux et non pas le reproduire. • L’entreprise doit apporter des compétences. 1. Il existe une version traduite en français par ESSEC-IIES et téléchargeable sur le site www.iies.essec.edu 66. Convergences 2015 • Le rôle des différents partenaires est amené à évoluer au fur et à mesure, avec le projet. • Il faut trouver la gouvernance la mieux adaptée, en fonction du projet, des différents partenaires engagés et de leurs intérêts. On crée la gouvernance et le projet en même temps, ce sont deux choses qui évoluent continuellement. • La question de la confiance entre les acteurs est primordiale et implique de bien cerner ce que chacun attend de l’autre. Les partenariats avec les communautés ciblées sont au cœur du protocole 2.0 : • Il faut trouver quelqu’un à qui parler dans la communauté : au départ, l’entreprise qui se lance dans le social business est une étrangère qui s’invite dans la communauté. • Gilles Vermot-Desroches propose d’impliquer les populations BoP soit dans une partie de la chaîne de valeur, soit dans toute la chaîne de valeur. Concevoir une nouvelle offre adaptée au BoP requiert bien souvent une innovation disruptive : il faut repenser entièrement l’offre et sa plateforme de distribution. Les démarches BoP 2.0 doivent partir du besoin pour créer l’offre et non l’inverse. Shyama Ramani distingue deux types de produits : • Produit BoP : un produit ou service adapté à la population BoP. • Produit pro-poor : un produit ou service qui aide la population BoP, qui ne crée pas seulement de la consommation directe et classique mais qui a un impact sur les conditions de vie de ces populations. Les populations BoP sont mal connues actuellement des entreprises, a fortiori leurs besoins aussi : • Pour faire émerger les besoins et les comprendre, il est nécessaire d’aller à la rencontre des populations, d’échanger avec elles. • L’existence du besoin, même exprimé, ne signifie pas nécessairement qu’il y aura une demande ; sur ce point, il est intéressant de faire appel à un intermédiaire. • Les populations BoP doivent faire face à différents problèmes (éclairage, eau potable, etc.), elles ont donc besoin d’avoir le choix et de disposer de solutions financières pour être capables de payer plusieurs services. • L’utilisateur n’est souvent pas l’acheteur, ce qui crée un fossé, car même si l’utilisateur souhaite acheter le produit, l’acheteur ne sera pas forcément prêt à le faire. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements • La question clé du BoP 2.0 n’est pas de concevoir le produit, ni de créer des solutions financières mais de donner l’accès au produit. L’accès consiste notamment à offrir du choix aux consommateurs et de les éduquer sur l’utilité des produits et services proposés. • La distribution doit passer par une personne intégrée à la communauté, en qui celle-ci a confiance car la vente est un élément difficile dans une stratégie BoP. Elle doit parler le même langage et être religieusement et culturellement liée au consommateur. • Il faut convaincre la cible des bénéfices du produit. Rustam Sengupta parle de la difficulté à faire accepter des solutions pour l’énergie ou l’accès à l’eau potable, alors que certains produits sont relativement faciles à vendre. Pour qu’elles soient pérennes, Bernard Saincy insiste sur l’importance d’inscrire les initiatives BoP au cœur de la stratégie de l’entreprise : • Elles permettent de construire les marchés de demain. • Elles concernent la responsabilité de l’entreprise auprès de ses différents publics. • Elles apportent beaucoup à l’entreprise en termes d’innovation. Le BoP 2.0 consiste à réinventer un nouveau business model pour les entreprises. Si celui-ci va permettre la pérennité du projet, il n’est néanmoins pas toujours évident de mettre en place un modèle soutenable et efficace. Il faut trouver une solution pour chaque situation car le contexte local est un élément important. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier L’exemple de Lafarge montre que les démarches 1.0 et 2.0 peuvent être parallèles. Le groupe a lancé en Indonésie 2 projets dans deux villes différentes : • dans la première ville, l’entreprise a développé un processus 1.0, en se positionnant sur un marché existant et en créant des partenariats avec des promoteurs privés locaux ; • dans la seconde ville, elle a du créer le marché totalement, être beaucoup plus innovante, en proposant par exemple du microcrédit pour l’habitat. Si une initiative BoP 1.0 est un processus relativement rapide car il s’agit de s’implanter sur un marché existant, engager une stratégie BoP 2.0 demande beaucoup plus de temps et d’énergie pour créer son marché et son écosystème. En effet, plutôt que de simplement adapter leur offre, les entreprises doivent surtout le rendre accessible aux populations en situation de pauvreté en les impliquant dans leur projet car il ne s’agit pas simplement de vendre moins cher. Dans les initiatives BoP, l’humilité de l’entreprise est nécessaire : tout reste à apprendre car nous sommes encore aux prémices de ces démarches. Comme le souligne Fabienne Riom, il faut être dans une vision expérimentale et avoir conscience que le projet évolue à mesure que les choses se font. Rapporteur officiel: Olivia Verger-Lisicki, IMS-Entreprendre pour la Cité BoP 2.0 pour les grandes entreprises : co-créer de la richesse à la base de la pyramide 67. La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études Mini-conférence // Microfinance Modérateur Jean-Michel Servet Professeur, IHEID Intervenants Sébastien Duquet Directeur Général, PlaNIS responsAbility Marco Fischer Analyste senior de recherche, responsAbility Social Investments AG Mariana Paredes Consultante, Marulanda Consultores Résumé analytique Cette table-ronde vise à donner les résultats de différentes études sur la crise de la microfinance. Les trois conférenciers Mariana Paredes, Sébastien Duquet et Marco Fischer ont partagé leurs explications et leurs conclusions sur les raisons de la crise. Mariana Paredes insiste sur six points essentiels qui permettent de comprendre les échecs des Instituts de MicroFinance (IMF) : les défauts de méthodologie, les malversations de prêts, l’absence de contrôle sur la croissance, l’abandon de la niche du microcrédit, les défauts de conception et les ingérences politiques. Ces erreurs appellent selon elle des mesures en termes de régulation et de gouvernance. 68. Convergences 2015 Marco Fischer présente les résultats d’une étude internationale sur le surendettement et propose un indice d’alerte précoce basé sur quatorze indicateurs, dont trois principaux : le taux de pénétration du marché, les signaux envoyés par les établissements de crédit, et le cumul des prêts. Enfin, pour Sébastien Duquet, la crise met en lumière les carences les plus évidentes de la microfinance : la faiblesse des infrastructures, y compris juridiques, la saturation du marché, la gestion des risques, les prêts collectifs et l’attitude des investisseurs, qui doivent se montrer plus responsables. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse L’étude de Mariana Paredes est basée sur 10 Institutions de Microfinance (IMF) dans six différents pays d’Amérique Latine. Chaque IMF étudiée représente un exemple d’échec spécifique. La présentation de Mariana Paredes se concentre sur six types d’erreurs qui ont obligé les IMF à affronter de gros problèmes et qui les ont poussé éventuellement à l’échec. La présentation de Mariana Paredes revient également sur les leçons apprises de ces erreurs. Ces erreurs sont: 1. Les défauts de méthodologie La plupart du temps, il y a une implantation pauvre ou partielle implantation de la méthodologie spécialisée typique du microcrédit. L’accent est mis sur l’octroi des bonus aux agents de crédit au lieu de contrôler les risques. 2. Les fraudes systématiques Au niveau de la gestion: • Prêts aux parties liées ; • Contrat de service aux membres de la famille. Au niveau de la vente: • Des prêts fantômes et une information inexacte ; • Le consentement entre le client et les bureaux de prêts. Ces fraudes n’augmentent pas les pertes économiques mais minent l’éthique de l’institution. 3. 4. La croissance non contrôlée Dans ces IMF, Il y a eu une forte croissance sur du court terme avec un recrutement rapide de gestionnaires de crédit et un manque de systèmes de gestion. La perte de concentration sectorielle Les IMF étudiées se sont essayées à d’autres activités avant de renforcer leur propre service de microcrédit. Elles se sont aussi implantées sur d’autres secteurs sans ajuster leur modèle d’évaluation des risques. Mariana Paredes insiste sur le fait que beaucoup trop de produits arrivent sur le même marché sans études de diagnostic ou de développement d’un business model. 5. Défauts de conception Il n’y a pas eu d’étude du marché potentiel, et les expériences réussies ne sont pas faciles à extrapoler pour tous les pays ou toutes les institutions. Intervention publique. 6. Les financements publics Des investissements directs des gouvernements dans les IMF ont donné lieu à l’octroi de crédits pour des raisons politiques. Par ailleurs, les financements publics faussent et saturent le marché , participant ainsi au développement de mauvaises pratiques bancaires. Par ailleurs, le consentement du public crée un aléa moral. Il y a eu une multitude de leçons apprises. Premièrement, il est important de savoir qu’une solution ne peut pas répondre à tous les problèmes. Mariana Paredes dit que l’adversité stimule la créativité pour éviter de montrer une augmentation des pertes. Les IMF utilisent ensuite une gymnastique financière créative. Mariana Paredes recommande beaucoup de travail et une consolidation de la méthodologie spécialisée développée pour rencontrer les principales caractéristiques du marché. Dans chaque cas, un système intégral de gestion des risques est demandé. Mariana Paredes pose ensuite la question de l’accès facile aux financements : est ce positif ou négatif ? Un endettement excessif aggrave-t-il les problèmes de gouvernance ? L’ accès facile aux financements est-il un frein au dynamisme ? Dans son étude, Mariana Paredes démontre que ces financements permettent un taux de croissance plus élevé qui peut poser des problèmes. Le risque politique est aussi énorme pour les IMF. Le défi est à présent de réguler et de définir un ensemble de règles et de contrôles appropriés pour assurer un système de gestion des risques correct. Par ailleurs, la bonne gouvernance fait la différence. Donner l’essentiel des moyens d’actions à une seule personne, compte tenu de la faiblesse du Conseil d’Administration et du manque de contrôle interne au sein des IMF, devrait être évité. Marco Fischer présente son étude : « Le surendettement et la microfinance, construction d'un indice d'alerte précoce ». La définition du surendettement est lorsque l’emprunteur ne peut pas rembourser ses dettes en totalité et à temps comme ce fut le cas en Bosnie, au Maroc, et au Nicaragua en 2008 et 2009. Le problème du surendettement est qu’il crée des dégâts financiers et sociaux. Il a un impact négatif sur les emprunteurs, les IMF et les investisseurs. L’ objectif de cette étude est d’établir un indice d'alerte précoce pour le surendettement et de l'appliquer à un certain nombre de pays. L’ objectif serait d’aider à la prévention de futures crises et de développer l’évaluation des risques de marché. La méthodologie de cette étude était de choisir des indicateurs et de faire une enquête étendue auprès de 120 IMF, ainsi qu’une synthèse de la littérature académique de toutes les recherches universitaires pour ensuite définir les index du surendettement. 14 indicateurs ont été choisis. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études 69. Marco Fischer s’est concentré sur trois indicateurs. 1. 2. 3. La pénétration du marché reflète la saturation du marché. Cette dernière est un facteur clé du surendettement. La qualité et l’utilisation d’indicateurs sur le crédit comme par exemple dans le cadre des centrales de risque, pour éviter le surendettement. Les prêts multiples, qui montrent l'augmentation du risque de surendettement. Ensuite Marco Fischer a présenté le classement des pays qu’il a fait avec l’indice d’alerte précoce. Le plus haut niveau de surendettement est par exemple localisé au Pérou, au Cambodge et en Bosnie. Ce classement n’est pas destiné à encourager ou à arrêter les investissements mais à créer des dialogues et des débats. Ceci est le premier pas, cependant, des recherches futures sont nécessaires. Cette recherche est la première étude académique transnationale. Pour Sébastien Duquet, les crises apportent un éclairage sur de nombreux problèmes sous-jacents : • La faiblesse du système juridique et le manque d’infrastructures appropriées comme les centrales de risque. • Le manque de transparence et la communication inappropriée entre les IMF • Le problème de la méthodologie de prêts collectifs. • Le problème de la gestion des risques. Comment peut-on prendre en compte le surendettement durant le processus d’investissement ? Lors de l'évaluation de la méthodologie de crédit, certains points doivent être vérifiés : la sélection des clients, le suivi, les contrôles, l’utilisation des garanties, le processus de validation de crédit et de l’ évaluation rigoureuse de la capacité à rembourser la dette. La culture des risques devrait être évaluée à tous les niveaux : au niveau du Conseil d’Administration et de la gestion, au niveau des ressources humaines, au niveau de l’audit interne et au niveau de la succursale. La gestion de la performance sociale devrait aussi être une priorité. Pour être responsables face au surendettement, les investisseurs devraient orienter leurs investissements, réduire le montant ou l’échéance, envoyer des lettres officielles au Conseil d’Administration ou au comité de direction des IMF soulevant leurs inquiétudes, construire des indices de surendettement et participer à toutes les études pertinentes sur le sujet. • La saturation du marché. 70. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Quelle est la différence entre avoir trois prêts et être surendetté ? Marco Fischer : Cela dépend du contexte du marché ou des flux de trésorerie et de vos capacités. Sébastien Duquet : Le surendettement concerne habituellement les entrepreneurs individuels. Ce qui est délicat, c'est qu'il a poussé les IMF à cesser leur collaboration avec les entrepreneurs sociaux, tandis que les petites entreprises ont un profil moins risqué que celles de taille moyenne. Une solution doit être trouvée. Commentaire du public : Les excès de liquidités ont précédé le surendettement, en constituant une offre de crédit trop importante. Nous avons besoin d'examiner le rôle des institutions. Marc Roesh : Il est toujours difficile de donner une définition du surendettement. Par exemple, en Inde, c’est lorsque les personnes ne sont pas capables de trouver un autre prêteur. Cela diffère d’une famille à une autre. Cela dépend beaucoup du système informel. Rapporteur officiel : Claire Alambik, BNP Paribas Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence La crise de la microfinance : résultats de plusieurs études 71. Microfinance plus : comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres ? Mini-conférence // Microfinance Modérateur Christophe Villa Professeur, Chaire microfinance, Audencia Intervenants Yannick Bézy Responsable, secteur développement économique, Inter Aide Aude de Montesquiou Analyste microfinance, CGAP Rustam Sengupta Fondateur, Boond Résumé analytique La microfinance peut être liée à d’autres entreprises à but social afin de décupler leur impact. La Fondation CGAP-Ford nous présente1 le « modèle de progression »2 qui vise à contribuer à la réduction de la pauvreté par l’autonomisation des personnes pauvres pour apporter des changements dans leur vie. Celui-ci a pour but de comprendre comment les filets de sécurité, la qualité de vie et la microfinance peuvent être organisés pour créer des voies de sortie de l’extrême pauvreté en utilisant une méthodologie développée par BRAC3 au Bangladesh . Le modèle de progression de la fondation CGAP sélectionne les foyers les plus pauvres et leur offre un soutien financier et une formation élémentaire afin qu’ils puissent se stabiliser financièrement et gérer leur épargne. Le programme leur confie alors un actif économique qu’il aide à investir en fonction des opportunités de marché, et guide l’investissement en s’appuyant sur des comités de soutien et l’intervention d’un personnel accompagnant. Les résultats, pour l’instant encourageant, sont encore à juger sur le long terme. Inter Aide nous présente un programme de micro-assurance santé mis en place en Inde en 2003 qui vise à l’amélioration des qualités de vie au niveau de la santé et de l’hygiène en réduisant les coûts des soins de santé. Boond nous présente sa mission qui est de résoudre certains des gros défis mondiaux comme l’accès à l’électricité, l’accès à l’eau potable et la lutte antiparasitaire qui affectent les zones reculées du monde. Cette entreprise sociale et durable a une approche orientée vers l’innovation. 1 Toute la partie concernant le « modèle de progression » du CGAP est tirée du document suivant: « Créer des mécanismes de sortie de la pauvreté pour les plus démunis : premières leçons sur les modèles associant filet de sécurité et développement d’activités », note du CGAP rédigé par Mayada El-Zoghbi et Aude de Montesquiou, avec la contribution de Syed Hashemi, décembre 2009. 2 « graduation program » 3 http://www.brac.net/ 72. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Aude de Montesquiou travaille au CGAP pour le « modèle de progression » de la fondation CGAP - Ford. Depuis 2006, le CGAP et la Fondation Ford ont adapté l’expérience de BRAC à d’autres contextes. Neuf programmes de progression pilotes sont en cours en Éthiopie, en Haïti, au Honduras, en Inde, au Pakistan, au Pérou et au Yémen, et s’inscrivent dans les contextes institutionnels, économiques et culturels les plus divers. Les programmes pilotes ont été mis en œuvre au moyen de partenariats formés avec des prestataires de services financiers, des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des programmes publics de protection sociale. Plusieurs de ces programmes pilotes mesurent l’effet de l’intervention sur la vie des participants à l’aide d’évaluations d’impact randomisées rigoureuses et/ou d’études qualitatives. L’approche adoptée par le modèle de progression est holistique et intensive, et elle exige un degré important d’efforts concertés. La réussite repose essentiellement sur la bonne programmation dans le temps des services de développement, et sur un suivi minutieux et des interactions régulières entre le personnel du programme et les ménages participants. La sélection des participants est cruciale car elle doit garantir que seuls les ménages les plus pauvres sont admis dans le programme. Une première identification peut être effectuée à l’aide d’une classification des ménages par niveau de richesse effectuée de manière participative au sein de la communauté et par le biais d’enquêtes simples auprès des foyers. En outre, il s’est avéré nécessaire de prévoir des visites par des cadres du programme afin d’éviter la participation de ménages mieux lotis. Par ailleurs, étant donné que le modèle est fondé sur le renforcement des activités économiques, il ne peut recruter que des personnes qui sont capables, physiquement ou mentalement, de gérer une petite entreprise. Une fois que les participants ont été sélectionnés pour le programme, ils reçoivent dans un premier temps un soutien à la consommation sous la forme d’une petite somme d’argent ou de biens en nature. Ce soutien leur donne la possibilité de « respirer », en stabilisant leur consommation. Il peut être offert dans le cadre d’un programme de protection sociale déjà en place. Le fait de discuter du montant et de la durée du soutien avec les participants établit la confiance et les aide à faire des projets pour la période qui suivra l’arrêt du soutien. Une fois que la consommation alimentaire des participants a atteint un équilibre, ils sont encouragés à épargner, en général dans un compte individuel ouvert auprès d’une institution de microfinance (IMF). Non seulement cette approche permet d’accumuler un patrimoine, mais l’épargne régulière inculque une discipline financière et familiarise les participants potentiels avec l’IMF. La plupart des sites pilotes ont ressenti le besoin de former les participants à la gestion de trésorerie et à la gestion financière. Les participants reçoivent en outre une formation qui doit les aider à s’occuper de leurs actifs et à gérer une activité génératrice de revenus. Même rudimentaire, une telle formation est essentielle pour la réussite des petites entreprises. Cette forma- tion comprend également des informations sur les sources d’assistance et les services disponibles (services vétérinaires par exemple). Quelques mois après le début du programme, chaque participant bénéficie d’un transfert d’actif subventionné, ce qui lui permet de démarrer une activité économique. Pour identifier des options de subsistance pérennes dans des filières capables d’absorber de nouveaux venus sur le marché, il faut commencer par analyser minutieusement les services d’appui et les infrastructures de marché. Une fois que plusieurs options ont été identifiées, le participant fait son choix dans une gamme d’actifs, en fonction de ses préférences et de son expérience. Si l’on veut réduire les risques, les ménages doivent entreprendre plusieurs activités ; il convient d’associer des actifs à court terme à des actifs à long terme. Si l’actif choisi est du bétail, ce dernier doit être autant que possible résistant aux maladies et facile à soigner. La partie cruciale du modèle est celle du suivi régulier et de l’encadrement des participants par un personnel dédié. En général, les personnes indigentes manquent de confiance en elles-mêmes et ne possèdent aucun capital social. La formation renforce les compétences et la confiance, mais elle ne suffit pas à stimuler la confiance en soi. Les visites hebdomadaires du personnel du programme dans les ménages participants ont un but de suivi mais leur objectif principal est bien plus de coacher les participants tout au long des 18 à 24 mois du programme. Pendant ces réunions, le personnel aide les participants à planifier leur activité professionnelle et à gérer leur argent, tout en offrant soutien social et services de soins et de prévention sanitaire. Dans plusieurs cas, il s’est révélé essentiel d’associer au programme un prestataire de soins de santé, qu’il s’agisse d’une structure publique ou d’options offertes par des organisations non gouvernementales. Le soutien et la solidarité fournis par le biais de réunions de groupe et par la participation à des groupes d’entraide contribuent également à renforcer la confiance. Plusieurs programmes pilotes ont créé des « comités d’assistance villageoise » : ils comprennent habituellement des personnalités locales, telles que des membres du clergé, des enseignants ou des anciens du village. Ces comités soutiennent les participants pendant le programme et peuvent poursuivre leur appui après la fin du programme. Les neuf programmes pilotes étudiés par le CGAP et la Fondation Ford en sont à des stades différents : quatre d’entre eux ont achevé le cycle de progression tandis que les cinq autres sont en cours de mise en oeuvre. Dans le cas de Fonkoze (Haïti), 143 participants sur 150 ont atteint l’objectif de progression. La majorité des participants qui n’ont pas achevé le cycle vivait dans une zone bénéficiant d’interventions humanitaires postérieures à un cyclone, et Fonkoze a décidé de ne pas étendre ses opérations dans cette région. À Bandhan (Bengale occidental), la proportion de participants atteignant les objectifs du programme s’élève à 97 %, et l’organisation a déjà commencé à s’étendre dans des zones urbaines aussi bien que rurales. À Trickle Up, toujours dans le Bengale Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Microfinance plus : comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres ? 73. occidental, en dépit des obstacles majeurs rencontrés par les participants au début du projet, dont la grippe aviaire et d’autres maladies, des inondations et un puissant cyclone, 258 des 300 participants au programme pilote avaient atteint l’objectif de progression en octobre 2009. Chacun d’entre eux avait pu se doter d’actifs à hauteur de 150 USD, constituer une épargne de plus de 20 USD et pouvait compter sur des sources de revenus diversifiées. Dans l’État d’Andhra Pradesh, le programme SKS prend en charge les participants par groupes successifs : 360 participants sur 426 avaient atteint leur objectif en octobre 2009. SKS prévoit qu’après le départ du quatrième groupe, le taux de réussite (graduation) atteindra 97 %. Il reste à déterminer si le modèle de progression produit un effet à long terme sur la pauvreté ou si les participants retombent dans leur état initial après l’arrêt du soutien. L’étude d’impact entreprise par le CGAP et la Fondation Ford va continuer à suivre les participants aux programmes pilotes. 74. Convergences 2015 Yannick Bézy a travaillé pour la mise en œuvre de programmes de développement à différentes échelles d’implication (la microfinance sociale grâce aux formations, à l’épargne, au développement de la famille, à des formations professionnelles et de placement, à la mutuelle santé, etc.). Ici, il se concentre sur la micro-assurance. L’origine de l’activité provient de l’idée que dans les zones urbaines, les problèmes d’hospitalisation et de santé ont été les principales causes d’échec des micro-entrepreneurs dans les programmes de microfinance. Cela représente entre 30 et 40% des cas où les gens sont retournés à un état de pauvreté. Tous les efforts consentis par la population ont ensuite été ruinés. La question était donc de créer une micro-assurance adaptée aux personnes pauvres. Yannick Bézy se concentre sur le cas de l’Inde, où Inter Aide a mis en œuvre un programme de micro-assurance santé en 2003. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Les problèmes de santé des habitants des bidonvilles sont liés à des problèmes d’argent, de qualité de vie et au manque d’information. 1. En l’absence d’un système de sécurité sociale, les individus ont besoin de financer leurs frais médicaux. Quand ils sont hospitalisés, le gouffre financier est dû aux dépenses médicales et à la perte du salaire journalier. Par conséquent, cela aggrave la pauvreté. 2. L’accès aux services de santé de qualité est difficile. Les frais de médicaments et de médecins sont élevés. En Inde, de nombreux médecins ont des qualifications peu élevées et l’accès aux médicaments est difficile. On constate notamment que 40% des médicaments sont contrefaits. Enfin, il y a globalement un manque d’éducation sur la santé. 3. Les individus frappés par la pauvreté ne sont pas informés des services vers lesquels ils peuvent se tourner pour répondre à leurs besoins (produits à prix abordable, orientation, gestion locale…) Par ailleurs, de manière connexe, le manque d’hygiène dans certaines zones du pays et les croyances superstitieuses sont des facteurs aggravants des problèmes de santé. Le programme lancé par Inter Aide est un programme de fonds de mutuelle santé. L’objectif est de réduire le coût des services de santé. Ce fonds paye 80% des coûts d’hospitalisation (jusqu’à 15 000 roupies par an). L’accès aux soins de qualité est donné à travers un réseau de 200 praticiens de la santé. Des campagnes de santé sont aussi effectuées dans les bidonvilles. Des conseils sont donnés pour un accès accru aux hôpitaux et autres services de santé. Le programme est géré par des gens de la communauté qui se réunissent tous les mois. Le produit proposé à la population est de 100 roupies par an et par membre. Il est obligatoire pour les personnes sollicitant des prêts. En 2010, il y avait 100 000 membres et 100 000 euros ont été remboursés. Les membres bénéficient également de services de soins de santé gratuits et se familiarisent avec les réseaux hospitaliers qui offrent des réductions sur les coûts de santé. En 2010, l’ensemble des membres a pu économiser plus de 100 000 euros sur les dépenses de santé. Un modèle similaire est actuellement mis en œuvre à Madagascar. A son tour, Rustam Sengupta présente les activités de sa fondation. Boond est le nom d’une petite entreprise sociale en Inde qui cible les populations les plus frappées par la pauvreté. En hindi, ce nom signifie « goutte d’eau ». Près de 25% de la population indienne (soit 300 millions de personnes), vit avec peu ou pas d’électricité. D’où vient donc la croissance économique de 9% par an ? Boond essaie de regarder les défis auxquels sont confrontés les villages : l’électricité, l’eau potable, le stockage de nourriture, l’assainissement, l’assurance maladie, la peste /la lutte contre les maladies etc. Les solutions existent mais il faut pouvoir y accéder. Les centres de développement Boond proposent des produits simples à prix abordable grâce à un financement à faible coût et le service de soutien allant avec ces produits. Boond fournit les produits et la formation pour permettre aux microentrepreneurs de les vendre. Les kits de développement Boond sont également vendus. Ils comprennent une moustiquaire, une lampe et un panneau solaire. Dans les cas d’extrême pauvreté, 30 roupies sont donnés sur une base quotidienne. Ces paiements s’effectue au cours de l’année. L’activité est subventionnée par les grandes entreprises, les IMF et les financements privés. C’est un modèle de microfinance 2.0. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence A2 Microfinance plus : comment lier la microfinance à d’autres services pour toucher les plus pauvres? 75. Questions Pourrions-nous avoir plus de détails sur la viabilité financière du programme du BRAC ? Aude de Montesquiou : Le coût du programme du BRAC est de 150 dollars par participant. Pour le programme du CGAP, il est compris entre 200 et 1480 dollars pour 18 mois à 2 ans. Pour l’avenir, ils espèrent atteindre des économies d’échelle. Ce programme reste une solution coûteuse car il est intensif et est adapté pour seulement 10% de la population. Une analyse coût-bénéfice aura lieu en 2013. Les subventions viennent-elles des bailleurs de fonds ? Rustam Sengupta : Boond est un modèle hybride : il est une fondation sans subventions officielles et son rôle en tant qu’entreprise sociale est secondaire. Qu’avez-vous appris depuis que vous avez commencé ? Comment est formé votre personnel ? Yannick Bézy : L’orientation, le suivi et la vérification sont très importants afin de donner une meilleure information à la population et améliorer l’accès aux services de soins de santé. Rustam Sengupta : Ce sont les personnes qui ont une vision et un lien très fort avec l’endroit qui sont engagés. Celles-ci sont formées sur place et apprennent aussi des compétences de base. Rustam Sengupta : Les clients et les consommateurs sont différents. Les gens peuvent être pauvres, mais ils ne sont pas stupides. Ils ont besoin de produits à véritable valeur ajoutée. Les micro-entrepreneurs doivent-ils emprunter ? Rustam Sengupta : La fondation Boond donne le premier prêt. Ils commencent avec un investissement de 800 euros. Pendant trois mois, la société paie pour le loyer, ensuite le micro-entrepreneur parvient à récupérer les coûts. A partir de ce moment là et c’est un partenariat 20 - 80%. Ils sont propriétaires, le gérant détient plus de part que les personnes qui travaillent pour lui. Les micro-entrepreneurs appuient la surveillance et fournissent des suivis. 76. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Claire Alambik, BNP Paribas Au-delà de la microfinance : développer les chaînes de valeur et le revenu Mini-conférence // Microfinance Modérateur Marie-Anne de Villepin Chargée de communication, département microfinance, BNP Paribas Intervenants François Durollet Directeur Général, PlaNet Finance Ivana Damjanov Adjointe à la direction des opérations, PlaNet Finance Vipin Sharma Directeur Général, ACCESS Development Services Résumé analytique Cette table-ronde a permis de découvrir deux modèles de création de chaînes de valeur, l’une en Inde et l’autre au Ghana. Dans les deux cas, des réseaux de petits producteurs ont été créés, renforçant leur pouvoir de négociation. Ces petits producteurs sont formés pour améliorer la qualité de leurs produits. La transparence du marché est améliorée par une large information notamment sur les prix. Les réseaux de producteurs sont mis en relation avec les acheteurs internationaux ou même déchargés du risque commercial quand l’organisation leur achète leur production. Enfin, des produits de microfinance adaptés leur sont proposés. C’est la synergie de tous les instruments employés qui fait l’efficacité du système. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Au-delà de la microfinance : développer les chaînes de valeur et le revenu 77. Synthèse Vipin Sharma explique que, en Inde, 93% de la population travaille dans le secteur informel, sans aucune forme d’assurance sociale, 37% d’entre eux travaillent hors du secteur agricole et sont souvent des personnes seules, des travailleurs manuels, mal informés, sans aucun pouvoir de négociation, peu mobiles et donc limités aux marchés locaux. Pour eux, comme pour les agriculteurs, la création de valeur s’arrête à leur porte. D’où la nécessité de créer des chaînes de valeur, qui les incluent. Ce sont des demandeurs de microcrédits typiques. Mais la microfinance, à elle seule, ne suffit pas. De nombreux services complémentaires sont nécessaires. Access a ainsi créé un label Ode to Earth, basé sur une utilisation non abusive des ressources naturelles renouvelables, avec une valeur ajoutée. Access analyse le marché, fournit une assistance à l’élaboration des produits et joue un rôle d’intermédiaire, en achetant les produits aux producteurs prenant ainsi le risque à leur place, et s’occupe enfin du packaging. Access fournit aussi le capital initial nécessaire. Ode to Earth rassemble aujourd’hui 75 000 producteurs, dont des ONG. Une foire annuelle a lieu en automne et deux magasins de détail ont été ouverts, dont un à Delhi. Ode to Earth est aujourd’hui confronté à différents défis. En particulier, la structure est destinée à devenir autonome financièrement mais la question se pose de savoir si les producteurs pourront payer leur « abonnement ». De plus, le co-investissement des producteurs dans Ode to Earth risque de ralentir son développement, d’autant plus que les problèmes de qualité sont dus à la pauvreté des producteurs. Ode to Earth se pose la question du fonds de roulement et reste positionné sur des marchés de niche ce qui exclut les grosses productions. par la cueillette sur des arbres qui poussent dans la savane, le séchage, l’ensachage, le stockage et parfois la transformation des noix en beurre de karité. Les femmes qui font ce travail n’ont aucun pouvoir de négociation et aucune organisation collective. Elles vendent à des intermédiaires qui augmentent le prix au long de la chaine mais n’y ajoutent aucune valeur. Le projet a consisté notamment à éliminer les intermédiaires, à instaurer une transparence du marché (grâce à un logiciel spécialement conçu par SAP informant sur les prix), à améliorer la qualité des noix et leur séchage, à éduquer au développement durable, à créer des produits financiers adaptés et des réseaux de femmes productrices, et à établir une relation directe entre les producteurs et les acheteurs internationaux (notamment pour les produits cosmétiques). Les trois points clés du dispositif sont la technologie de l’information et de la communication, l’éducation et la microfinance. Le réseau comprend 1500 personnes et a pour objectif d’en atteindre 4500. Une étude faite à Stanford démontre que l’amélioration de la qualité des produits et de la transparence des marchés fait croître le revenu des femmes de 30%. A terme, pour accroître la création de valeurs, l’accent doit être mis sur la production et commercialisation du beurre de karité. PlaNet Finance et SAP ont prévus de prolonger leur partenariat et de développer un social business autour de ce projet pour en assurer la durabilité. François Durollet et Ivana Damjanov présentent un projet noix de karité au Ghana, avec SAP et l’Union Européenne1 . En général, les noix de karité sont ramassées localement par les femmes (600 000 notamment au nord du Ghana, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté) et transformées en produits dérivés à l’étranger (majoritairement en Europe du Nord). Localement, la valeur ajoutée apportée par le travail des femmes passe 1 http://admin.planetfinancegroup.org/upload/medias/fr/gn_1004_fr.pdf 78. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Juana Ramirez, e-MFP Branchless Banking : comment ça marche? Mini-conférence // Microfinance Modérateur Sugandh Saxena Directrice Exécutive, South Asian Microfinance Network (SAMN) Intervenants André Oertel Responsable des Etudes et du Conseil, Horus Development Finance Dominique Villeneuve Chef de projets, PlaNet Finance Mohsin Syed Ahmed Directeur Général, Pakistan Microfinance Network Résumé analytique Le mobile money1 et autres systèmes du branchless banking2 ont suscité un grand intérêt depuis quelques années. Cependant, les résultats sont encore dispersés et largement discutés. Nous allons présenter quelques réussites expérimentales, du mobile money aux partenariats avec les réseaux existants. Nous verrons donc les innovations du service postal financier, les projets des compagnies de téléphones facilitant l’accès au mobile banking et l’utilisation du modèle de banque par téléphone mobile. 1 argent mobile 2 banque à distance Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Branchless Banking : comment ça marche ? 79. Synthèse Dominique Villeneuve identifie au fil de son exposé les expériences et les initiatives utilisées par les réseaux mondiaux des bureaux de poste pour des financements positifs. Avec un réseau dense de plus de 500 000 points de vente à travers le monde, les bureaux de poste sont, de loin, les organisations les plus répandues. En Algérie, par exemple, les réseaux de bureaux de poste représentent le double des réseaux bancaires cumulés. L’utilisation des bureaux de poste à des fins financières se présente comme une opportunité historique liée à la baisse des quantités de courrier en raison de l’importance croissante des vecteurs de communication alternatifs tels que la messagerie électronique. Dans de nombreuses régions du monde, les bureaux de poste offrent déjà des produits financiers tels que les comptes courants et d’épargne, mais n’accordent pas de crédits. Certains d’entre eux veulent à présent devenir des banques et offrir d’autres services tels les crédits et les prêts. Au cours des 15 dernières années, ce mouvement a été observé dans plusieurs régions et pays : • France en 2006 • Chine en 2007 • Maroc en 2010 Il est aussi nécessaire de mentionner le parcours de la banque Bradesco : gagnant un appel d’offres du gouvernement à des fins de correspondance bancaire au Brésil en 2002, Bradesco a, depuis, été capable de vendre ses services bancaires à travers plus de 6200 bureaux des réseaux postaux Banco. L’intérêt spécifique de la microfinance pour les bureaux postaux est dérivé de : • la proximité géographique : d’une importance majeure pour les institutions de microfinance (IMF) qui n’aiment pas garder la trésorerie qui reste pourtant le principal outil de paiement de microcrédit (70-80%) ; • le partage des mêmes valeurs : les deux tendent à couvrir une zone géographique maximale afin de mieux servir toutes les communautés, même les plus isolées. Quelques particularités des innovations du service postal financier : • Tunisie : La poste fournit des produits d’épargne avec une composante d’assurance pour l’éducation des enfants ; • Maroc : La poste fournit des produits d’épargne avec une composante d’assurance pour la retraite. Quelques histoires célèbres de la poste pour l’inclusion financière : • Afrique du Sud : Les bureaux de poste ont atteint la majorité des parts du marché (37%) avec le Mzansi account - un produit d’épargne lié à une carte qui a été lancée par quatre banques commerciales ; particulièrement dans la région la plus défavorisée du Nord ; • Pakistan : En 2007, les bureaux de poste ont mis en place un partenariat avec la première banque de microfinance garantissant un accès à 50 bureaux de poste dans le Penjab. Ce partenariat a permis l’octroi de 150 000 prêts d’un montant de 27 millions de dollars. Les questions juridiques qui interférent avec ce genre d’alliances stratégiques : • Au Brésil par exemple, les pharmacies et les stations-service sont autorisées à offrir des services financiers. Le cadre réglementaire des services de correspondance bancaire a facilité le succès de l’entreprise pour la banque postale. • En Chine, la banque postale a été créée en 2007 et est entrée dans le monde des IMF 2 ans après, offrant des contrats de microcrédit et de microassurance représentant aujourd’hui plus de 1,9 millions d’emprunteurs actifs. Mohsin Syed Ahmed, qui représente Pakistan Microfinance Network une association de 26 IMF au Pakistan, présente l’impact des services bancaires mobiles au Pakistan. Dans ce pays, 62 banques (toutes privées, sauf la Banque Nationale du Pakistan) gèrent 26 millions de comptes à travers 190 000 branches. A côté de cela, 680 000 transactions sont initiées par le biais des téléphones portables. En pleine croissance, les IMF sont au service de la population pauvre (la moyenne du revenu net par habitant est de 370 dollars par mois). Pour la fin 2015, on estime en moyenne à 4 millions le nombre d’emprunteurs auprès des IMF, alors qu’une estimation plus agressive les évalue à près de 10 millions. Deux expériences récentes de branchless banking ont été introduites au Pakistan : Easypaisa vs Omni Dukaan. La première est orientée de manière plus technologique que la seconde dont le business model apparaît moins couteux. Easypaisa a été lancée par Telenor Pakistan. Cela permet à n’importe quelle personne (clients de Telenor ou non, possédant un téléphone portable ou non) d’effectuer des transferts d’argent d’un magasin Easypaisa (10 500 au Pakistan). Cependant, l’ouverture d’un compte est réservée aux détenteurs d’une carte sim Telenor. Telenor Pakistan a récemment rejoint Tameer Microfinance Bank pour faciliter le paiement des factures des services publics, envoyer ou recevoir de l’argent à l’intérieur du pays, et recevoir de l’argent de l’étranger. Omni Dukaan est une création de United Bank ; le numéro de téléphone portable est également utilisé comme un numéro de compte bancaire. Les opérations sur le compte peuvent ainsi être effectuées de n’importe quelle branche de United Bank tout comme dans les magasins Omni Dukaa (présent dans 350 villes du Pakistan). • Brésil : Banco Postal a ouvert 10 millions de comptes en moins de 8 ans 80. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements D’autres initiatives ont été mentionnées par Mohsin Syed Ahmed comme : • Orascom /mobilink (Waseela Bank), • HBL Ufone, • Bank Alfalah Warid, • Dubai Islamic Puilot, • TCS (Courier Co), • KASB MobileAkhwat. Laurent Clauser nous présente Horus Finance. Horus/Advans/Noomadic sont actives dans la gestion des IMF (Advans), fournissant des services de consultance dans les domaines de la microfinance et de la finance du développement (Horus), et ayant développé un logiciel de banque par téléphone portable (Noomadic) offrant des services stratégiques (Horus). L’objectif général du branchless banking réside dans la réduction des coûts et l’accessibilité croissante des services. Horus considère néanmoins que, pour tirer des conclusions des expériences passées, il faut distinguer trois niveaux d’inclusion financière résultant du branchless banking inégalement traités à ce stade : 1. Services de caisse de base : envoyer/recevoir des espèces, payer des factures et recevoir un salaire en espèces (niveau 1) 2. Services de compte courant : les transferts, les paiements scripturaux, la sauvegarde des petites quantités (niveau 2) réelle « nouvelle frontière » consiste en l’utilisation du modèle de banque par téléphone mobile pour accroître l’accès au niveau 3 des services tels que le crédit, l’épargne et l’assurance. Ceci nécessite l’implication des institutions financières. Horus/Advans estiment qu’il existe plusieurs manières d’atteindre ce but et ont expérimenté (ou considéré) plusieurs modèles différents : • Atteindre directement les comptes bancaires à travers une plate-forme de banque contrôlée : cela a été effectué par la Banque Xac en Mongolie, qui a acquis 51 000 clients pour ce service (24 000 transferts) après 1 an et demi et qui emploie aujourd’hui 1888 agents ; et plus récemment par Advans Congo (services d’information, de transferts, et potentiellement d’utilisation des services bancaires mobiles pour les mauvaises opérations de recouvrement de la dette). Ces deux banques de microfinance utilisent Noomadic Software : • Elles participent à l’initiative de mutualisation pour fournir des portefeuilles électroniques à leurs clients : Advans Ghana aide activement les comptes de la Banque E-Zwitch du Ghana à la collection d’épargne quotidienne (15 percepteurs susu équipés des services bancaires mobiles, servant 1200 clients sur une base quotidienne) ; • Elles étudient les partenariats avec d’autres initiatives développées par des sociétés télécom, institutions financières ou des fournisseurs de services. Des choix sont faits au cas par cas, pour répondre à la question suivante : dans ce contexte, avec cette demande, quel modèle (services / organisation / modèle économique) pourrait servir au mieux les objectifs de l’IMF ? 3. Crédit/épargne/assurance (niveau 3). Jusqu’à présent, les modèles de banque par téléphone portable les plus communs, comme E-wallet utilisé par les compagnies de téléphone (ex : Safaricom’s M-PESA), ont été efficaces pour fournir des services de niveau 1 et 2 tels que des transferts P2P (Person-to-Person transfers) et G2P (Governments-to-Person transfers) et des paiments P2G (Person-toGovernments transfers) et P2B (Person-to-Business transfers). Cependant, la Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Branchless Banking : comment ça marche ? Rapporteur officiel : Gérard Brasquet, Société Générale 81. La crise de la microfinance en Inde : quelles perspectives ? Table-ronde // Microfinance Modérateur Vipin Sharma Directeur Général, ACCESS Development Services Intervenants Arvind Ashta Professeur, ESC Dijon Bourgogne Suresh Krishna Directeur Général, Grameen Koota Royston Braganza Directeur Général, Grameen Capital India Alok Prasad Directeur Général, MFIN Résumé analytique La crise de la microfinance a éclaté en Inde en octobre dernier. Les institutions de microfinance ont été accusées d’être à l’origine d’une vague de suicides dans l’Etat de l’Andhra Pradesh. Or, bien que les IMF exercent une certaine pression auprès de leurs bénéficiaires, nécessaire au bon remboursement de leur prêt, c’est faire un raccourci que d’établir une corrélation entre les suicides en Andhra Pradesh et la microfinance, d’autant plus que les IMF indiennes s’adressent majoritairement aux femmes. Aujourd’hui, l’heure est à la recherche des causes de cette crise et des solutions à mettre en œuvre pour éviter de nouvelles dérives. Pour les intervenants, il ne s’agit pas d’une crise de la microfinance en général, mais plutôt d’une crise d’un canal. En Inde, le secteur a crû à une vitesse ahurissante et les clients ont été les premiers oubliés. Certaines caractéristiques de la microfinance indienne peuvent expliquer l’émergence de cette crise : 1. Un secteur caractérisé par différents groupes d’intérêt en conflit les uns avec les autres. Or il est important de faire coexister à la fois le volet social et commercial. 2. 3. L’insuffisance de l’autorégulation : le gouvernement a un rôle à jouer dans la mise en place de bonnes pratiques de la microfinance. L’approche « mono-produit » : manque la possibilité pour les IMFs d’accepter l’épargne, d’où leur dépendance à l’appel aux fonds propres par des investisseurs privés. 82. Convergences 2015 L’arrêté édicté par le gouvernement d’Andhra Pradesh, peut être trop rapidement, a eu un impact considérable sur les liquidités, d’autant plus que les IMF en Inde ne sont pas autorisées à collecter l’épargne de leurs clients. Les banques ont arrêté de prêter aux IMF ; de plus les acteurs politiques ayant demandé aux emprunteurs de ne pas rembourser leur prêt, le taux de remboursement est passé de 99% à 9%. Il est nécessaire de revoir les pratiques de la microfinance et de mettre en place un certain nombre d’actions: • Se concentrer sur le prêt responsable et la mission sociale des IMF par la création d’un label. • Limiter les taux d’intérêt sans que cette limite soit exclusive pour certains clients d’IMF ou pour certaines IMF. • Mettre en place une concurrence saine (le gouvernement ne doit pas dominer le marché mais établir des partenariats). • Sortir du modèle mono-produit : être plus flexible dans la conception des produits et tolérant en termes de taux de remboursement et accepter l’épargne. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Vipin Sharma : Les plus grosses IMF ont été touchées par la crise en Inde en octobre dernier. Il faut chercher quelles en ont été les causes et voir quels en ont été les effets. Il faut chercher les solutions et les challenges. Aujourd’hui pour en parler nous avons des personnalités de haut vol dont 3 viennent d’Inde : •Suresh Krishna est directeur de la Grammen Koota, qui fait partie des 20 IMFs les plus grandes. •Alok Prasad a travaillé sur la stratégie d’entreprise. Il est aujourd’hui président du MFIN, un nouveau réseau d’IMF dans le pays. •Royston Braganza a travaillé pendant 12 ans dans la banque commerciale. Il est maintenant directeur de la Grameen Capital, mise en place par la fondation FMI et Grameen. •Arvind Ashta est professeur à l’ESC Dijon Bourgogne. Il a écrit un livre sur les technologies de microfinance avancée. Vipin Sharma : Dans l’identification des causes de la crise actuelle, les IMF ont-elles joué un rôle dans la crise qui les a affectées ? Royston Braganza : Notre secteur s’attend à de nouvelles réglementations. Il y a 2 mois, une série de réglementations est venue un peu perturber le secteur. Certes de nouvelles orientations ont été données mais il faut chercher les causes inhérentes à la crise. L’Inde dispose d’une économie complexe et intéressante à la fois. Différents groupes d’intérêt sont en conflit les uns avec les autres, et les intérêts des clients sont parfois oubliés. Les volumes ont crû de manière importante et des secteurs se sont sentis menacés. Conduire à une telle vitesse sur ces routes a conduit à se jeter dans le précipite. La politique, les intérêts divergents des investisseurs, la concurrence des programmes financés par l’Etat, le taux d’échec important dans certaines régions et le personnel qui n’est pas toujours bien formé font que la consanguinité n’est pas bonne. L’ensemble de ces facteurs a fait éclater un conflit entre les IMF et le gouvernement. Je ne pense pas que ce soit une crise de la microfinance, mais plutôt la crise d’un canal. Je crois qu’il faut tenir compte du contexte global, l’Inde n’est pas un cas isolé. Cette vitesse ahurissante n’est pas sans causer quelques dégâts. Le secteur a commencé avec des objectifs différents. Il faut qu’il y ait un volet commercial et un volet social. Les deux doivent coexister. Toutes les données nécessaires sur la microfinance étaient là, mais pour l’impact social, c’était plus difficile. Les taux d’intérêt ne diminuent pas alors que les retours sur investissement s’accroissent. Le client était le centre à l’origine or on s’en est éloigné. Je voudrais insister sur le fait qu’un secteur qui devrait avoir deux jambes ne s’est appuyé que sur une jambe. Vipin Sharma : Le problème est que les IMF ont été accusées d’être responsables des suicides. Arvind Ashta : Effectivement c’est un problème critique entre bailleurs de fonds et clients. Si l’IMF est un animal dangereux, il faut pouvoir le dompter et c’est également la responsabilité de l’Etat. Pendant longtemps, il n’y a pas eu de réglementation, ce qui a permis à la microfinance de se développer considérablement. Aujourd’hui, on a une réglementation, ce qui est une bonne chose, mais elle limite considérablement le secteur. On a trouvé une corrélation entre la pénétration de la microfinance et les suicides des hommes, or le microcrédit est essentiellement à destination des femmes ! Certes, il y a un stress créé par les institutions de microfinance auprès des bénéficiaires, mais il n’y a pas de corrélation entre la microfinance et les suicides. Si aucune pression n’est mise, personne ne remboursera. Vipin Sharma : En 2008 il y a eu une autre crise dans le Karnataka. Suresh Krishna : Il y avait quelques signaux avant-coureurs. Pour moi ce n’est pas vraiment une crise. Il fallait faire une pause et voir comment traiter de la microfinance. Nous devions tout d’abord voir ce qu’il se passait au niveau des clients car il y avait beaucoup de nouvelles IMFs, au niveau des investisseurs et au niveau des régulateurs. En Inde, la microfinance s’intéresse essentiellement aux femmes. Les expériences tirées du Bangladesh ont montré que les femmes gèrent mieux l’argent. C’est pourquoi nous avons ignoré les hommes. En effet, aujourd’hui, la femme peut être la principale source du foyer. C’est un changement difficile à accepter pour les hommes. Chaque femme recevant un microcrédit devait attendre que toutes les femmes du groupe d’emprunteuses remboursent. Ce modèle fit le succès des institutions de microfinance, mais il est également à la racine du problème car il a été répliqué avec un manque de souplesse. Les femmes ont dû faire face à des responsabilités énormes. On a beaucoup entendu parler de performance financière, sans se soucier de bien servir le client. Beaucoup d’emprunteurs ont commencé à eux-mêmes prêter de l’argent. Les IMF n’ont pas appréhendé ce problème assez tôt. Vipin Sharma : Le secteur est dans un état catastrophique, sans nouvel investissement. Pourtant il y a quelques années, tout le monde voulait faire partie de cette microfinance. Royston Braganza : Nous avons eu un ordre du gouvernement et d’un coup toutes les activités se sont arrêtées en Andhra Pradesh. Cet ordre a eu un impact sur les liquidités. Les banques ont arrêté de prêter aux IMF et se sont inquiétées de savoir quel impact cette crise pourrait avoir sur leur propre secteur. Dès lors qu’il n’y avait plus de liquidités, il n’y avait plus de fonds pour financer le cycle de prêt suivant. De plus, le gouvernement est allé de village en village dire aux emprunteurs de ne pas Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde La crise de la microfinance en Inde : quelles perspectives ? 83. rembourser : le taux de remboursement est passé de 99% à 9% ! Les IMF n’étant pas autorisées à collecter l’épargne, elles ont été complètement privées de liquidités. flexibles vis-à-vis de notre tolérance en termes de taux de remboursement. De plus les groupes d’aide ont des limites, mais la pression des pairs est un bon outil de remboursement. Arvind Ashta : Au Bangladesh, la réglementation était interprétée telle que l’on pouvait prendre les dépôts des clients. Ce n’est pas permis en Inde. Je voudrais rappeler que les pratiques de recouvrement des dettes impliquent une certaine pression sans laquelle il n’y a pas de remboursement. En fait on a surtout géré des chiffres et des choses doivent être changées. Vipin Sharma : Comment les pratiques employées en Inde vont-elles être impactées ? Alok Prasad : Je pense en effet qu’il est important de réfléchir à cela pour l’avenir. Nous devons nous concentrer sur le prêt responsable, créer un label pour les IMF. La rentabilité ne serait plus la même, et le taux d’intérêt limité. Il faut qu’il y ait de la concurrence pour donner le choix aux IMF. On doit créer des partenariats avec le gouvernement, ce dernier ne peut pas être un acteur dominant le marché. Vipin Sharma : On pourrait mettre en place un code de conduite. Est que l’on est proactif en termes de performance sociale? Est-ce que l’on a commencé la double bottom line ou la triple bottom line ? Que faire en termes de transparence ? Arvind Ashta : La relation entre les hommes et les femmes est changeante dans la famille, mais il faut accorder des prêts aux hommes également. De plus, les IMF doivent pouvoir prendre les dépôts de leurs clients, cela instaurerait une relation équilibrée entre les agents de l’IMF et leurs clients. Enfin, les prêts doivent prendre en compte les conditions du client et établir des plafonds. La microfinance se déroule bien dans les pays qui ont une bonne gouvernance, sans corruption ! Alok Prasad : Est-ce que nous avons retenu des leçons ou est-ce que nous espérons que les bons jours reviennent ? Je crois que nous avons compris que le client est le plus important. Nous avons peut-être ignoré les signes avant-coureurs de cette crise. L’autorégulation est insuffisante, le gouvernement doit être présent et peut ordonner des interventions. Nous sommes tous ensemble dans cette situation : banques, IMF et régulateurs. Il faut œuvrer ensemble. Royston Braganza : Nous avons appris la sur-dépendance par rapport à la dette bancaire. Comment créer des liens avec le marché des capitaux et des obligations et ne pas avoir juste un flux de capitaux ? Comment sélectionner les investisseurs ? Il faut un investisseur qui comprenne la mission et soit capable de nous accompagner. Il nous faut mettre sur pied ce code de conduite qui devienne l’ADN de notre secteur. S’assurer que les IMFs connaissent bien leurs clients pour éviter les mauvaises pratiques et intégrer un taux d’intérêt limité, tout en ayant à l’esprit pour les régulateurs qu’une limite de taux d’intérêt, exclura certains clients. Enfin, il faut transférer une partie des bénéfices sur les clients. Suresh Krishna : En Inde, nous avons eu une approche mono-produit, c’est une des principales raisons de notre échec. Nous devrions accepter l’épargne, être plus flexibles en terme de conception des produits, plus 84. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Florence de Maupeou, Babyloan Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance. Vers une labellisation des IMF. Atelier // Microfinance Modérateur Emmanuel de Lutzel Responsable Microfinance, BNP Paribas Intervenants Anne Bastin Responsable de projet microfinance, Lux-Development Eric Duflos Spécialiste Microfinance Senior, CGAP Erik Ekué Consultant Anne-Françoise Lefèvre Responsable des relations institutionnelles, World Savings Banks Institute Laurent Lhériau Consultant Patrick Naïm Fondateur, Elseware David Payne Directeur Général, OXUS Afghanistan Jean-Luc Perron Délégué Général, Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation Franck Renaudin Fondateur, Entrepreneurs du Monde Matthew Titus Directeur Général, Sa-Dhan Chuck Waterfield PDG, MicroFinance Transparency Paul Loridant Secrétaire Général, Observatoire de la Microfinance, Banque de France Résumé analytique La microfinance représente une multitude de service financier auxquels beaucoup d’individus dans les pays en voie de développement n’ont pas accès en partie à cause de la faiblesse des institutions et des infrastructures financières. Des institutions de microfinance (IMF) peu scrupuleuses ont tiré profit de ces faiblesses et ont provoqué le surendettement des emprunteurs ce qui a entrainé une crise de la microfinance. Cette crise a permis de remettre en place la question de la transparence et de la régulation efficace de la micro- Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier finance. Il s’agit à présent de définir ce qu’est la régulation et quels en sont ses principes directeurs ? Comment pourrait-on construire un droit de la microfinance et protéger le client dans ces pays ? Cet atelier a pour but d’identifier les différentes initiatives proposées au cours de ces dernières années à travers lesquelles se dégage la labellisation des IMF ayant pour but de protéger l’épargnant. Mais permettra-t-elle de répondre aux multiples problématiques de la microfinance ? Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance. Vers une labellisation des IMF. 85. Synthèse Emmanuel de Lutzel a inauguré la table-ronde en demandant en quoi il était nécessaire de réguler une activité qui servait pour l’essentiel le secteur informel. Eric Duflos a rappelé les définitions clés du débat : la microfinance ne traite pas uniquement du microcrédit mais d’une diversité de services financiers pour les gens qui n’y ont pas accès. L’ épargne est au moins aussi importante que le crédit. Les institutions de microfinance ont des statuts très divers (ONG, banques, coopératives…). Quant à la règlementation, il s’agit d’un ensemble d’instruments légaux (lois, règlementations, décrets) pour légiférer une activité. La règlementation prudentielle est liée à la protection de l’épargne et concerne l’intermédiation financière tandis que la règlementation non prudentielle a d’autres objectifs très importants eux aussi tels que la lutte contre le blanchiment, la transparence des IMF et la protection des consommateurs. Au-delà de la réglementation prudentielle et non-prudentielle, la régulation inclut aussi les codes de conduite établis par le secteur privé. Pour Paul Loridant, en France, la législation a pour objectif de superviser, de contrôler et de faciliter la transparence. L’ Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) fait des contrôles sur pièce et sur place et peut prononcer des sanctions. Le problème de la régulation se pose dans les pays où 90% de la population n’est pas bancarisée. Selon Erik Ekué, fin connaisseur de l’Afrique, la microfinance ne fait pas partie du secteur informel, mais il s’agit plutôt de structures bien établies. Dans les années 1990, il y a eu une tentative de règlementation en Afrique après que des montants de l’épargne collectée aient été détournés. Aujourd’hui dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) , 10 millions de personnes sont concernées par la microfinance. Anne-Françoise Lefèvre rajoute que tout l’enjeu et le défi du débat règlementaire est de savoir comment on va passer de cette économie informelle à un cadre formel. Il faut se remettre dans le contexte des pays en développement où en général il manque d’infrastructures, de stabilité ainsi qu’une assise forte au soutien des initiatives liées à l’inclusion financière. Pour Jean-Luc Perron, il est nécessaire de prendre en compte le contexte des pays du sud. Il faut se poser la question de la finalité de la réglementation. Il s’agit de protéger l’épargnant. Le niveau de risque n’est pas le même selon le type d’institutions. L’épargne, le consommateur et l’intérêt général doivent être protégés. La réglementation en microfinance doit être universelle, effective, adaptée au contexte de chaque pays. Pour Patrick Naïm, qui dit règlementation, dit supervision. Or, il faut que les pays concernés aient une structure et un sens de l’intérêt général. Cela est difficile dans les pays où il y a beaucoup de corruption. Emmanuel de Lutzel pose ensuite la question de comment construire 86. Convergences 2015 un droit de la microfinance dans un pays où beaucoup de gens n’ont pas de papiers. Pour Erik Ekué, le cadre peut exister mais sa mise en œuvre peut poser problème. Un pays non démocratique a quand même des règles. La réglementation ne s’adresse pas directement à l’individu mais doit protéger le consommateur. Matthew Titus parle de la crise en Inde et de l’intervention de la banque centrale pour protéger les clients. La banque centrale peut maintenant lancer des actions en justice contre les institutions de microfinance peu scrupuleuses. Emmanuel de Lutzel demande par ailleurs si l’on est passé d’une régulation absente à une régulation excessive. Matthew Titus souligne le courage de la banque centrale en Inde d’agir ainsi. La banque centrale a tout redéfini. Pour Eric Duflos, le cas de l’Inde est particulier et il faut toujours revenir à l’objectif de la règlementation. La protection de l’épargne est une grande priorité pour la réglementation prudentielle. La crise en Inde a mis en valeur la nécessité de mieux protéger les emprunteurs face au surendettement. Une supervision effective et efficace est extrêmement importante. Cependant, la règlementation et la supervision engendrent un coût pour l’IMF et pour l’Etat. Anne Bastin explique ensuite comment le Grand Duché du Luxembourg s’est engagé à aider la Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest vers la régulation à travers le PRAFIDE/ Programme Régional d’Appui à la Finance Décentralisée. Ce programme vise quatre objectifs : • la modernisation du cadre juridique (loi, décret, institutions) ; • le renforcement de la surveillance ; • un appui au secteur ; • l’amélioration de l’information financière (nouveau référentiel comptable, centrale des risques). Pour assurer ces objectifs, une centrale des risques sous-régionale sera mise en place : il y aura un gros chantier avec l’utilisation de la biométrie et une vulgarisation du cadre juridique. Elle travaille actuellement à l’amélioration des systèmes d’Information et de gestion, à l’amélioration du contrôle interne et au renforcement des capacités des 8 Associations Professionnelles des Systèmes Financiers Décentralisés (AP/SFD) de l’Afrique de l’Ouest. Des audits externes seront obligatoires pour les structures les plus grosses. Il y aura également dorénavant un agrément unique pour toutes les institutions de microfinance. A noter cependant que cette nouvelle réglementation adoptée en avril 2007 en zone UEMOA, a été adoptée dans six des huit pays de la zone. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Chuck Waterfield expose ensuite le transparent and responsible pricing. Il dit que l’on ne devrait pas parler de prix moyen en microfinance. Beaucoup d’institutions ne savent pas le prix réel qu’elles font payer à leurs clients. Nous avons besoin de prix responsables en microfinance. Le fait de fixer une limite de taux d’intérêt est une bonne intention de régulation, mais cela peut avoir un impact négatif. Franck Renaudin souligne qu’il n’y a pas une mais des microfinances et que la microfinance n’est pas qu’une question d’inclusion financière mais aussi de réduction de la pauvreté. Il ne faudrait pas une financiarisation trop poussée de la régulation. Il y a un modèle de régularisation intéressant au Cambodge où la régularisation suit le développement de l’institution. Pour David Payne, quand on parle de régulation, il faut se demander qui l’on veut protéger. La différence entre les pays occidentaux et en développement porte sur la responsabilité. Il faut éduquer les clients pour qu’ils prennent des décisions responsables. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Vers une régulation et une supervision efficaces des institutions de microfinance. Vers une labellisation des IMF. 87. Question Matthew Titus rappelle que la Banque Centrale indienne insiste sur l’éducation du client. Erik Ekué rappelle qu’il n’y a pas de réglementation sur la gouvernance, ce qui pose problème. acteurs. Elle rappelle ensuite les six principes de la SMART Campaign. Les IMF vont souscrire à ces principes et il en va de la crédibilité de cette campagne à ce que le terrain suive. Pour le client il faut qu’il y ait une transparence, d’où l’idée d’une certification. Comment bâtir la confiance ? Il y a l’approche graduée qui consiste à remplir certains critères puis on certifiera certaines IMF après vérifications. La question du coût se pose alors : qui va payer ? Anne-Françoise Lefèvre rappelle que le prix doit être abordable pour le client et financièrement viable pour l’institution. Emmanuel de Lutzel réaffirme que les coûts et les formations sont déterminants. Eric Duflos explique qu’il y a eu trois grandes initiatives pour la labellisation : Erik Ekué dit que les informations données au public constituent un signal et peuvent créer des distorsions. Qui publie et où ? Qui a accès à l’information ? Paul Loridant souligne l’événement que constitue l’article du Comité de Bâle sur la microfinance. • la SMART Campaign avec ses principes de protection des clients : Do no harm ; • le Social Performance Task Force qui identifie des standards pour évaluer la performance sociale des institutions de microfinance et qui favorise une double bottom line financière et sociale ; • les certificats tel que le Seal of Excellence qui est voué à certifier des institutions de microfinance qui se concentrent sur la réduction de la pauvreté. Eric Duflos livre alors le chiffre de 800 IMF qui ont adhéré à la SMART Campaign mais aussi des milliers de particuliers et la grande majorité des bailleurs de fonds. Emmanuel de Lutzel souligne le problème d’incompréhension de la règlementation prudentielle. Paul Loridant lui répond que la règlementation protège la solvabilité de ceux qui font de la transformation. Anne-Françoise Lefèvre montre comment les principes d’autorégulation servent. Cela soulage le problème de la supervision et sensibilise les 86. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Marie-Anne de Villepin, BNP Paribas Pour une finance rurale et agricole opérationnelle Atelier // Microfinance Modérateur Jurgen Hammer Directeur des investissements, Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation Intervenants Bernard Ornilla Responsable de projet, Alterfin Adama Ba Directrice d’exploitation, UM PAMECAS-ADA-GRET Adama Camara Directeur, Soro Yiriwaso Dominique Lesaffre Responsable géographique, SIDI Jean-Baptiste Cavalier Chargé de programme, CFSI Etienne Mottet Responsable des opérations, OXUS Afghanistan Renée Chao-Beroff Directrice du département Microfinance au CIDR, Directrice Générale de PAMIGA Marc Roesch Chercheur, Institut de Pondichéry Nicolas Hertkorn Chargé de mission, AFD Résumé analytique Le monde rural fait face à deux défis majeurs : le risque climatique et le risque de marché (problèmes de fixation et de fluctuation des prix). De plus, il faut noter la difficulté d’accès à la propriété foncière, la difficulté des déplacements, les questions de sécurité et le manque de technologie et de formation. Dans ce contexte, le monde rural et agricole a besoin de financements et de produits spécifiques : avances de trésorerie (préfinancement des récoltes), assurance contre le risque climatique, flexibilité des conditions de remboursement, système de warrantage. Les institutions de microfinance (IMF) rurales se heurtent au problème de la rentabilité de l’agriculture et à des coûts importants pour atteindre ces populations (coûts de formation et de déplacement). Cependant, la forte croissance des pays émergents (naissance d’une classe moyenne demandeuse de produits agricoles) ainsi que l’amélioration de l’accès à la technologie présentent une opportunité réelle de développement pour le monde agricole. Il s’agit de développer une microfinance agricole adaptée, qui prend en compte les besoins particuliers et les défis des populations rurales. Pour limiter son risque, l’IMF se doit de contrôler tous les paramètres possibles et créer des systèmes d’incitation et de formation à destination des emprunteurs et des partenaires. La gestion des interactions entre les différents acteurs de la microfinance rurale est une des clés de la réussite du prêt agricole. De nombreux acteurs sociaux, financiers, entrepreneuriaux et étatiques sont impliqués dans le financement agricole. Il faut privilégier une approche coopérative et un partage des connaissances. Le monde rural est avant tout très hétérogène. La microfinance agricole doit donc être conçue de manière inclusive et il s’agit de privilégier des IMF solides et bien diversifiées s’adressant à tous les segments du marché. La finance inclusive implique de travailler sur l’ensemble des besoins de développement économique simultanément (urbain, rural, micro-assurance, etc). Une réflexion sur le type d’agriculture que la microfinance agricole entend soutenir et sur le partage de la valeur ajoutée doit être menée. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Pour une finance rurale et agricole opérationnelle 89. Synthèse La microfinance rurale et agricole implique des défis, qui s’expliquent par les risques particuliers auxquels sont confrontées les populations pauvres rurales et agricoles. Adama Camara, le directeur de Soro Yiriwaso, une institution de microfinance rurale malienne, souligne quatre grands défis de la microfinance rurale et agricole : les contraintes de vulnérabilité, opérationnelles, de capacité, juridiques et règlementaires. Il souligne le risque climatique, l’accès limité au crédit, les fluctuations du marché non maitrisées par le pays, ainsi que les contraintes techniques et de formation (taux d’analphabétisme élevé). Pour Adama Ba, la directrice d’exploitation de UM PAMECAS-ADAGRET, un réseau de mutuelles d’épargne et de crédit au Sénégal installé dans le monde rural depuis 8 ans, la microfinance rurale nécessite des méthodes différentes, adaptées aux contraintes du monde rural. Elle souligne spécialement les contraintes de terrain, et la nécessité pour l’institution de se déplacer, d’aller à la rencontre de ces populations. De plus, il est nécessaire de repenser une politique de garantie pour le monde rural. Marc Roesch, chercheur à l’Institut de Pondichéry, souligne le fait qu’il s’agit souvent d’exploitations de très petite taille. Selon lui, les agriculteurs font face à trois problèmes principaux : trouver une terre à cultiver et en financer l’achat ou la location, financer la main d’œuvre, financer les semences et les engrais. Pour traiter ces trois problèmes, les agriculteurs font d’abord appel à leurs proches, et ont recours à la banque en dernier ressort. Les principaux risques selon lui sont liés au climat et à la rentabilité des activités agricoles à financer. Jean Baptiste Cavalier, chargé de programme au Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI), souligne le problème d’accès à la terre et de l’accaparement de celle-ci (exemple du travail réalisé par l’association « Terres de liens » pour favoriser l’accès des paysans au foncier ). Il évoque aussi le risque climatique et la nécessité de faire en sorte que les paysans ne supportent pas l’intégralité de ce risque. Des groupements de consommateurs pourraient accepter d’en supporter une partie (exemples des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne – AMAP – ou des agricultures contractuelles de proximité)… Etienne Mottet, responsable des opérations pour OXUS Afghanistan, mentionne aussi le risque climatique, qui est difficile à gérer, hormis avec une assurance, et qui est particulièrement important en Afghanistan où alternent les phases d’inondation et de sécheresse. Il souligne le problème de vulnérabilité de ces populations et des actions dans ces zones, dû notamment aux problèmes de sécurité et à la difficulté des déplacements. Les difficultés opérationnelles sont aussi très présentes dans ces régions, avec le manque de technologie et de formation (50% de la population est illettrée). Si les risques sont énormes, la population agricole est majoritaire : il est donc nécessaire de développer une microfinance agricole. 90. Convergences 2015 Dominique Lesaffre, responsable géographique à Solidarité Internationale pour le Développement et I’Investissement (SIDI), évoque plusieurs problèmes : le facteur climatique, les invasions intempestives, l’émergence d’investisseurs qui se disent sociaux mais demandent des rendements élevés, les difficultés engendrées par des causes de nature politique… Par exemple, en relevant ses barrières douanières, le Malawi a pu relancer l’agriculture familiale dans le pays. A l’inverse, la réglementation au Pérou impose des Portfolio at Risk (PAR) trop sévères, inadaptés au milieu rural. De plus, il y a une inadéquation de l’offre de financement dans le milieu rural. Les modalités des systèmes d’aide contreviennent souvent aux exigences du financement rural. Le monde rural connaît donc des risques et contraintes particuliers qui impliquent des besoins de financement spécifiques. En effet, le métier d’agriculteur nécessite de la trésorerie, selon Jean Baptiste Cavalier. Il évoque deux exemples de systèmes d’avance de trésorerie : les AMAP, dans lequel les consommateurs s’engagent sur la durée en achetant par avance à un agriculteur les produits de sa récolte, et le système de warrantage, qui permet aux agriculteurs d’obtenir un financement en apportant en garantie une partie de leur récolte. Bernard Ornilla, responsable de projet à Alterfin évoque la diversité des produits de financement existant : épargne, crédit, transferts d’argent… Il souligne qu’il est important d’être flexible quant au mode de paiement lorsqu’il s’agit de microfinance rurale. De plus, une coordination entre les IMF, le gouvernement local, associations de producteurs, etc. est nécessaire. Quelles sont les principales difficultés rencontrées pour la mise en place d’une offre adaptée à ces besoins de financement particuliers? Renée Chao-Beroff, directrice du département Microfinance du Centre International de Développement et de Recherche (CIDR) et Directrice Générale de PAMIGA identifie deux problèmes principaux : la rentabilité de l’agriculture (avec entre autres la question de la volatilité des prix) et les coûts induits pour amener le service au plus près des emprunteurs (création de caisses, formation du personnel…). La question de la rentabilité de l’agriculture a évolué : en effet, la croissance des pays émergents est favorable à la rentabilité des produits agricoles. Leurs villes croissent et on observe l’émergence d’une classe moyenne détentrice d’un pouvoir d’achat accru et génèrant une véritable demande de produits agricoles. Ainsi, le principal risque aujourd’hui pour les agriculteurs est de passer à côté de cette demande émergente et de ne pas savoir produire pour ce nouveau marché. La question des coûts supportés par les institutions pour atteindre les populations rurales peut aussi être considérée sous un nouvel angle : l’arrivée de la technologie va révolutionner le milieu rural en réduisant l’asymétrie d’information au niveau des clients et en permettant à ces derniers de mieux connaître les prix des produits agricoles. De plus, des technologies comme le mobile banking vont permettre de réduire les coûts de transaction. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Pour gérer les risques liés au monde agricole et développer un produit financier rentable, Etienne Mottet (OXUS Afghanistan) pense qu’il est nécessaire de prendre en compte tous les paramètres avant le déboursement : taille du champ, type d’agriculture, semence (lieu de procuration, utilisation), engrais… L’idée centrale est qu’il faut contrôler tous ces paramètres pour assurer la réussite du prêt agricole. Il faut concevoir un produit financier qui incite l’agriculteur à agir dans l’intérêt de l’IMF : la façon dont l’institution veut que le client se comporte doit être incluse dans le produit de prêt. Jean-Baptiste Cavalier explique qu’un paysan vit de ce qu’il produit. Les choix qu’il fait par rapport à son modèle de production sont en général fondés (stratégie de limitation des risques, réponse à des problèmes environnementaux, etc.). Les contraintes extérieures, du type de celles évoquées par Etienne Mottet pour garantir la réussite du prêt agricole, sont souvent celles qui vont mettre en danger un système de production qui fonctionne, même si ça n’est pas toujours de manière optimale. Cette vision centrée sur la rentabilité du travail de l’IMF est donc très risquée, et en particulier pour le paysan. UM PAMECAS-ADA-GRET ont mis en place plusieurs actions pour traiter des particularités de la microfinance rurale et agricole. Ils ont revu la durée du prêt en fonction de chaque secteur d’activité et créé des produits correspondant aux différents besoins de l’agriculteur tout au long de l’année : crédit de campagne, de stockage, de groupe, individuel, etc. Ils ont employé des personnes relais, qui aident l’IMF dans la sélection des emprunteurs en zone rurale. Ils ont mis en place des guichets mobiles pour aller à la rencontre des populations et leur éviter des déplacements difficiles. Ils se sont entourés de spécialistes agricoles et effectuent les déboursements en fonction des calendriers agricoles. Enfin, ils ont inclus dans leurs procédures le remboursement en nature et sont en train de travailler avec une caisse d’assurance agricole. Il faut choisir quelle agriculture les IMF veulent soutenir. Pour Renée Chao-Beroff, l’agriculture de subsistance doit évoluer et disparaître. Les agriculteurs doivent pouvoir nourrir leur famille et contribuer à l’économie de leur pays. L’agriculture moderne n’est pas seulement l’agriculture de rente, tournée vers l’exportation. Il est en effet possible de produire pour un marché local de façon rentable. Des prêts destinés à financer l’agriculture de subsistance équivaudraient à endetter les gens pour une activité qui ne rapporte rien. Pour Jean-Baptiste Cavalier, le débat devrait se focaliser entre agriculture familiale et agriculture capitaliste, deux modèles de production dont l’apport à l’économie du pays est radicalement différent. Par ailleurs, une réflexion doit être menée sur la redistribution de la valeur ajoutée tout au long de la filière, depuis le producteur jusqu’au consommateur. Dominique Lesaffre souligne l’émergence d’un kaléidoscope d’acteurs au sein du secteur de la microfinance rurale, provenant des sphères sociales (organisations de producteurs (OP), organisation panafricaine des OP récemment créée, coopératives, regroupements associatifs…), financières (IMF créées par des systèmes d’aide, ONG locales ayant développé une branche destinée à la microfinance, systèmes mututalistes d’épargne et de crédit, regroupements d’IMF réunies en Apex pour mobiliser des ressources financières locales, réseaux continentaux comme FOROLAC et MAIN…) et entrepreneuriales (associations de production, entreprises sociales…). Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Pour une finance rurale et agricole opérationnelle 91. Selon Marc Roesch, l’Etat joue un rôle important dans certains pays en octroyant des crédits agricoles. C’est le cas notamment en Inde. Mais dans beaucoup de pays l’Etat refuse de soutenir la très petite agriculture. Elle laisse aux filières organisées le soin de financer les investissements de campagne. Ainsi les filières (coton, canne à sucre) jouent un rôle non négligeable dans le financement de l’agriculture. La microfinance vient en complément mais peut également jouer le rôle d’intermédiaire pour la distribution des crédits pour ces filières (filière coton au Cameroun ou au Bénin par exemple). Pour Adama Ba, les commissions nationales de fixation des prix sont un acteur majeur du financement agricole. Il est fréquent que les commissions fixent des prix très en dessous du coût de revient pour l’agriculteur. Ainsi, il y a effectivement une floraison d’acteurs qui ne se réduit pas à la finance. Dominique Lesaffre propose donc que Convergences 2015 incite tous les acteurs concernés par la microfinance et la microassurance agricole à travailler ensemble. Pour Etienne Mottet, le point clé dans le succès d’un produit agricole est la gestion des interactions entre les acteurs, la manière dont ils vont être formés et motivés. Il faut que le développement du produit agricole permette la formation des acteurs. Le client doit avoir un intérêt au bon remboursement du prêt. Ainsi, OXUS Afghanistan travaille en collaboration avec des coopératives agricoles qui fournissent les semences aux clients et sont chargées de les former pendant une phase initiale qui dure six mois. Ces coopératives sont des acteurs centraux, il s’agit de mettre en place un système d’incitations pour que le service qu’elles fournissent aux clients soit de qualité (système de primes…). Ce système d’incitation est bénéfique à OXUS ainsi qu’aux coopératives, qui sont incitées à se développer de manière efficiente et durable. Au Mali, les femmes exploitent des parcelles de très petite taille car elles n’ont pas accès au financement. Soro Yiriwaso a donc développé un produit rural spécifique destiné à des groupes de femmes : celles-ci ont la responsabilité du choix des bénéficiaires du prêt, du montant, du suivi et du remboursement. Le taux de remboursement frôle les 100% et la demande de ce type de prêt est très importante. Ce financement induit des conséquences positives pour toute la famille. Pour Jürgen Hammer, la distinction entre produits et services est très difficile, surtout dans le domaine de la microfinance agricole. Selon Renée Chao-Beroff, l’agriculture a du mal à répondre aux besoins du marché car les producteurs ont été livrés à eux-mêmes en matière 92. Convergences 2015 technique pendant de nombreuses années: manque de formation, d’accompagnement, etc. Aujourd’hui, le secteur privé est en train de revenir dans l’agriculture (entreprises agroalimentaires…), de façon beaucoup plus intégrée. Ces entreprises interviennent en amont en fournissant de l’assistance technique et des intrants (semences améliorées…) et en aval en garantissant l’achat des produits agricoles si un certain cahier des charges a été respecté. La value chain finance est une nouvelle approche pour financer l’agriculture de façon moins risquée : les contrats entre les producteurs et ces entreprises peuvent servir de garantie pour le déboursement de financements. Pour Marc Roesch, le changement d’échelle dans le financement rural est un problème important. La saisonnalité des activités agricoles et les volumes des fonds nécessaires (tout le monde emprunte en même temps et rembourse en même temps) rendent difficile la gestion des fonds par les IMF et plombent leurs coûts. Renée Chao-Beroff aborde la question de la finance inclusive. Cibler exclut. Le milieu rural n’est pas homogène donc si on ne veut pas exclure de catégories de clients en milieu rural, il faut segmenter ce marché. Il s’agit de reconnaître les différents besoins existants et de travailler avec les différents segments séparément. La crise de la microfinance est liée au ciblage et au mono produit. Le salut réside dans la diversification des IMF. La finance agricole et rurale de demain doit être plus inclusive, plus variée, prendre en compte les différentes réalités, allant du financement de l’agriculture de subsistance au financement d’une agriculture plus entrepreneuriale… Etienne Mottet partage cet avis : l’objectif d’OXUS Afghanistan est de développer un panel complet de services en incluant le maximum de personnes. Bernard Ornilla souligne d’autre part la nécessité d’améliorer la culture d’épargne et de crédit dans les zones rurales et d’offrir des technologies accessibles. Pour Dominique Lesaffre, il faudrait tirer avantage de la configuration même de Convergences 2015 pour que, sur le champ de la finance rurale, un véritable projet ambitieux et fédérateur puisse émerger comme celui de la conception et la création d’un système d’assurance agricole dans une des zones vulnérables d’intérêt commun (comme par exemple le Sahel), et qui puisse associer le profil varié de nos organisations. Rapporteur officiel: Julien Sciau , Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 Troisième partie Améliorer les investissements + d’efficacité +d’impact + d’investissement Impact de la finance carbone sur l’aide au développement Mini-conférence // Environnement et développement Modérateur Maxime de Rostolan Fondateur, Babel Blue Intervenants Matthieu Tiberghien Responsable de programme Action Carbone, Fondation GoodPlanet Pierric Jammes Directeur Général, Pur Projet Gautier Quéru Directeur, Natixis Environnement et Infrastructures Laurent Valiergue Directeur de l’Origination, Orbeo Résumé analytique Le secteur de la finance carbone a connu une croissance très rapide ces quatre dernières années (il représente plus de 100 milliards d’euros aujourd’hui), participant ainsi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. La finance carbone s’est développée suite à l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005, qui établit des objectifs de réduction d’émissions de GES par pays sur la période 2008-2012, étant principalement concernés les pays développés (non ratifié par les Etats-Unis) et les pays d’Europe Centrale et de l’Ouest (annexe 1 du protocole de Kyoto). L’Union Européenne, dans le cadre de sa politique de lutte contre le changement climatique qui s’insère dans le protocole de Kyoto jusque fin 2012, puis dans le cadre du paquet européen pour réduire de 20% (ou 30% selon les accords internationaux à venir) les GES d’ici 2020, a mis en œuvre un système de quotas carbone concernant 20 000 installations industrielles soit un peu moins de 40% des GES de l’UE. L’objectif de la phase II (jusqu’en 2012) correspond aux engagements Kyoto, puis la phase III (2013-2020) correspond aux engagements européens de -20% d’ici 2020. Les crédits issus des mécanismes dits « de flexibilité Kyoto » trouvent pour 90% leurs débouchés dans le marché des quotas européens, qui rend possible une compensation à hauteur de 10% de ses émissions de GES. Le Protocole de Kyoto prévoit deux mécanismes dits « de flexibilité » permettant aux sociétés de créer des « crédits carbone » pour leur propre conformité ou pour les échanger sur un marché commun. Ces deux mécanismes correspondent à la mise en place de projets de réduction d’émissions de GES dans les pays en développement (annexe 1 concernant le Mécanisme de Développement Propre (MDP)) ou entre pays de l’annexe 1 (notamment à destination des pays de l’ex-espace soviétique via la Mise en œuvre Conjointe). Les crédits issus de mécanismes de flexibilité trouvent pour 90% d’entre eux leurs débouchés, sur le marché européen où ils sont « importés », à hauteur de 10% des quotas 94. Convergences 2015 européens. Il existe également un marché dit « volontaire » qui n’est pas régulé par le Protocole de Kyoto mais couvert par des standards établis par des ONG reconnues (Gold Standard, VCS notamment). La mise en place de projets de flexibilité se fait ainsi dans les pays en développement – les MDP représentent 80% du marché – le principe étant d’effectuer des réductions d’émission où le coût de la tonne de eqCO2 réduite est le plus efficace sur le plan économique. Par ailleurs, certains projets (EnR, modernisation d’infrastructures, projets forestiers etc.) peuvent avoir un impact positif sur le développement socio-économique local. La finance carbone est aujourd’hui confrontée à diverses problématiques qui risquent d’entraver la croissance rencontrée ces dernières années. Premièrement, le manque de visibilité sur la période de l’après Kyoto (post-2012) entraîne une incertitude institutionnelle et économique sur le futur des mécanismes de flexibilité Kyoto. Actuellement, l’Union Européenne conditionne l’importation de la majorité des crédits carbone issus de projets Kyoto pour la période 2013-2020 à la mise en œuvre d’un accord international sur le climat ; or l’UE est le débouché de 90% des crédits issus des MDP et MoC. Deuxièmement, le financement des projets de réduction d’émissions reste complexe, et un grand nombre d’acteurs a des difficultés à mobiliser des capitaux, notamment en préfinancement, pour des projets dont le retour sur investissement est à moyen ou long terme et reste incertain. Enfin, les projets mis en place jusqu’à aujourd’hui sont principalement des projets industriels à grande échelle, dans un nombre restreint de pays (Chine, Inde, Brésil) ; par conséquent l’impact sur le développement dans les pays les moins avancés est encore limité. L’objet de cette mini-conférence est d’analyser les mécanismes d’aide au développement liés à la finance carbone, en faisant le point sur les opportunités offertes par le Protocole de Kyoto et le marché volontaire. Quatre experts du sujet ont été invités à partager leurs expériences de praticiens et échanger sur le passé, le présent et l’avenir du marché de la finance carbone. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse En guise d’introduction, Gautier Queru rappelle qu’un projet de réduction d’émissions de gaz à effeGES), exprimée en tonne équivalent CO2 (teqCO2), entraîne la création de crédits carbone qui sont achetés par une entité pour sa propre conformité ou peuvent être revendus sur des marchés d’échange. Le Fonds Carbone Européen, créé en 2004 à l’initiative de la Caisse des Dépôts et géré aujourd’hui par le département Environnement et Infrastructures de Natixis, a mis en place 27 projets correspondant à l’achat de 67 millions de teqCO2 évitées via des projets de réduction des émissions de GES variés un peu partout dans le monde. Les émissions de GES sont globales, de fait une teqCO2 évitée dans un pays développé équivaut à une teqCO2 évitée dans un pays en développement. Cette flexibilité permet deux avantages : Ainsi, au Brésil, un projet de valorisation par captation du méthane de décharge, éligible au MDP, a permis d’éviter l’émission de 600 000 teqCO2 depuis son implémentation, tonnes qui ont été échangées sous forme de crédits carbone. • Optimiser la réduction d’émissions de GES en mettant en place des projets à impact plus fort dans les pays en développement et émergents, le rapport coût / efficacité est nettement meilleur que dans les pays développés : mise en place et modernisation des installations existantes, etc. • Impliquer ces pays dans la lutte contre le changement climatique et ainsi diffuser des bonnes pratiques pour réduire a priori les émissions de GES1. Il existe trois mécanismes de crédits carbone : le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP), la Mise en Œuvre Conjointe (MOC) et le marché volontaire. Les deux premiers mécanismes sont régulés par le Protocole de Kyoto et sont destinés respectivement à la mise en place de projets dans les pays en voie de développement (MDP) et dans les pays dotés d’engagements chiffrés de réduction de leurs émissions de GES (MOC). Le marché volontaire comprend les projets non régulés par le Protocole, couvrant des domaines plus larges que la lutte contre le changement climatique (protection des ressources aquatiques, forestières, etc.). Ces projets sont basés sur des standards mis en place par des ONG reconnues. Aujourd’hui le marché des crédits carbone est à 80% composé de MDP, la MOC et le marché volontaire en représentent chacun 10%. Le marché de la finance carbone a fortement évolué ces dernières années. En 2009, on dénombrait 96 fonds2 représentant 11 milliards d’euros (pour comparaison, en 2006, 44 fonds se partageaient 7,2 milliards d’euros). A ce jour, 3 046 projets ont été mis en oeuvre, ce qui représente 605 millions de crédits carbone, mais sur des projets industriels à grande échelle et dans un nombre limité de pays (Chine, Inde, Brésil notamment). L’industrie de la finance carbone et le savoir-faire se sont développés très rapidement, néanmoins le manque de visibilité des acteurs sur l’« après-Kyoto » (les engagements des pays signataires courent jusqu’à 2012) laisse craindre un fort ralentissement de la mise en place de projets de réduction d’émission des GES, et par conséquent des échanges sur le marché des crédits carbone. 1 Ces pays sont majoritairement les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) et les pays développés. Laurent Valiergue nous présente Orbeo qui historiquement est une société de négoce de réduction d’émissions créée en 2006 et qui a été mise en place conjointement par le groupe de chimie français Rhodia et par la Société Générale. Elle visait au départ à générer des flux carbone (URCEs3) issus de projets MDP de destruction de N20 de la production d’acide adipique intervenant dans le processus du nylon. Ces URCEs répondent aux exigences de conformité de Rhodia dans le cadre du marché de quotas Européens (SCEQE) pour une part mais la majorité devait être valorisée (plus de 100 millions de crédits carbone à valoriser pour la société) ; la Société Générale s’est ainsi jointe à Rhodia afin d’assurer le trading de ces flux carbone. Orbeo a ensuite développé ses services marketing pour le négoce de crédits sur le marché européen SCEQE. En 2007, l’entreprise a également développé un réseau en charge de la création d’autres projets CDM : elle achète des crédits Kyoto sur le marché primaire, auprès de porteurs de projets, qu’elle revend sur le marché secondaire. Aujourd’hui, Orbeo représente un peu moins de 10% du marché mondial. Les critères de choix des projets pour Orbeo ne reposent pas uniquement sur le prix : les coûts de transaction (enregistrement, vérification) sont élevés et nécessitent des volumes de réduction importants. Les risques représentent également un critère clé dans le choix d’un projet : risque pays, risque d’image pour l’industriel et l’investisseur, risque de contrepartie, etc. L’achat de crédits carbone se fait via des contrats à terme : les revenus générés par le projet permettent de négocier le contrat de préfinancement (dette). Le préfinancement est aujourd’hui une problématique clé dans la mise en place de ce type de projet. La part de financement carbone issue du MDP doit permettre de rendre rentable un projet permettant la réduction de GES qui autrement ne l’aurait pas été (principe d’additionnalité), c’est donc cette finance carbone qui doit permettre de participer au bouclage financier du projet (en plus de la dette et des fonds propres). Le problème étant que ces crédits sont livrés une fois que le projet est commissionné, or il existe une incertitude quant aux réductions réelles d’émissions de GES, il est donc difficile pour un financeur de s’engager uniquement au vu de potentiels revenus carbone. 2 Un fonds carbone est une entité qui collecte du capital public et/ou privé et négocie les contrats de crédits carbone profitant aux investisseurs (définition apportée durant la conférence par G. Quéru). Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence 3 Unité de Réduction Certifiée des Emissions Impact de la finance carbone sur l’aide au développement 95. En effet, le manque d’expertise du secteur par les financeurs potentiels du projet rend difficile l’accès pour les porteurs de projet à une solution de préfinancement qui pourtant pourrait être justifiée par la rémunération du carbone. Ainsi, pour un projet de 10 millions d’euros visant à l’installation d’un petit barrage hydro-électrique de 5 MWh à Madagascar (143 049 tCO2 évitées sur 10 ans), réalisé dans le cadre du MDP, un porteur de projet local a rencontré des difficultés pour trouver un partenaire financier susceptible de lui accorder un crédit de 5 millions d’euros, aussi bien auprès de financeurs privés que des bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux. Au final, c’est la Société Générale locale, forte de sa relation de confiance avec Orbeo (Orbeo étant filiale à 50% de la SG) qui avait effectué la Due Diligence du porteur du projet, qui a apporté son concours au projet. Outre cette question du préfinancement, Laurent Valiergue rejoint Gautier Quéru sur les conséquences néfastes du manque de visibilité de l’après-Kyoto sur le marché carbone : celui-ci a permis de générer 100 milliards d’euros de flux en quatre années seulement, et a permis le développement d’un véritable savoir-faire en ingénierie financière 96. Convergences 2015 focalisé sur le carbone. A priori, les perspectives de développement de la finance carbone sont donc très importantes, cependant le flou qui entoure l’après-2012 risque d’entrainer une quasi-disparition des projets de réduction des émissions de GES issus des mécanismes de flexibilité. Et ce dès aujourd’hui, car le processus d’implémentation d’un projet est long et complexe : il faut compter un an voire un an et demi pour qu’un projet soit enregistré auprès de l’ONU. Cependant, le marché volontaire, non couvert par le Protocole de Kyoto et non éligible au marché de quotas européens, sera donc amené à se développer dans les années à venir. Matthieu Tiberghien, responsable de programme Action Carbone de la Fondation GoodPlanet nous présente le programme. Action Carbone est un programme de la Fondation GoodPlanet, créée en 2005 par Yann Arthus-Bertrand et reconnue Fondation d’Utilité Publique. Avec un budget annuel d’environ 2 millions d’euros, 300 entreprises partenaires et 4 000 donateurs particuliers, ce programme a permis d’éviter 150 000 teqCO2 d’émissions de GES. Six projets ont vu le jour. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Le programme Action Carbone intervient sur le marché volontaire et pas sur les mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto (MDP et MOC), il propose deux outils : • Compensation carbone (depuis 2006) : consiste à faire émerger des projets qui n’auraient pas lieu via le secteur privé par manque de rentabilité ; • Alternative carbone (depuis 2008) : finance les projets pas assez mûrs pour la compensation carbone et la méthodologie du Protocole de Kyoto. Les projets de compensation carbone utilisent le cadre de référence du MDP et sont labellisés au Gold Standard et VCS, qui sont les standards établis par des ONG reconnues pour le marché volontaire. Matthieu Tiberghien souligne que ces programmes sont à but non lucratif et entièrement transparents (95% des dons sont affectés directement aux projets). Malgré des coûts plus élevés que dans les programmes classiques, Action Carbone a un modèle économique équilibré. Le coût de compensation des émissions de GES est de 15 à 17 euros par teqCO2, contre 12 à 13 euros pour les CER et 5 à 10 euros pour les CER4 . Le programme accorde un préfinancement de 15 euros par teqCO2. L’additionnalité des projets mis en place se situe entre 60 et 100% (5 à 20% en temps normal), ce qui signifie que sans l’investissement d’Action Carbone les projets en question n’auraient pas pu voir le jour. Action Carbone a ainsi mis en oeuvre en Inde un projet de valorisation des excréments d’animaux par l’installation de réservoirs à biogaz. Plus de 50 000 biodigesteurs ont déjà été construits, qui ont permis d’une part de réduire 5 teqCO2 par unité et par an, et d’autre part d’augmenter les revenus des populations locales grâce à la vente de compost et la réduction des besoins en kérosène et engrais chimiques. Pierric Jammes nous présente Pur Projet qui est une structure créée en 2008 par Tristan Lecomte (Alter Eco) destinée au développement de projets d’agro-foresterie avec les cultures locales des pays en voie de développement (café, cacao, riz, etc.). Par l’intermédiaire de programmes de réduction des émissions de GES et de lutte contre la déforestation, l’objectif de Pur Projet est de maximiser l’impact social et environnemental sur les producteurs locaux. Pur Projet intervient sur le marché volontaire. Pierric Jammes a montré en pratique la vision intégrée de Pur Projet en prenant l’exemple du programme mis en place au Pérou au profit des producteurs de cacao. Ce programme permet de lutter contre l’érosion des sols, de gérer la ressource forestière (exploitation du bois, meilleure séquestration du carbone, gestion de la biodiversité et des ressources naturelles) et de multiplier par 5 à moyen terme les revenus des petits producteurs locaux par la revente du bois. Le marché volontaire, amené à se développer dans les années à venir, correspond à une démarche complète qui profite aux populations locales aux niveaux environnemental, social et économique. 4 Les CER (réductions d’émissions certifiées) sont délivrés par les projets mis en place dans le cadre du Protocole de Kyoto (MDP et MOC), les VER (réductions d’émissions vérifiées) dans le cadre du marché volontaire. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Impact de la finance carbone sur l’aide au développement 97. Questions L’impact du changement climatique se fera sentir surtout sur les pays pauvres. N’est-ce pas se donner bonne conscience que de mettre en place ces projets ? Est-ce que cela agit réellement sur le développement ? Laurent Valiergue : Un marché de 100 milliards d’euros a été instauré en seulement 4 ans, ce qui implique des conséquences à moyen et long terme pour le développement des pays les moins avancés. Néanmoins, pour assurer cette continuité, il est nécessaire d’avoir plus de visibilité sur l’après-2012 et la suite que les instances internationales choisissent de donner au Protocole de Kyoto. La seule visibilité donnée par la Commission Européenne est que seul les Pays les Moins Avancés, majoritairement africains seront éligibles pour le montage de projets MDP. Vous parlez d’un marché de 100 Milliards d’euros, quelle est la part réellement reçue par les PED ? Laurent Valiergue : Ce marché est majoritairement composé par les échanges de quotas entre entreprises. Les crédits carbone issus des mécanismes Kyoto des PED représentent 15 milliards de dollars. Aujourd’hui, de plus en plus de projets de réduction d’émissions de GES sont mis en place par des PME locales, sur des projets du type Hysacam où la dette est levée par une banque locale pour une PME locale, et par conséquent la recette issue de ces projets reste dans le pays. Cependant nous n’avons pas de chiffrage précis quant à la part restant dans le pays sur l’ensemble du marché carbone. les impacts pour ces dernières ? Gautier Quéru : Les parties-prenantes sont prises en compte dans le plan de développement de chaque projet, notamment le rôle et l’implication des populations locales. Le sujet est d’ailleurs assez sensible dans certains pays d’Afrique. Laurent Valiergue : C’est également le cas pour les projets mis en place par Orbeo. Par exemple, en Azerbaïdjan, les collecteurs de déchets vont tous être embauchés par une usine de recyclage. Les ONG de développement ont une expertise sur la mise en place de projets. Les projets que vous présentez sont-ils initiés par vousmême ou est-il possible de développer des partenariats avec des ONG du Nord et du Sud ? Matthieu Tiberghien : Les partenariats avec des ONG sont fréquents car elles ont des compétences en montage de projet. Action Carbone s’appuie par exemple sur AVSF. Malheureusement les programmes groupés sont souvent assez lourds à gérer. Pierric Jammes : Pur Projet s’appuie sur des coopératives locales de producteurs et des ONG locales. Beaucoup de projets concernent la récupération du méthane dans les décharges. Or, dans les PED, les décharges sont souvent les dernières opportunités de survie pour les populations locales. Quels sont 98. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Anthony Degouve, Crédit Coopératif Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour plus de financements : quand, comment, pourquoi ? Atelier // Social business et Coopération internationale Modérateur Médéric Jacottin Responsable des relations externes, Fondation GoodPlanet Charles-Benoît Heidsieck Président, Le RAMEAU Intervenants Alain Caudrelier-Bénac Directeur Général, Plan France Stéphane Godin Responsable des partenariats, Groupe SOS Augustin Debiesse Consultant Senior, Optimus Philippe Lévêque Directeur Général, CARE France Damien Desjonquères Coordonnateur Sociétal et Responsable du Programme Accès à l’Energie, Total Didier Piard Directeur de l’ action sociale, Croix-Rouge Patrick Edel Fondateur, La Guilde Européenne du Raid Résumé analytique Alors que le secteur associatif doit aujourd’hui faire face à une augmentation des demandes qui lui sont adressées, la raréfaction des ressources financières et humaines, en particulier des aides publiques, rend nécessaire la recherche de nouvelles sources de financement. Les partenariats entre ONG et secteur privé constituent une réponse à cette problématique. Il serait cependant réducteur d’envisager ces partenariats sous le seul angle financier. Il s’agit au contraire de créer les conditions d’un dialogue et d’un échange entre des acteurs dont les cultures diffèrent pour aboutir à des partena- riats gagnant-gagnant. La mise en synergie des ressources de l’ONG et de l’entreprise au service d’un projet et d’objectifs communs, la complémentarité de leurs expertises et l’innovation émanant de la rencontre des cultures de chaque acteur doivent permettre de renforcer la pertinence et l’efficacité des projets menés conjointement. Le succès de ces échanges repose sur l’établissement d’un climat de confiance entre les partenaires, au travers de la prise en compte de leurs intérêts respectifs et de la définition d’objectifs communs. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour plus de financements : quand, comment, pourquoi ? 99. Synthèse Sans les financements, les salariés et les bénévoles, il n’y a pas d’association. A l’heure actuelle, l’on attend encore beaucoup des pouvoirs publics, qui ne peuvent pas tout faire. Les associations existent également, mais elles ont besoin de se financer, de se développer, de se former. Les financements ne font pas tout, il faut des moyens concrets, ce qui implique aujourd’hui un changement de culture et de posture des associations, culture de l’adaptation que les entreprises ont déjà. Dès lors, le secteur associatif doit aujourd’hui faire face à trois grands enjeux : • l’augmentation des besoins que l’on a vu s’exercer ces trente dernières années quand la mission du secteur associatif est justement de répondre aux besoins auxquels ni les pouvoirs publics, ni les entreprises privées ne peuvent répondre qui requiert l’augmentation du poids du secteur associatif dans l’économie ; • la raréfaction des ressources financières et humaines, due en particulier à l’évolution de la structure des dépenses publiques ; • l’évolution des enjeux structurels profonds, due à un changement d’échelle territoriale (locale contre nationale) et à l’impact de changements culturels au sein des bénéficiaires. De ce fait le secteur associatif évolue, et demande à s’ouvrir à de nouveaux partenaires. Affirmer que l’intérêt de cette ouverture est purement financier serait donné une image bien réductrice des évolutions qui sont en marche : il s’agit aujourd’hui de mettre en œuvre une nouvelle gestion (une cogestion) du bien commun. Les intérêts du partenariat association-entreprise pour les parties impliquées sont multiples. Le partenariat permet de favoriser ou renforcer l’ancrage territorial des entreprises, de renforcer les expertises (pour les entreprises et les associations). Il est source d’innovation et donne les moyens de créer et de faire vivre les projets pour pouvoir en démontrer l’efficacité. C’est aussi la raison pour laquelle nous nous devons de développer des projets mieux adaptés et plus efficaces, et de ce fait plus innovants : démontrer l’efficacité de ces projets permettra leur développement à une plus grande échelle. Mais pour l’entreprise, il s’agit aussi bien sûr d’un enjeu en terme d’image, interne et externe, qui n’est pas négligeable. Le partenariat entreprise-association aide à développer un esprit d’entreprise, la fierté et la fidélité des employés. L’entreprise a besoin de sens ; la quête de sens est humaine et universelle. Une société aujourd’hui ne se construit pas seulement avec l’Etat, mais aussi avec les acteurs sociaux. Il faut alors prendre le temps de bien poser les partenariats. Les 4 défis des partenariats association-entreprise sont donc les suivants : • assurer le bon management du projet ; • assurer le développement économique ; • impliquer les parties prenantes ; • générer l’innovation. De plus, l’opinion que la société se fait du partenariat entre association et 100. Convergences 2015 entreprise a évolué. Il est aujourd’hui plébiscité par les citoyens alors qu’ils y étaient jusqu’à présent opposés, ce qui résulte de la prise de conscience du désengagement des Etats, des promesses non tenues, des pouvoirs centraux pas ou plus crédibles. Sur le terrain, la possibilité de faire changer les choses appartient aujourd’hui aux autorités locales et aux entreprises, tandis qu’elles étaient considérées hier comme la source du problème. Dès lors, dans le contexte actuel de remise en cause du capitalisme et de la mondialisation, l’entreprise prend conscience qu’elle ne répond plus aux attentes des parties prenantes. Deux solutions s’offrent à elle : le mécénat ou la philanthropie. Mais quelle est alors la réelle valeur ajoutée de l’entreprise dans les projets ainsi soutenus ou dans les partenariats ? Aujourd’hui encore, les acteurs rencontrent de nombreux freins au changement sur le terrain. Au début de leur recherche de financement, les ONG tendaient la main dans une « logique de mendicité ». L’enjeu est alors de faire évoluer les mentalités jusqu’à parvenir à un partenariat gagnant-gagnant. Notons également que les entreprises peuvent aussi aider financièrement les associations en les faisant travailler (services aux entreprises, etc.). En 1985 déjà, les grandes conclusions du Forum d’Agen étaient, entre autres, de toujours garder en tête que les associations sont aussi des entreprises. Nos collègues anglo-saxons sont plus avancés que les acteurs français dans cette démarche, tandis que les acteurs japonais sont plus en retard que nous. Mais le fait est que ces deux mondes très différents sont en train de se rapprocher, car le point le plus important dans ce partenariat est la finalité des projets menés. On recense 3 points de convergence entre associations et entreprises : • les valeurs communes (un sens similaire donné à l’action de chaque partenaire) ; • les projets (rien ne naît sans un projet, au service du bien ou de l’intérêt commun) ; • les individus (qui échangent entre eux, se parlent et sont désireux de faire vivre le projet). La co-construction appelle différentes phases de questionnement respectif : • s’interroger pour apprendre à se connaître et fixer les termes et la dimension du partenariat (local, national ou international), ce qui représente plusieurs mois d’échanges entre les protagonistes (environ 14 mois soit plus que le temps nécessaire pour obtenir une subvention, mais les subventions ne suffisent pas); • définir la thématique du partenariat ; • définir la zone géographique concernée, aux confluents des intérêts de l’entreprise et de la finalité de l’association ; • déterminer dans quelle mesure l’entreprise est prête à accepter un co-financement ; • déterminer le mode d’action ce que chacun apporte, les interdits. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements On saura alors quel partenariat est en train de s’établir. Cette étape est importante car ce n’est qu’une fois que l’on a identifié les modalités de partenariat possibles, les objectifs et la finalité des moyens mis en œuvre que l’on peut s’intéresser aux enjeux financiers derrière le partenariat. Mais bien entendu, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la finalité de l’action pour savoir, d’où l’on part, où l’on va, en combien de temps, avec quels indicateurs de suivi, quels audits et quelle mesure d’impact. Le partenariat représente l’avenir de ce que les entreprises et les associations peuvent faire ensemble, et il est encore plus riche lorsqu’il est multilatéral, et non plus seulement bilatéral. Les associations touchent un public difficilement accessible aux entreprises, dont le professionnalisme s’enferme parfois dans des schémas réduits. Il s’agit alors de regagner l’esprit d’innovation. L’avenir de ce partenariat s’apparente beaucoup à celui de l’entrepreneuriat social. Retours d’expériences : les risques et les difficultés, les bonnes pratiques et les success stories . L’ instrumentalisation des projets pour un greenwashing des entreprises : des pratiques avérées ou exagérées ? Si ce point est souvent mentionné, cela prouve bien qu’il y a effectivement eu des cas d’instrumentalisation du partenariat entreprise-association. Et si cela s’est déjà produit, cela prouve qu’il existe des entreprises et des associations qui acceptent ces pratiques, car il est aisé de les éviter : il suffit de bien définir en amont les objectifs du partenariat. En outre, il est important de rappeler que dans le partenariat entreprise-association, c’est l’entreprise qui prend le plus de risque en termes d’image, d’autant que la mémoire (la rancune) des ONG est bien plus longue que la mémoire institutionnelle de l’entreprise. Les ONG ne manqueront pas de rappeler à l’entreprise ses mauvaises pratiques en temps voulu. Mais l’image de l’entreprise qui se dessine au fil des projets dans lesquels elle s’investit ne s’arrête pas aux ONG : elle se diffuse à l’ensemble de la société. Dès lors, il est plus difficile pour les associations relativement jeunes, ou traitant de problèmes nouveaux ou tabous, de s’ouvrir les portes des entreprises et, inversement, une entreprise qui souhaite aujourd’hui se lancer dans le mécénat aura plus de difficultés à contacter les grandes associations. De plus, si l’entreprise prend le risque de signer avec une association qui ne répondra pas à ses attentes, l’association quant à elle court le risque d’être instrumentalisée par l’entreprise. Il faut accepter ces risques pour entrer dans un partenariat entreprise-association. Il s’agit là d’une crainte constructive, d’où naîtra l’innovation. Si l’on n’accepte aucun risque alors aucun projet ne verra le jour. Au sein de l’entreprise, le porteur de projet doit se battre pour que le projet soit suivi pour sa finalité et non pour la communication que l’on peut en faire. Mais de plus en plus les entreprises ne souhaitent pas communiquer sur un projet avant qu’il ne soit mené à bien, ce qui prouve que l’on est plus dans le « faire » que dans le « paraître ». Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Plus d’échanges entre ONG et secteur privé pour plus de financements : quand, comment, pourquoi ? 101. Les associations choisissent-elles les entreprises avec qui elles souhaitent ou ne souhaitent pas travailler ? Quels sont les dangers pour des ONG à s’associer à des entreprises jouissant d’une image négative ? Comment le choix est-il validé en interne par l’association et comment le partenariat est-il ensuite rapporté à ses parties prenantes ? Il s’agit ici d’une question fondamentalement éthique et politique, sur laquelle chaque association doit trancher un jour ou l’autre. Si le Groupe SOS et CARE France ont choisi d’exclure de tous leurs partenariats certains secteurs d’activité controversés, Augustin Debiesse, Consultant Senior pour Optimus, souligne qu’il est également important de communiquer sur ce qui fonctionne et faire jouer l’exemplarité, et pas seulement mettre en lumière ce qui ne marche pas. Cela fait partie du cercle vertueux. C’est le projet qui importe vraiment car si les associations étaient réellement exigeantes, de nombreux projets ne se feraient pas. Les dommages en termes d’image pour les ONG sont très faibles. Mais dans la représentation culturelle que se font les français de ce que doit être la solidarité, il existe des projets invendables. Stéphane Godin, Responsable des partenariats du Groupe SOS, prend pour exemple les projets en faveur de la réinsertion des drogués ou des délinquants. Il est très difficile pour une association de faire passer de tels projets auprès d’une entreprise. On dérive ici sur la nouvelle dimension du mécénat d’entreprise, qui tient compte de la légitimité de l’entreprise à se positionner sur une problématique qui s’éloigne de son cœur de métier. La question est alors de savoir si l’entreprise doit réellement s’engager sur un terrain qui n’est pas le sien, mais celui des pouvoirs publics. L’ entreprise ne doit pas être le nouveau pouvoir public. Elle a un rôle à jouer à ses côtés pour repérer et solutionner les problèmes des sociétés actuelles, mais les deux acteurs doivent s’impliquer. Si l’Etat ne peut pas tout, l’entreprise a sa place non pas en tant que remplacement, mais en en tant que complémentarité de l’action de l’Etat. Comment se fait la communication sur les projets de partenariat ? devient difficile de déterminer à quel niveau se situe la prise de décision. En outre, si certains projets apparaissent comme particulièrement peu attrayants pour les entreprises, l’enjeu est parfois pour elles de reprendre leurs responsabilités du fait de leur activité. C’est le cas par exemple de l’accompagnement par les banques des personnes exclues du système bancaire classique. Il existe aujourd’hui trois points primordiaux qui, s’ils sont bien gérés, font des projets une réussite : • le passage à l’échelle des projets, enjeu fondamental si l’on veut changer le monde ; • savoir éviter les incohérences (par exemple : développer la commercialisation de produits laitiers pas chers quand d’autres associations se mobilisent pour augmenter le prix du lait dans l’espoir d’améliorer les conditions de vie des paysans) ; • impliquer l’Etat dont le rôle est fondamental en tant que régulateur. Pour conclure, il a semblé primordial aux participants de rappeler que le professionnalisme des acteurs est l’une des clés de la réussite des partenariats entreprise-association. Dès lors, la question n’est pas de savoir s’il faut monter un partenariat, mais comment le monter. Trois pistes d’amélioration apparaissent alors : suivre l’exemple des pionniers, multiplier les expériences et mutualiser les compétences. La formation des consultants qui accompagnent les partenariats est elle aussi primordiale. Sans elle, il est très osé de parier sur la réussite du partenariat, d’autant que les acteurs, et en particulier les entreprises, manquent souvent d’informations sur la réalité des marchés auxquels s’adressent les partenariats et sur la meilleure manière de mener à bien ces partenariats. Dès lors que l’on a levé le voile sur la façon dont il est possible de faire vivre des projets communs, Didier Piard formule le vœu pieu de voir naître des partenariats pérennes, capables de faire naître une entité mixte qui génèrerait des emplois grâce à des projets véritablement rentables. Tout d’abord, il est important de bien définir ensemble le projet en se calant sur les ambitions de chacun, sinon l’exercice de la communication peut s’avérer très périlleux. Lors de leurs exercices de communication respectifs, l’ONG doit valoriser l’investissement de l’entreprise, tandis que l’entreprise doit valoriser la compétence de l’ONG. En termes de reporting sur les projets et de mesure d’impact, les associations accusent un retard frappant au regard de ce à quoi sont parvenues les entreprises. Il est très difficile pour le secteur d’évaluer l’impact de ses actions sociales, ou même de suivre efficacement ses projets sociaux. Comment surmonter les différences de culture et la frilosité de certains acteurs ? Si l’entreprise semble s’impliquer de plus en plus dans les projets de partenariat dont elle est l’acteur aux côtés des ONG, et non plus le suiveur, on doit alors faire face à des structures de plus en plus complexes, où il 102. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Alexandra Bestel, Ethifinance TheComprendre l’émergence de l’ « impact investing » : rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller Mini-conférence // Social Business Modérateur Olivier de Guerre Président, PhiTrust Active Investors Intervenant Yasemin Saltuk Chercheur analyste, J.P. Morgan Chase & Co Résumé analytique Le rapport de JPMorgan et de la Fondation Rockefeller a évalué les Retours Sur les Investissements (RSI) attendus et les réalisations de plus de 1000 investissements d’impact, identifiés par le Global Impact Investing Network. Le rapport souligne qu’il s’agit d’ une nouvelle classe d’actifs à structurer: • Quel est le RSI attendu et l’efficacité de ces actifs ? L’étude identifie le RSI en fonction du secteur, du type d’investissements et de l’emplacement géographique. Le RSI varie considérablement selon les acteurs qui peuvent se concentrer sur l’impact (RSI faible) ou sur le rendement financier (RSI important). • • Quelle est la taille du marché potentiel ? Investir 1000 milliards de dollars en capital générerait un profit de 667 milliard de dollars sur les 10 prochaines années. • Quels sont les risques ? Trois types majeurs de risques on été identifiés: Les risques de réputation, les risques juridiques et financiers, et les risques pour l’impact social. • • La définition: L’ investissement d’impact est un investissement destiné à avoir un impact social. Il est basé sur une transaction financière (injection de capital), une intention réelle d’avoir un impact, une affectation à des projets spécifiques et l’attente d’un RSI positif. Les investissements d’impact sont soutenus par les institutions financières, les fondations, les fonds de pension, des sociétés et des particuliers fortunés. Les investissements d’impact sont soutenus par les institutions financières, les fondations, les fonds de pension, des sociétés et des particuliers fortunés. Le rapport complet est disponible sur le site internet de JPMorgan: http://www.jpmorgan.com/pages/jpmorgan/investbk/research/ impactinvestments Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » : rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller 103. Synthèse 1. Qu’est ce qui définit et distingue l’investissement d’impact des autres produits financiers d’investissements ? Pour comprendre l’émergence de l’investissement d’impact, il est nécessaire de le distinguer d’autres concepts existants et d’un grand nombre de termes : l’investissement d’impact ne peut être considéré comme un acte de philanthropie (la logique du don sans retour sur l’investissement) ou un investissement socialement responsable (qui ne vise qu’à minimiser l’impact négatif). En effet c’est un investissement qui génère un impact positif au-delà de simples retours financiers. Ceci étant dit, cela requiert une gestion prudente de l’environnement réel et de la performance sociale en plus des risques financiers liés et des RSI : Source : J.P. Morgan L’investissement d’impact fonctionne dans deux domaines principaux : les besoins fondamentaux (agriculture, eau, logement) et les services (éducation, santé, énergie, services financiers). 104. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements 2. Qui est impliqué ? 3. Quel est l’impact de cette classe de produits d’investissement émergente ? Les acteurs de l’investissement d’impact incluent : • Les Institutions financières de développement (IFD) qui ont été créées par les gouvernements en complément des donations des particuliers et des entreprises (La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement par exemple). • Les fondations privées (Omidyar Network aux Etats-Unis et la Fondations Esmée Fairbairn au Royaume-Uni). • Des institutions financières majeures (J.P. Morgan, Citigroup, ...) qui sont positionnées au-delà de leurs obligations légales afin d’améliorer leur impact. • Les gestionnaires de patrimoine privé (Capricorne Investment Group). • Les banques commerciales (Triodos Bank en Europe) qui offrent des produits de détail à des clients individuels et à leurs associations afin d’apporter des initiatives de soins. • Les gestionnaires de fonds de pension (PGGM aux Pays-Bas). • Les fonds d’investissements qui collectent et gèrent les fonds d’individus aux revenus élevés (HNWI). • Les entreprises qui diversifient leurs activités de chaîne d’approvisionnement et qui élargissent leur part de marché à travers ce type d’investissements (Danone). • Des institutions financières de développement des communautés (CIFD). Cette diversité montre que ce type d’investissement n’est pas un épiphénomène. L’institut CFA définit une classe d’actifs en général avec un ensemble de caractéristiques financières. Ainsi, une classe d’actifs doit comprendre un ensemble relativement homogène d’actifs, être mutuellement exclusive, être diversifiée en tant que groupe, représenter une part significative du potentiel d’investissement global et avoir la capacité d’absorber une partie significative du portefeuille d’investisseurs sans affecter la liquidité du portefeuille. Cette définition est un bon début mais devrait être complétée pour prendre en compte les catégories de placement qui n’ont pas encore généré suffisamment de données historiques. J.P. Morgan ajoute des propositions à cet ensemble de critères qui répondent aux spécificités qui définissent l’investissement d’impact : • Un ensemble unique de compétences d’investissement / gestion des risques : de plus en plus de professionnels seront définis par leur expertise dans le domaine. Pour l’investissement d’impact, les compétences financières sont inséparables des compétences en matière socio-environnementale. • Des organisations structurées pour répondre à ces expériences : dans les grandes institutions, il est nécessaire d’avoir une véritable équipe travaillant ensemble sur le thème de l’investissement d’impact. Cela arrive de plus en plus fréquemment, comme les exemples de la Fondation Rockefeller et de J.P. Morgan le montrent. • Des organisations sectorielles, des associations et des écoles qui se sont saisies du sujet : Des réseaux, des conférences, des cours et des ressources seront construits et disponibles pour les nouveaux experts dans le domaine. De plus en plus d’écoles intègreront l’investissement d’impact dans leur formation. • Le développement de mesures, études comparatives et/ou ratios standardisés. Plusieurs initiatives sont en cours sur ce sujet (système de classement) pour éviter de perdre du temps au cours de l’évaluation de l’impact des investissements. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » : rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller 105. Une fois que ces caractéristiques sont identifiées, la question qui se pose est celle des défis les plus importants : Quelles sont les questions les plus difficiles à traiter? Est-ce trouver des personnes compétentes pour structurer une équipe au sein d’une grande structure, trouver des projets dans lesquels investir ou avoir l’appui de l’équipe de direction ? 4. Quel est le RSI attendu et l’efficacité de ces actifs ? 6. Quels sont les risques ? Cette étude distingue le RSI attendu par secteur (distribution de secteur), type d’investissement (distribution d’instrument) et emplacement (distribution géographique). Le RSI varie fortement selon les acteurs qui se concentreront sur l’impact (faible RSI) ou sur le retour financier (RSI important). Trois types majeurs de risques ont été identifiés : Nous notons que le moyen privilégié de l’investissement d’impact est l’investissement dans la dette privée, ce qui équivaut à un prêt, puis vient la logique d’investissement plus traditionnelle avec des capitaux privés. En termes de secteurs, les secteurs de la microfinance et de l’agriculture sont favorisés. La question de l’eau apparaît comme la dernière priorité, ce qui est surprenant étant donnée l’importance de ce problème (comme vu dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement par exemple). Cela indique simplement la nécessité pour ce secteur de trouver un modèle économique viable. Il y a très peu de données sur le RSI réellement atteint. Il y a une réelle diversité en termes d’acteurs dont certains sont surtout motivés par l’impact et d’autres par le retour financier, avec un ensemble de situations intermédiaires. 5. Quelle est la taille potentielle du marché ? Le rapport estime que des investissements d’impact à hauteur de 400 milliards à 1000 milliard de dollars situeraient les profits potentiels entre 183 milliards et 667 milliards au cours des 10 prochaines années dans cinq zones où les gens gagnent moins de 3000 dollars par an. Ces bénéfices incluront le logement, l’eau, la santé, l’éducation et les services financiers. Cela peut sembler élevé, mais c’est marginal par rapport à l’investissement global. 106. Convergences 2015 • Le risque juridique et le risque de réputation sont très importants, comme nous l’avons vu avec les gros titres sur la Grameen Bank et son fondateur. Une fois que vous générez un profit en ciblant les plus pauvres, il faut être très prudent pour ne pas compromettre votre réputation et votre image, ou prendre des risques juridiques. • Les risques financiers : Il y a les risques de crédit associés à certaines compagnies, les risques pays associés aux entreprises traitant, par exemple, avec le Moyen-Orient, et les risques de change. • Les risques en termes d’impact social : Le tout est de mesurer l’impact social de tous les investissements avec une méthode qui n’est pas trop coûteuse ni trop gourmande en ressources, mais qui est logique et compréhensible. Conclusion • L’investissement d’impact est vraiment une nouvelle classe d’actifs et les investisseurs doivent se retrouver pour en tenir compte. Les écoles de commerce commencent à l’enseigner, ce qui est une bonne chose. • Le marché potentiel est très important. • L’étude comparative des RSI est très délicate et le rapport a montré une dispersion réelle des attentes selon les investisseurs. • Beaucoup de travail reste à faire sur les infrastructures. Les produits doivent être rendus plus accessibles, des séries de mesures et d’outils doivent être mis en place pour établir un langage commun. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions • Parmi les attentes des investisseurs, il y a beaucoup de nouveaux entrants qui investissent en « capital passion » avec du RSI à long terme et de petits rendements attendus (entre 4 et 5%). Espérons que cela va devenir une tendance. • Est-ce que cette nouvelle classe d’actifs est un ensemble de plus de produits financiers ou conduira-t-elle à une véritable rénovation de la relation entre le public, le privé et le secteur associatif ? • Des interrogations sur le fait que le financement de la dette privée semble être le principal outil financier des investissements d’impact : Le prêt n’est pas une véritable forme d’investissement. Investir ne signifie-t-il pas prendre des parts dans une entreprise ? Il y a une réelle différence entre ces deux démarches. Rapporteur officiel : Sébastien Goua, Croix-Rouge • On pourrait dire que la seule mesure du retour sur investissement est le RSI. Quand on parle de l’impact financier de l’investissement, il faut cependant aussi parler de Retour Social Sur Investissement. Il serait intéressant de combiner cette analyse avec l’approche RSI. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Comprendre l’émergence de l’ « impact investing » : rapport de J.P. Morgan et de la Fondation Rockefeller 107. L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ? Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Social business Modérateur Priscilla de Moustier Présidente, Conseil de surveillance, OXUS Holding Intervenants Béatrice de Durfort Déléguée Générale, Centre Français des Fonds et Fondations Michel Soublin Ancien Président, Comité de la Charte du Don en Confiance Pierre-Emmanuel Grange Fondateur, MicroDON Judith Symonds Consultant principal, JCS International Arnaud Poissonnier Fondateur et Président, Babyloan Résumé analytique L’objectif de la philanthropie est de trouver des solutions face à un large éventail de questions sociales. Le thème de cette conférence était d’aborder l’aide privée par laquelle les particuliers choisissent de donner à des associations de solidarité internationale. La philanthropie privée peut être mise en place par un grand nombre d’outils allant de subventions stratégiques, données par des particuliers et des fondations, aux formes différentes d’investissements sociaux (impact investing, microcrédit, l’entrepreuneuriat social, le capital patient, etc.) Des nouvelles formes de philanthropie et d’investissements sociaux ont récemment été introduites en France et élargissent le champ de participants impliqués dans la philanthropie. 108. Convergences 2015 On peut donc, en un sens, considérer que certaines solutions innovantes impliquent des acteurs privés dans une nouvelle forme de philanthropie individuelle : •Des plateformes de prêt en ligne pour des micro-entrepreuneurs (Babyloan), •Des cartes de dons pour des associations locales (MicroDON), •Des techniques d’arrondi sur feuilles de paie qui consistent à reverser les centimes sur les nets à payer. Afin de faciliter le développement de la philanthropie privée, il est souhaitable de donner confiance au donateur en effectuant un contrôle des organismes bénéficiaires (comité de la charte du don en confiance). Une autre mesure pourrait consister à favoriser le rapprochement entre les associations pour éviter les effets de dilution des ressources. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Arnaud Poissonnier présente Babyloan, plateforme de prêt de particulier à particulier, située en première position en Europe. Il s’agit de philanthropie par l’innovation : la plateforme sur internet permet de développer les relations Nord Sud. Au lieu de donner, les personnes prêtent des sommes qui sont reversées à des micro-entrepreneurs. Selon Arnaud Poissonnier, l’objectif de la philanthropie est de compenser les carences de l’Etat. Il est donc judicieux de réfléchir à de nouveaux outils notamment via le web qui est en train de créer de nouvelles solidarités. Sur l’ensemble des dons en France, le web ne représente que 3-3,5% : il y a donc un réel chantier à mener. Arnaud Poissonnier prend l’exemple de « just giving », le site internet anglais grâce auquel des particuliers peuvent organiser des évènements dans un objectif de collecte de dons pour une association. Pierre-Emmanuel Grange a découvert au Mexique le principe du « redondeo » : l’arrondi donné à une association. Il s’agit d’ embeddedgiving, c’est-à-dire de générosité embarquée/au quotidien. MicroDON a développé deux types d’outils : • La carte microdon : don à une association locale de solidarité, partenariat public/privé à l’échelle locale • Le don sur salaire : automatic data processing, c’est-à-dire proposer aux salariés de reverser les centimes sur les nets à payer. La France souffre d’un tarissement des subventions publiques et utilise surtout la collecte sur la voie publique et les campagnes par e-mail pour collecter des dons. Cependant, compte tenu de l’évolution des nouvelles technologies, les nouvelles générations sont de moins en moins enclines à utiliser des coupons papiers. Béatrice de Durfort rappelle que le Centre Français des Fonds et Fondations est une association qui vise à réunir tous les acteurs du secteur, opérateurs ou distributeurs, à en promouvoir l’action, à en développer les bonnes pratiques afin de leur permettre de renforcer leur impact au bénéfice des causes d’intérêt général. L’ Observatoire des Fondations et Fonds de dotation a récemment publié le 3ème panorama du secteur, unique benchmark en France d’un secteur encore méconnu. Il permet de mesurer jusqu’à quel point les fondations s’impliquent dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La lutte contre la pauvreté commence bien sûr par une action et un engagement des fondations en France où les besoins sont en cruelle augmentation. Il est par ailleurs à noter que l’intérêt général au sens fiscal du terme – et la lecture restrictive de son application par l’administration - ne favorise pas l’intervention internationale des fondations. • Implication grandissante sur l’action sociale. Le sujet de la pauvreté est abordé par des axes stratégiques spécifiques (santé, accès à l’eau, alimentation, lutte contre l’illettrisme, etc.) et non de façon globale : par suite, il est difficile de mesurer la contribution globale des fondations à ce sujet. • Les fondations pensent de plus en plus en termes de coopérations et synergies pour atteindre des seuils critiques susceptibles d’avoir un véritable impact sur les enjeux qu’elles entendent traiter. • Démultiplication des modalités d’action : grand déploiement d’ingénierie de projet et d’innovation dans la mise en œuvre des projets. Les frontières entre secteur lucratif et non lucratif bougent pour mieux appréhender les problèmes, mais non sans tensions pour la bonne compréhension des acteurs. Selon Béatrice de Durfort, la philanthropie est le miroir de la société : aujourd’hui, sommes-nous prêts à accepter l’idée que l’économie est au service de l’homme, et non l’inverse ? Michel Soublin considère qu’une aide privée est possible si et seulement si les donateurs ont confiance dans l’organisme qui bénéficie des dons. C’est une question fondamentale qui ressort dans les sondages d’opinion : la défiance étant considérée comme un frein à l’aide. Le Comité de la charte du don en confiance, qui a 20 ans d’existence, a pour mission d’établir des règles déontologiques pour la profession, ainsi que de contrôler l’application de ces règles. Ainsi, l’objectif est de s’assurer que les organisations font ce qu’elles disent et disent ce qu’elles font. 70 organisations sont agréées par le comité de la charte, dont OXFAM, Entrepreneurs du Monde, le Secours Catholique, etc. Selon Michel Soublin, un des obstacles à l’efficacité et à l’efficience de la lutte contre la pauvreté est la multiplication excessive du nombre d’associations et de fondations. Cela limite l’effet incitatif auprès des bailleurs de fonds et provoque un éparpillement des compétences et de l’usage des ressources. Judith Symonds rappelle que l’aide publique au développement dans les pays de l’ OCDE représente 25% du total des engagements dans les PED. Les 75% restants relèvent de la philanthropie privée, des transferts de fonds des migrands et de l’investissement en capital. Le premier pays donateur est les Etats Unis avec 26 milliards de dollars d’aide publique et 37 milliards d’aide privée. Bill Gates a récemment incité le public français à faire pression sur le gouvernement pour accroître l’aide internationale. Cela est prometteur pour l’avenir et pour répondre à l’objectif de 0.7 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’aide internationale (correspondant à la contribution des pays de l’OCDE pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement). La contribution de la France aujourd’hui est de 0.39% du PIB. Par l’intermédiaire de la campagne Giving proof, Bill Gates cherche à mettre en avant ce qui fonctionne bien dans le développement international, le rôle de la philanthropie privée dans la démultiplication des fonds publics, l’accroissement de la coordination et de l’impact de l’aide internationale publique et privée à travers une philanthropie stratégique. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ? 109. Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle Judith Symonds pose la question de la valeur ajoutée à l’aide privée sur l’aide publique. Selon elle, l’aide privée permet : • De créer une compétition au secteur de l’aide publique. • Une plus grande liberté : incubation d’un nouveau modèle et l’augmentation par le relais des pouvoirs publics. • De faciliter les partenariats public-privés et encourager l’esprit de collaboration. • De jouer un rôle de veille (watchdog). • De rendre l’aide plus efficace par l’évaluation, la communication des best practices etc. 110. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions L’évaluation de l’utilité de l’aide publique vise à s’assurer que toutes les parties prenantes s’alignent sur des mêmes objectifs à tenir. L’Observatoire Des Non-Recours aux droits et services (ODENOR), créé par l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble vise par exemple à s’interroger sur l’effectivité et la pertinence de l’offre publique sur la question du non recours (toute personne éligible à une prestation sociale, qui – en tout état de cause – ne la perçoit pas). Michel Soublin rappelle que l’évaluation doit également porter sur l’efficacité d’une organisation : le Conseil d’Administration réfléchit-il à l’efficacité de son organisation et pas seulement à celle de chacun de ses projets ? Cela intéresse tout particulièrement les philanthropes qui s’interrogent sur l’usage des sommes données. Ces philanthropes se rapprochent alors d’une logique d’investissement. Arnaud Poissonnier constate que les citoyens américains et anglais donnent 19 fois plus et 15 fois plus que les citoyens français (philan- Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde thropie privée). Pourtant, le niveau d’imposition des américains est presque équivalent (légèrement en dessous, toutes taxes confondues). Il y a selon lui un lien entre la notion de Welfare State à la française et la philanthropie privée. Béatrice de Durfort ajoute qu’il faut être davantage bienveillant envers les donateurs : le don ne doit pas être perçu comme étant une évidence sous prétexte que le donateur gagne de l’argent. Les initiatives comme celles de L’Oréal (sensibilisation sur le SIDA) ou de danone.communities doivent provoquer un effet d’entrainement, notamment pour le don privé. Rapporteur officiel : Thomas Brebion, Finansol L’aide privée peut-elle éradiquer la pauvreté ? 111. Analyse et perspectives de la philanthropie d’entreprise et de la philanthropie individuelle Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ? Table-ronde // Social business Modérateur Jean-Michel Lécuyer Directeur Général, Société d’Investissement France Active Intervenants Marc Bichler Président, e-MFP & Directeur de la Coopération, Ministère des Affaire étrangères, Luxembourg Laurent Demey Directeur général délégué, PROPARCO Isabelle Coquelle-Ricq Responsable de la promotion et du développement de l’ISR, IDEAM Perrine Pouget Chargée d’investissement, Banque Européenne d’Investissement Résumé analytique La conjugaison des subventions publiques aux investissements privés est souvent un pré-requis indispensable pour maximiser l’impact social d’un projet et assurer sa pérennité financière. Cette table-ronde se penchera sur les partenariats publics-privés et abordera la question de l’efficacité des aides publiques pour les entreprises privées. Les fonds publics dédiés à l’aide au développement se font plus rares. C’est pourquoi les organismes d’aide public au développement doivent développer des mécanismes pour que les montants disponibles fassent effet de levier pour attirer les fonds privés enclins à s’investir au Sud, à condition que la liquidité et la rentabilité soient au rendez-vous. Ces mécanismes sont très divers : plaidoyer et recherche ; encoura- 112. Convergences 2015 gement à la mise en place d’une réglementation favorable ; garanties ; positionnement sur les projets les plus risqués en assumant les premières pertes ; comportement en investisseur, en capital patient, en prise de participation ou dette. Ces mécanismes visent à donner confiance aux investisseurs privés. Cependant, les porteurs de projets et entrepreneurs éprouvent des difficultés à lever des ressources. Les freins sont liés à la méconnaissance de ces zones géographiques par les investisseurs et à la difficulté pour les porteurs de projet de constituer des dossiers. Ainsi, les migrants sont à la fois une source de clients et de prêteurs, à la condition que les transferts d’argent aient vocation à développer l’activité économique et non la consommation. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse L’aide au développement est un enjeu stratégique qui, pour les Etats du Nord, confrontés eux mêmes à l’urgence de relancer l’activé économique alors qu’ils doivent faire face à la gestion de leur dette, n’est pas la priorité première. Dans ce contexte, l’argent public dédié à l’aide au développement se fait de plus en plus rare. Cependant, dans le même temps, il existe un potentiel considérable lié à la disponibilité d’argent privé. Ces sommes pourraient s’investir dans des proportions plus importantes dans l’aide au développement à condition que la liquidité et la sécurité soient au rendez-vous. Cette table ronde a pour objet de faire le point sur les mécanismes par lesquels les fonds publics font effet de levier pour favoriser l’investissement de ressources privées. Marc Bilcher est Président d’e-MFP et Directeur de la Coopération, Ministère des Affaire étrangère du Luxembourg, spécialiste de la finance inclusive, qui vise au développement de l’activité économique dans les pays du Sud pour les populations pauvres. Il explique quels mécanismes indirects et directs peuvent être mis en place pour mobiliser des fonds privés. Des initiatives indirectes peuvent consister en des actions de plaidoyer auprès des institutions internationales et auprès des gouvernements et des régulateurs dans les pays en développement, en faveur de la microfinance par exemple. Un tiers des fonds de microfinance sont enregistrés au Luxembourg, ce qui représente 3 milliards de dollars, soit trois fois le montant de l’aide au développement du pays. Pour rappel, les engagements du Luxembourg vis à vis de l’aide au développent sont atteints, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des pays, cependant, il reste nécessaire de développer des ressources alternatives. Lorsque l’on parle de microfinance, il est important de mettre en avant que c’est un moyen d’éradiquer la pauvreté en passant par un outil de financement durable. Il faut savoir que certains investisseurs sont prêts à réduire leurs revenus financiers pour pouvoir s’affirmer comme investisseurs responsables. En ce sens, la microfinance tient sa promesse de durabilité car elle engendre un bénéfice mutuel pour le « micro-client » et l’investisseur. Les conditions à remplir pour assurer le développement de la microfinance sont les mêmes que celles auxquelles doivent répondre toutes les transactions financières «classiques ». Il faut de la confiance, un minimum de savoir faire, une capacité de gestion et un souci de transparence pour gérer l’argent de manière responsable. Enfin, si la condition sine qua none, déjà présentée, est la disposition de la part de l’investisseur du Nord à réduire son revenu financier pour agir de façon socialement responsable, il faut bien entendu un cadre réglementaire bien mis en oeuvre, ce qui est primordial pour la protection des clients et la crédibilité de l’industrie. Ce sont ces messages qui doivent être transmis aux acteurs privés par les acteurs publics. Aux cotés des moyens indirects mentionnés plus haut, il y a des moyens directs. De par nature, les flux publics sont plus flexibles, que ce soit par le don ou par l’investissement, car les fonds publics sont moins attachés au retour financier. Les fonds publics peuvent être ainsi liés à un investissement sur une période plus longue ou servir de garantie pour partie et jouer un rôle d’effet de levier. Ainsi, des investisseurs qui hésitent à investir peuvent être encouragés à le faire. Les fonds publics peuvent également assumer les risques de premières pertes. C’est le cas au Luxembourg pour un fonds commercial dont le risque de première perte est assumé par le ministère et pour lequel un capital de 25 millions d’euros est visé. Ainsi, même si l’Aide Publique au Développement (APD) ne suffira jamais, que ce soit au Nord ou au Sud, son importance reste primordiale pour donner de la confiance aux investisseurs privés mus par l’intérêt d’un bénéfice mutuel pour le développement durable. L’APD peut également être mise à profit dans la recherche en micro finance pour bâtir des bases de données solides. Un bailleur public peut aussi avoir pour rôle de soutenir le fait que tout le monde n’est pas un auto entrepreneur, mais que pour autant, tout le monde a des besoins en termes de micro épargne. La micro épargne est une source importante de capital en temps de crise. Perrine Pouget, de la BEI, rappelle que la Banque est constituée de capitaux publics dont les actionnaires sont les 27 Etats membres en Europe. Le portefeuille de la BEI est situé en Europe mais également hors Europe, à travers divers mandats. Par exemple, le mandat de Cotonou s’adresse à la zone Afrique Caraïbes Pacifique. La BEI agit principalement en microfinance pour l’instant à travers des fonds de microfinance. Ellle va y jouer un rôle à la fois financier et d’appui technique, pour un montant de 200 millions d’euros. Sa contribution est de prendre plus de risques que les fonds privés afin de jouer un rôle de catalyseur. Ainsi, la BEI participe, aux cotés de Proparco, à des fonds de première génération avec des promoteurs publics et privés qui veulent par exemple cibler une nouvelle niche de marché ou atteindre de nouvelles zones géographiques peu servies. La BEI œuvre pour l’amélioration des caractéristiques et des conditions du fonds en optimisant les éléments juridiques et financiers et en les alignants avec les bonnes pratiques. A partir de la proposition du promoteur, la BEI apporte un appui technique afin de porter le fonds aux standards internationaux. La BEI travaille aussi sur des fonds de deuxième génération avec des sociétés de gestion qui auront moins de difficulté à attirer des fonds privés, compte tenu de l’expérience acquise qui leur aura permis d’émerger. Les avantages offerts par la BEI sont le fait d’investir avec du capital patient, notamment de façon contre-cyclique par rapport au reste des marchés financiers, et parfois dans des pays touchés par des conflits ou des catastrophes. Ainsi, la BEI a exceptionnellement octroyé à Haïti des prêts en monnaie locale et à long terme, ce que d’autres prêteurs ne sont pas enclins à faire compte tenu du contexte. La BEI met aussi à disposition des subsides d’assistance technique pour améliorer la qualité des opérations et donc la rentabilité du projet. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ? 113. Laurent Demey, directeur général délégué de PROPARCO explique que PROPARCO est une filiale de l’AFD qui propose des financements à condition de marché. Les activités de PROPARCO agissent comme un effet de levier. Sur un portefeuille de 2,5 milliards d’euros, 300 millions d’euros proviennent du public et le reste du privé. Ces montants sont investis dans des projets au Sud. Le capital de PROPARCO est rémunéré car ses clients sont des opérateurs privés qui ont des objectifs de rentabilité. De la même façon, les fonds publics ne constituent pas des dons mais doivent avoir un effet de levier. Sur le terrain, le portefeuille de PROPARCO est investi en capital et dette à long terme dans des projets privés à hauteur d’1 milliard par an ventilé à 200 millions d’euros en capital et 800 millions d’euros en dette à long terme. Les domaines d’activité de Proparco sont : • l’ agro-industriel, avec pour vocation la création d’ emploi ; • le développement local ; • le secteur financier et microfinancier et le secteur bancaire au sens large, car le problème rencontré dans beaucoup de pays africains est le sous développement du système bancaire local (au Burkina et en RDC le taux de bancarisation est inférieur à 10%). Cette activité utilise plus de la moitié des fonds ; • l’ investissement dans des fonds d’investissement de microfinance et PME locales. PROPARCO exerce son effet de levier en investissant aux cotés d’investisseurs privés et de banques privées en fournissant les ressources financières dont ils ne disposent pas : dette à long terme, ou capitaux, si nécessaire en co-investissement pour attirer les banques locales. • Exemple 1: Le grand barrage de Bujagali en Ouganda, qui a permis de multiplier la production d’électricité par deux dont l’Aga Khan avait l’initiative. Aucun investisseur privé n’était prêt à prendre des risques sur 10 ou 20 ans en Ouganda et la BEI et PROPARCO sont venus pour compléter l’investissement. • Exemple 2 : Alamana est une des principales IMF au Maroc. L’AFD a beaucoup poussé le secteur qui a atteint aujourd’hui le niveau 114. Convergences 2015 de maturité requis pour lever des ressources locales mais il y a un manque de fonds propres. PROPARCO en a apporté, ainsi, chaque euro apporté par PROPARCO permet à Alamana d’en lever 7. Ici l’Aide Publique a donc constitué un complément entre les différents opérateurs qui sont l’Etat, les fonds publics et les banques commerciales. • Exemple 3 : Téléphonie cellulaire en Afghanistan et en Haïti. La téléphonie est un des rares secteurs sur lesquels un opérateur privé peut se positionner dans ce type de région, et ces opérateurs deviennent alors de gros investisseurs et de gros employeurs. Pourtant il y a peu de prêteurs, c’est la raison pour laquelle PROPARCO et la Banque Asiatique de Développement y sont allés. PROPARCO gère des poches techniques et octroie des dons en première perte, c’est moins naturel car cela peut donner au projet une rentabilité qui peut sembler indue, néanmoins, c’est souvent indispensable pour faire démarrer une start-up. Cela peut permettre de payer des assistants techniques au démarrage d’un projet de microfinance ou des consultants pour des projets privés. Le fonds RGMIFA, une initiative de KFW et de l’AFD enregistrée au Luxembourg prête, en monnaie locale. Les opérateurs publics ont pris la première couche où le risque n’était pas supportable pour des investisseurs privés. PROPARCO est un investisseur en capital patient. Isabelle Coquelle-Ricq explique que, comme il existe chez les particuliers une demande et un engagement pour une consommation plus responsable, on constate que les épargnants recherchent également des produits financiers qui fassent plus de sens. On le voit au travers des taux de croissance des fonds ISR, Solidaires, de partage, ou d’aide au développement, même si les montants sous gestion restent modestes. En 2008, Amundi et l’AFD ont créé une initiative commune qui a pris la forme d’un fonds d’investissement : le Fonds Amundi AFD Avenirs Durables qui vise à contribuer à l’aide au développement en investissant à hauteur de 20% dans des obligations de l’AFD et 10% dans des actions de PROPARCO et à terme d’autres projets, le reste étant investi dans des OPCVM ISR en majorité prudents. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Comment améliorer le fonctionnement de l’aide au développement ? pour laquelle cette ressource potentielle n’intéresse pas les banques européennes. Selon Marc Bichler, en 2002, la conférence sur le financement du développement a révélé que l’aide publique au développement ne suffit pas. C’est un complément aux transferts des migrants, aux effets de commerce. Il faudrait au contraire que les migrants soumettent des projets d’activités capables de générer des produits financiers et de rembourser le capital. Pour la BEI, l’amélioration de l’Aide au Développement passe par la révision permanente de la stratégie et l’adaptation des instruments. Il faut aussi tirer les leçons de l’assistance technique afin d’évaluer son efficacité réelle. Il est aussi nécessaire de faire le point sur la disponibilité des compétences locales car trouver les prestataires de service sur place n’est pas évident. La BEI a de la difficulté à trouver des interlocuteurs. Enfin, il faut savoir quand s’abstenir ou se retirer d’une opération, afin de ne pas se substituer aux investisseurs privés Pour PROPARCO, l’évolution réglementaire des normes bancaires est nécessaire. C’est difficile pour les banques d’avoir suffisamment de fonds propres pour investir dans les pays qui ne sont pas ou sont mal notés par les agences de notation. C’est un frein et il faudrait changer certaines règles car souvent les entreprises de ces pays ont de meilleures qualités de crédit que les Etats eux mêmes mais actuellement les entreprises ne peuvent pas bénéficier d’une meilleure note que celle de l’Etat où elles sont implantées. Comment permettre l’investissement dans des projets de migrants ? Les opérateurs migrants rencontrent des difficultés pour emprunter que ce soit auprès des banques de leur pays d’origine ou de leur pays de résidence. Ces opérateurs, de plus en plus nombreux, ont le sentiment d’être laissés pour compte. Pourtant, de part leur nombre, ils représentent une importante source de nouveaux clients potentiels. Pourquoi n’y a-t-il pas de banque de développement en Afrique ? On pourrait envisager que les acteurs de l’Aide Publique au Développement contribuent au développement d’une Banque Africaine de Développement en partenariat avec la diaspora Africaine qui soutient ce type de projet. La réglementation n’est pas encore prête pour cela. Par ailleurs, pour une telle initiative, il faudrait être en mesure de proposer du rendement afin de s’assurer la confiance des investisseurs. A noter que l’Aide Publique au Développement pourrait aider à la structuration des communautés de migrants. Quels dossiers constituer pour demander des investissements ? Il existe de nombreuses initiatives économiques qui ont été mises en place par l’argent des migrants. Selon la responsable de l’association Road Trip, une coopérative d’éleveurs et d’agriculteurs qui vise à combattre la désertification, cela peut représenter jusqu’à 60% des ressources du pays. Même dans ces cas, il reste difficile de constituer des dossiers PROPARCO reconnaît que c’est un problème crucial. Une solution, bien que difficile à mettre en place, et donc aléatoire, serait de convaincre des banques européennes de s’installer en Afrique. Il faut discuter avec la Banque de France pour faciliter ce type d’opérations qui ont été réalisées avec la BGFI et la CBAO pour faciliter ce genre de flux. Il y aurait en France 90 000 dirigeants de PME algériens, et 600 000 à 700 000 personnes de la diaspora marocaine. Si 1 à 10% de ces dirigeants investissaient pour le développement de leurs pays, ou se portaient caution, cela pourrait contribuer à rendre à la France l’influence qu’elle avait dans certains pays comme la Tunisie. C’est la condition du succès du Printemps arabe : l’ouverture vers la démocratie va passer par l’investissement. L’ AFD met en place des fonds sur le Maghreb pour les PME en croissance. Comment expliquer les difficultés rencontrées par les coopératives pour trouver des investisseurs ? Les coopératives sont des social business par nature. Leur succès en termes de coopératives leur barre la route vers les financements externes car le profit réalisé à vocation à être réinvesti dans les structures, ce qui n’est pas motivant pour le banquier ou pour l’investisseur. Rapporteur officiel : Christophe Person, Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation Discussion sur l’utilisation des transferts d’argent des migrants. Les représentants des banques indiquent que très souvent le transfert d’argent des migrants vers leurs pays d’origine sert à la consommation et non pas au développement de l’activité économique. C’est la raison Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Comment optimiser l’utilisation des fonds publics pour encourager les investissements privés ? 115. Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité Table-ronde // Social Business Modérateur Frédéric Dohet Administrateur, ACTED Intervenants Luc Lamprière Directeur Général, Oxfam France Jean-Michel Lécuyer Directeur Général, Société d’Investissement France Active Pierre Valentin Directeur Général Délégué chargé des finances, Crédit Coopératif Résumé analytique Jusqu’en 2015, 50 milliards d’euros supplémentaires chaque année sont nécessaires pour atteindrSe les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Dans un contexte de diminution des ressources publiques, les financements innovants permettent de développer de nouvelles formes de mécénats privés et de financements publics de projets de solidarité. L’innovation en matière de financement doit faire préférablement l’objet d’une démarche volontaire de la part de l’organisme financier qui le met en œuvre ou de son bénéficiaire, et permettre de lever une ressource ayant une grande prévisibilité et gérée selon un mode de gouvernance innovant. L’exemple de la taxe de solidarité depuis 2005 ou la contribution volontaire sur les billets d’avion révèle l’efficacité du financement innovant pour contribuer à l’aide publique au développement. En France, deux initiatives récentes sont à retenir: •Au niveau d’un établissement financier : Le Crédit Coopératif a transactions de change de 0,01%. À l’instar de la taxe Tobin sur l’ensemble des transactions financières, la contribution volontaire appliquée au marché des changes semble plus réaliste du fait de l’existence de chambres de compensation et opérations moins complexes. L’idée d’une taxe sur les transactions financières est relayée au niveau politique, notamment dans le cadre du G20 de novembre 2011. •Dans le domaine législatif : Le développement de l’épargne salariale solidaire grâce à la loi de Modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 obligeant les entreprises ayant des plans d’épargne entreprise (PEE) de présenter parmi les placements possibles un fonds solidaire à leurs salariés. Fonds dont 5 à 10% de l’actif sont investis dans des entreprises solidaires. L’épargne salariale solidaire représente aujourd’hui autour de 1,5 milliards d’euros collectés, ce qui permet de dégager 150 millions d’euros — 200 millions d’euros pour des financements d’actions de solidarité, notamment internationale. mis en place un mécanisme de contribution volontaire sur les 116. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse En guise d’introduction, Frédéric Dohet rappelle que les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont enclenché un processus qui, sur le plan international, a conduit à envisager des moyens de financements innovants. 50 milliards d’euros supplémentaires chaque année sont nécessaires pour atteindre les OMD. Le sujet s’est complexifié depuis le sommet de Copenhague de 2009 avec les nouveaux objectifs en matière de lutte contre le changement climatique (réduction des émissions de gaz à effet de serre). Au besoin de 50 milliards d’euros par an jusqu’en 2015 pour les OMD, s’ajoutent donc 100 milliards d’euros supplémentaires pour l’atteinte des objectifs sur le changement climatique (horizon 2020). L’innovation financière porte sur plusieurs dimensions : • Une démarche volontaire de l’organisme financier ou du bénéficiaireclient, plutôt que l’obligation. • Un lien entre l’activité qui contribuerait à ces nouvelles ressources (lien entre la ressource et l’objet) et le bien public que l’on souhaite préserver. Exemple : les quotas carbone vendus qui génèreraient des recettes et permettraient de réduire les émissions de gaz à effet de serre. • Une ressource ayant une grande prévisibilité car il existe un problème de volatilité des devises mais également des ressources. Il s’agit de mobiliser des ressources en dons, mais également en prêts, prêts concessionnels, etc. • Une bonne gouvernance qui entoure l’emploi de ces ressources, comprenant des modalités de gestion de la ressource innovante, par exemple via l’implication des bénéficiaires (notamment par la participation des acteurs de la société civile). Sous beaucoup d’aspects, le fonds mondial de lutte contre le Sida, la malaria et la tuberculose est précurseur dans ces diverses dimensions. Frédéric Dohet prend 2 exemples de financements innovants : • De nouvelles ressources publiques par la taxe de solidarité sur les billets d’avion: une partie des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria est collectée via UNITAID qui est une organisation ad hoc hébergée par l’OMS et crée en 2006. UNITAID collecte de la ressource par une taxe de solidarité sur les billets d’avion, adoptée par 30 pays (dont la France), qui vise à permettre l’achat de médicaments ainsi qu’une baisse des prix des traitements contre le sida, la tuberculose et la malaria. Cette taxe a déjà permis de collecter 300 millions de dollars par an. • De nouvelles ressources privées par l’appel à une contribution volontaire sur l’achat de billets d’avion: il s’agit d’un dispositif complémentaire au premier et destiné aux voyageurs de pays qui n’ont pas instauré la taxe ci dessus. Les personnes qui voyagent en avion peuvent décider de contribuer au développement en apportant une contribution volontaire sur leurs billets d’avion. En 2010, la fondation pour le millénaire (basée en Suisse) a lancé une opération appelée Massive Good, qui vise à permettre à tous les voyageurs en avion d’apporter librement une micro-contribution de 2 dollars au projet Massive good. Les fonds ainsi collectés seront ensuite affectés à UNITAID, pour la lutte contre le VIH-SIDA, le paludisme et la tuberculose. Pour l’avenir, 3 types de questions se posent à nos invités: • Qu’est ce qui s’est fait et quelles leçons en tirer ? • Que souhaiterions-nous faire aujourd’hui ? Quelles sont les modalités de mise en œuvre de dispositifs de financement innovants ? • Quels vœux formuler auprès des autorités nationales ou internationales pour développer les financements innovants pour les OMD ? Pierre Valentin annonce l’initiative qui fonctionne depuis le 1er mars 2011 : le Crédit Coopératif a mis en place un mécanisme de contribution volontaire sur les transactions de change. Sur le volume des opérations de change interbancaires au comptant et à terme traitées, un taux de 0,01% sera supporté par le Crédit Coopératif (les clients effectuent les opérations dans les mêmes conditions qu’auparavant). Le bilan des sommes collectées sera affecté à des associations de solidarité internationale. Le Crédit Coopératif est la première banque à mettre en place un tel dispositif. La banque s’appuie sur son expérience dans le domaine (notamment via la carte Agir) mais également sur deux rapports : • Rapport Landau, commandé en 2004 par le Président Chirac sur les mécanismes de financement innovant. C’est d’ailleurs de ce rapport qu’est venue la taxe sur les billets d’avion. La question des transactions financières (sur le change) y était également évoquée. Mais certains aspects restaient flous puisque le chiffrage n’était pas aussi précis qu’il peut l’être aujourd’hui. • Rapport « Mondialiser la solidarité de 2010 ». Chiffres actualisés : les transactions sur le marché des changes sont de 3600 milliards de dollars par jour. Lorsque Tobin avait parlé de taxe sur les opérations de change notamment, les volumes étaient 30 fois plus faibles. Les taux de prélèvements sont donc amenés à baisser fortement. En outre les modalités de mises en place d’un tel prélèvement sont désormais bien étudiées. Pierre Valentin est favorable à ce que le prélèvement (contribution volontaire ou taxe) soit sur les transactions de change plutôt que sur l’ensemble des transactions financières pour les raisons suivantes : • Base internationale : puisque l’objectif de mondialiser la solidarité doit se baser sur une ressource, elle-même doit être liée à l’international. • Les opérations de change sont techniquement simples tandis que les transactions financières (beaucoup plus larges) sont beaucoup plus diverses et complexes. • Les opérations de change présentent un risque de réalisation. Les Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité 117. autorités incitent donc à ce qu’elles s’effectuent par des chambres de compensation pour que les flux soient simultanés. Les avantages que tirent les banques de l’utilisation des chambres de compensation, que ce soit en termes d’économie de fonds propres (les opérations sont plus sûres) ou en termes de flux sont tels qu’une taxe prélevée dans ces chambres de compensation semble assez facilement acceptable. Or il n’est pas évident que cela soit aussi facile pour les transactions financières. Cela ne concerne pas le Crédit coopératif directement, mais c’est une des raisons techniques qui amène à penser que le mouvement pour prendre comme sous jacent les transactions de change est plus réaliste que pour les opérations financières (proposition de Tobin). L’attente de Pierre Valentin vis-à-vis des autorités publiques est la suivante : • Que l’Etat s’intéresse de plus près à l’initiative du crédit coopératif. • Dans les pays de tradition du don, il existe une fiscalité favorable au mécénat. Il serait bon qu’un certain nombre de pays mettent en place un système qui soit homogène. Luc Lamprière présente la vidéo de la campagne Oxfam pour instaurer une taxe « Robins des bois » sur les transactions financières. La taxe sur les transactions financières soulève la question de la capacité à financer des besoins considérables pour le développement et le changement climatique. 118. Convergences 2015 Par exemple : • Sécurité alimentaire : 30 milliards par an pour éradiquer la faim • Engagements sanitaires internationaux : 67 milliards par an manquent. L’idée de la taxe fait son chemin : c’est un changement radical de paysage puisque maintenant la discussion n’est plus seulement académique et technique mais plutôt politique. Au niveau des gouvernements, la France est favorable non plus seulement à des financements innovants sur diverses activités mondialisées (avions, bateaux) mais aussi à une taxation sur les transactions financières. L’ Allemagne d’Angela Merkel suit cette même ligne politique. L’Afrique du Sud, lors d’une réunion du G20, a également évoqué la responsabilité des ministres des finances quant à la collecte des 100 milliards d’euros évoqués à Cancun et à Copenhague sur le changement climatique. Le risque qu’implique cette taxe : Quand va t’elle être mise en place ? Peut-il y avoir une décision politique prise au niveau mondial ? D’après Luc Lamprière, cela n’arrivera pas lors du G20 à Cannes en Novembre 2011. De façon plus vraisemblable, nous pourrions envisager que les Etats volontaires impulsent une dynamique, c’est-à-dire qu’une coalition de pays pionniers affirment leurs choix en faveur de l’instauration d’une taxe. Un autre type d’innovation possible serait la taxation sur les soutes maritimes, soutes de tankers (exclues des dispositifs du protocole de Kyoto) dont l’argent serait utilisé pour financer les besoins en terme de changement climatique. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements D’après Frédéric Dohet, les financements innovants ne consistent pas seulement en la taxation des activités financières. D’ autres voies sont explorées : • Collecte et orientation de l’épargne des migrants. • Contribution sur les transferts de fonds des migrants. • Aide sectorielle fondée sur des taxes sectorielles. • Partenariats public privé. • Loterie internationale. Jean-Michel Lécuyer explique que l’épargne salariale est une voie de financement de l’ESS l’ économie sociale et solidaire) très intéressante, puisqu’elle représente 100 milliards d’euros. Il existe en effet un écosystème d’entreprises solidaires en France, qui représente 3,4% du PIB, 6-7% de l’emploi. C’est un secteur qui a cependant des problèmes d’assises financières (ONG, coopératives…), surtout pour le financement en fonds propres et quasi fonds propres. à convaincre Laurent Fabius, ministre de l’Economie et des Finances, d’inciter les gestionnaires d’épargne salariale à proposer systématiquement aux salariés un fond solidaire via le Plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO). Enfin, en 2008, le lobby fort de syndicalistes (et notamment l’appui d’Edmond Maire et de Claude Alphandéry) ont permis d’étendre ce dispositif à l’ensemble des plans d’épargne entreprise (PEE). Désormais, toutes les entreprises qui ont un PEE sont obligées de proposer un fonds solidaire à leurs salariés. L’ épargne salariale solidaire représente 1,5 milliards d’euros collectés, ce qui permet de dégager 150 millions d’euros-200 millions d’euros pour des financements en fonds propres ou en prêts à moyen et long termes des acteurs de l’économie sociale et solidaire, et par exemple les associations de solidarité internationale. Rapporteur officiel : Thomas Brébion, Finansol L’ épargne salariale solidaire s’est développée sous l’impulsion de syndicalistes dans les années 90 (notamment Nicole Notat). Cela s’est conclu par l’introduction dans les fonds communs de placement d’une poche de financement pour les activités solidaires. La Caisse des dépôts et consignations a créé, en 1994, le produit « Insertion emploi » dont 10% maximum de l’actif est investi dans des titres solidaires. En 2001, des entrepreneurs sociaux alors proches du gouvernement ont réussi Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Financements innovants pour le développement : des promesses à la réalité 119. Investir dans une entreprise sociale : quelques enseignements de différents impact investors Atelier // Social business et Microfinance Modérateur Jean-Luc Perron Délégué Général, Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation Intervenants Bernard de Boischevalier Chargé de mission, SIDI Loïc de Cannière Directeur Général, Incofin Laurent Chéreau Représentant, Tembeka Emmanuel Gautier Responsable Gestion Solidaire, Natixis Asset Management Olivier de Guerre Président, Phitrust Active Investors Jérémy Hajdenberg Directeur d’investissement, Investisseurs & Partenaires pour le Développement (I&P) Laurence Méhaignerie Présidente, Citizen Capital Christophe Poline Directeur des investissements solidaires, Schneider Electric Michel Pernot du Breuil Directeur Général, SENS Louise Schneider-Moretto Directeur adjoint, Community Development Group, Deutsche Bank Résumé analytique Cet atelier réunit onze participants aux profils variés, tous impact investors qui réunissent une capacité d’investissement de 680 millions d’euros. Ils sont dans un premier temps revenus sur l’importance de bien définir sa cible. Il faut savoir quel type d’entreprise sociale est visé, quel public ou encore quelle rentabilité est attendue. Seulement alors, il est possible de procéder à l’origination des projets, grâce à des réseaux locaux par exemple. Les investisseurs sociaux ont ensuite voulu insister sur la notion d’accompagnement : ils ne se contentent pas d’investir en equity, quasi ou dettes, mais ils accompagnent également le développement de l’entreprise grâce à de l’assistance technique. 120. Convergences 2015 La problématique de la rentabilité a ensuite été abordée. Les investisseurs institutionnels attendent une certaine rentabilité. Un travail de pédagogie doit être mené afin d’expliquer qu’en investissant dans une entreprise sociale, le risque est moindre et l’investissement peut être moins rentable. Enfin, la mesure de l’impact a été discutée : tous ont d’abord voulu distinguer « impact » de « performance » sociale, plus simple à mesurer. L’avancée de la microfinance en termes de mesure d’impact a été soulignée. En ce qui concerne le reste du secteur, les outils mis en place tel que le SROI (social return on investment) sont complexes et chronophages, et chaque investisseur développe ses propres indicateurs, de manière plus pragmatique. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Présentons tout d’abord les intervenants. Bernard de Boischevalier est chargé de mission à la SIDI. La SIDI est une société anonyme créée en 1983, qui dispose aujourd’hui d’un capital de 13 millions d’euros et d’un portefeuille d’investissement de 10 millions d’euros. Elle s’est donnée pour mission de créer de la valeur ajoutée sociale et d’induire des changements sociaux durables grâce à la prévention et à la réduction de la vulnérabilité des populations du Sud. Son action est double : financements (prêts, equity ou garanties) et accompagnements (assistance technique) d’IMF (80% des activités) ou d’organisations paysannes et d’ entreprises agricoles. Loïc de Canniere est Directeur Général chez Incofin en Belgique. Il s’agit d’une société de gestion d’une capacité d’investissement de 300 millions d’euros, qui gère des fonds d’investissement dédiés à la microfinance. Six fonds sont soutenus grâce à des interventions en dettes et en equity. Laurent Chéreau est représentant de Tembeka, entreprise sociale Sud-Africaine apportant des services financiers et non financiers au secteur de la microfinance sociale dans le pays. Deux services sont mis à disposition des usagers: un fonds d’investissement réalisant des prêts à moyen terme (aujourd’hui 5 IMF sont soutenues, soit un million d’euros investis) et de l’assistance technique. Emmanuel Gautier est responsable de la gestion solidaire chez Natixis Asset Management. Il travaille dans la filiale de gestion d’actifs pour compte de tiers de Natixis, pionnier de l’investissement solidaire, grâce à ces fonds qui doivent investir 10% dans des projets solidaires. Natixis AM dispose d’1,2 milliards d’euros d’actifs, dont près de 100 millions sont effectivement investis dans des entreprises non cotées en bourse à fort impact social et/ou environnemental. Olivier de Guerre est président de la société d’investissement Phitrust Partners qui est dédiée au financement et à l’accompagnement de sociétés viables favorisant la solidarité. Elle finance 17 projets en phase d’accélération. Jérémy Hajdenberg est le directeur d’investissement de la société I&P qui finance et accompagne PME et entrepreneurs en Afrique dans le but de renforcer le tissu de PME, indispensable au développement. Sa démarche est celle du capital développement : investir aux côtés d’entrepreneurs du secteur privé des pays en développement, dans une relation de partenariat à long terme. I&P a un capital de 19 millions d’euros et son portefeuille comprend aujourd’hui plus de 30 entreprises, dont un quart sont des IMF. Laurence Mehaignerie est présidente de Citizen Capital qui est un fonds de capital d’investissement indépendant créé fin 2008, au capital de 19 millions d’euros. Il investit dans des PME en France en phase de développement (entre 1 et 20 millions d’euros de chiffre d’affaire) sur la base d’une rentabilité raisonnable et de critères extra financiers : des PME implantées dans des zones défavorisées, un dirigeant issu des minorités ou autodidacte, ou une PME avec un impact social. Christophe Poline est directeur des investissements solidaires chez Schneider Electric qui est une entreprise dans le secteur de la maitrise de l’énergie. Elle est cotée en France, emploi plus de 110 000 personnes, et a un chiffre d’affaire de 20 milliards d’euros. Un programme de responsabilité sociale d’accès à l’électricité pour tous a été mis en place et comprend 3 volets : formation ; innovation ; investissement. Le but est de contribuer à l’émergence de PME qui fournissent de l’électricité dans les pays émergents. Un fonds d’investissement a été développé pour répondre à ce besoin, accessible via l’épargne salariale solidaire. Michel Pernot du Breuil est le Directeur Général de SENS. C’est une coopérative qui a pour objet de promouvoir le développement durable et équitable des territoires du Sud et du Nord et de lutter contre la précarité par la création et la promotion d’entreprises. SENS accompagne aujourd’hui 16 projets, dont 8 créations d’entreprises, dans 4 secteurs : circuit agricole et alimentaire ; éco habitat, construction ; accès à l’énergie; éco mobilité. Louise Schneider Moretto est Directrice Adjointe du Community Development Finance Group, un pôle de la Deutsche Bank. Il réalise des investissements sociaux aux Etats-Unis et à l’international. Il se compose de 7 fonds, dont 5 en microfinance et agit avec des investissements directs et la construction de fonds spécialisés dans un domaine, tel que the Eye Fund, co-construit avec 2 partenaires : Ashoka et l’association américaine contre la cécité. Voyons à présent comment cela se passe au niveau de l’origination des projets. La première question qui se pose est la suivante : que cherchet-on ? Il faut pour y répondre revenir sur la définition de l’entreprise sociale et sur ses récentes évolutions. Chaque investisseur partage une vision commune de l’entreprise sociale, mais n’utilise pas forcément les mêmes critères. Une entreprise sociale doit avoir une rentabilité suffisante pour être pérenne et avoir un impact social. Pour Michel Pernot du Breuil, le principal critère de cet impact est celui du public visé et de sa vulnérabilité. Pour Laurence Méhaignerie, il s’agit entre autres de la diversité et de l’ancrage dans les territoires. Pour Jérémy Hajdenberg, il ne suffit pas d’avoir une rentabilité suffisante, un objet et un impact social, il est aussi essentiel de réunir des capacités de management afin d’être pérenne. De plus, le domaine du social business couvre des réalités très différentes selon les secteurs, et donc des logiques diverses. Une entreprise sociale en Europe n’est pas une entreprise sociale dans un pays émergent, tout simplement car l’impact attendu ne peut être le même. I&P souligne ainsi que l’objet de l’entreprise n’a pas à être social pour être une cible potentielle, le simple fait de créer des emplois et de participer à la structuration d’une filiale locale fait par exemple de la structure une entreprise sociale en Afrique. Il est donc difficile de faire converger les modèles du Nord et du Sud. Le plus important dans l’origination des projets est donc de bien définir sa cible. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Investir dans une entreprise sociale : quelques enseignements de différents impact investors 121. Plusieurs méthodes sont ensuite appliquées pour identifier les projets y correspondant : • DB investit en senior debt au taux de 1,5%, en subordinate debt à un taux entre 2 et 4% et en equity à un taux de 1%. • DB travaille avec des partenaires locaux, telles que les ONG locales. Pour eux, construire un réseau est essentiel. La problématique de la rentabilité est essentielle pour les impact investors. Les investisseurs institutionnels attendent une certaine rentabilité, aussi un travail de pédagogie doit être mené afin d’expliquer que le risque est moins important dans un investissement dans une entreprise sociale, et donc moins rentable. I&P a, par exemple, à la fois des actionnaires privés et des actionnaires institutionnels et rencontre ce dilemme : les institutionnels ont un objectif d’impact mais souhaitent également un rendement élevé. Il faut ainsi viser des investisseurs très particuliers et spécialisés, comme FISEA, un fonds d’investissement de Proparco. • SENS repère avant tout des potentiels, des compétences, c’est-à-dire des porteurs de projets. Quels sont les instruments financiers ? Tous les investisseurs ont dans un premier temps insisté sur la notion « d’accompagnement ». Leur travail ne consiste pas simplement à investir dans une entreprise sociale, mais bien plus à l’accompagner dans son développement grâce à de l’assistance technique. Une fois les projets déterminés et étudiés, les impact investors ont une palette d’instruments divers pour investir. • La SIDI investit principalement en dette et au maximum en monnaie locale (60% du portefeuille). Ses taux vont de 5 à 10% en fonction de la devise et de la durée. • Natixis investit en fonds propres, dettes sous forme de billets à ordre et d’obligations (le taux des obligations est de 50% de l’euribor pour les billets à ordre pour 3 mois et 75% de l’euribor pour plus de 3 mois). • Phitrust investit en monnaie locale avec un mécanisme OSEA pour gérer le risque de change. • I&P et Schneider Electric investissent en monnaie locale et en fonds propres, quasi fonds propres et dettes. Ils sont toujours actionnaires minoritaires. 122. Convergences 2015 Comment mesurer l’impact social ? Tous les participants ont voulu différencier impact social et performance sociale. L’impact social est une mesure très complexe : il est difficile de prouver ce qu’ aurait été un environnement sans l’intervention de l’entreprise sociale et donc d’associer clairement l’environnement, ses améliorations et l’entreprise sociale. Mesurer la performance sociale est plus pertinent : comment la mission sociale se traduit en produits, en méthode, en moyens, en personnes touchées… Le secteur de la microfinance est plus développé en termes d’évaluation d’impact. On constate un début de standardisation : l’outil SPI de CERISE pour la microfinance est utilisé par plusieurs investisseurs, car il est simple à appliquer. Pour le reste du secteur, des outils existent (SROI, IRIS) mais sont très complexes et chronophages, et la plupart des investisseurs ont fait le choix de créer leur propre méthode de mesure d’impact. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Pour Natixis c’est une mesure d’impact simple et concrète avec quelques critères : • Création d’emplois : par exemple, de 40 à 50 000 emplois ont été créés ou consolidés depuis le début du lancement des fonds solidaires de NAM • Logement des familles : 1 500 à 2 000 familles logées • Financement des IMF • Nombre de gisements « énergies renouvelables » financés • Distribution de microcrédit : 1 400 prêts en France Incofin utilise une méthode financière et l’outil SPI de Cerise pour la performance sociale. Tembeka a ses propres indicateurs créés avec les IMF accompagnées. Pour Phitrust c’est une mesure basique : pour chaque entreprise, 10 critères de performances sociales. SENS utilise la méthode des moyens d’existence durables : comment diminuer la vulnérabilité d’une personne ? 5 champs sont évalués : capacités humaines, social, aspect matériel, environnement, financier : sécurisation et stabilité du revenu. Citizen Capital utilise des critères ESG (enjeux environne- mentaux, sociaux et de gouvernance) : politique d’achat, formation, rémunération, recrutement, contribution sociétale… Pour Schneider Electric, il s’agit d’un fonds thématique, donc la mesure est plus simple, les critères sont plus évidents comme le nombre de personnes ayant accès à l’électricité. I&P a une approche globale de son utilité grâce à un bilan qualitatif : 2 000 employés, 50 missions d’assistance technique, accès à des services, accès au marché à des fournisseurs, structuration de filières, salaires et sécurisation de revenus. Il y a aussi la constitution d’un outil systématique « mouvance ESG » accompagnée par CERISE. La DB utilise 25 indicateurs de social performance. Pour finir, la tendance à la standardisation des reporting et des critères est une préoccupation des investisseurs, comme le prouve le Global Social Performance Task Force. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Investir dans une entreprise sociale : quelques enseignements de différents impact investors Rapporteur officiel : Louise Swistek, Groupe SOS 123. Quelles formes de financement innovant pour développer les entreprises sociales? Atelier // Social business Modérateur François de Witt Fondateur et Président, Finansol Intervenants Luciano Balbo Président, Fondazione Oltre Mark Campanale Directeur, The Social Stock Exchange Samuel Clause Responsable Senior investissement mSicrofinance, European Investment Fund Emmanuel Marchant Délégué Général, danone.communities Maximilian Martin Fondateur, Impact Economy Christophe Poline Directeur des investissements solidaires, Schneider Electric Nicolas Hazard Président, Le Comptoir de l’Innovation Sébastien Lyon Directeur financier, ACTED Résumé analytique Le social business vise à répondre à des besoins sociaux et sociétaux croissants au travers d’un système économique rentable, à l’heure où les financements publics se réduisent drastiquement. Ce secteur est confronté à quatre défis majeurs : 1. Changer d’échelle sans perdre sa spécificité et sans remettre en cause l’esprit du social business. 2. Mobiliser des financements pour accompagner la croissance de l’activité. 124. Convergences 2015 3. Attirer les compétences permettant de doter le secteur du capital humain nécessaire à son bon fonctionnement. 4. Ne pas perdre de vue l’objectif social et sociétal de l’activité et évaluer son impact. Au sujet de la mobilisation des financements, plusieurs pistes sont évoquées : améliorer la communication entre entrepreneurs sociaux et investisseurs sociaux, former des intermédiaires compétents capables d’attirer une plus grande diversité d’investisseurs, inciter les banques à développer des produits financiers dédiés, améliorer les synergjes entre fonds publics et privés. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Chacun s’accorde à dire que le social business reste dans une logique de rentabilité : il offre un système économique et n’est pas fondé sur la subvention. Le social business est une solution de marché pour résoudre les problèmes sociaux et sociétaux et ayant besoin de capitaux pour se développer. C’est un outil pour créer le changement. La première contrainte du social business est qu’il offre un retour lent voire même aucun retour pour un investissement financier qui lui est très risqué. C’est pour cette raison que les fonds de social business peinent à lever des fonds. La deuxième contrainte est que peu d’entreprises sociales peuvent réellement changer d’échelle. Souvent, la taille, l’organisation et la culture de l’entreprise sociale sont liées au contexte qui la définisse. Dans cette perspective, accroître les activités de l’entreprise sociale peut s’avérer inapproprié ou impliquer un changement d’esprit pour de nombreux acteurs. La troisième contrainte est d’attirer les personnes talentueuses et dotées de connaissance afin de renforcer l’industrie. Pour certains intervenants comme Mark Campanale il n’y a ni un manque de talents ni d’opportunités dans le social business. Sébastien Lyon fait remarquer que des outils pour démarrer une entreprise sociale existent et sont accessibles, mais qu’il est difficile de trouver des fonds pour développer et intensifier l’entreprise sociale. Il semble qu’il y ait une lacune dans « l’offre de financement » entre les petites start-ups d’entreprise sociale et les grandes. Paradoxalement, on peut observer que beaucoup d’entrepreneurs sociaux ont des projets de croissance tandis que les investisseurs sociaux ont du mal à cibler des projets d’investissement avec un potentiel de changement d’échelle. Il y a certainement des marges de progression pour un meilleur modèle de communication entre ces deux acteurs. Finalement les intervenants s’accordent sur le fait que la croissance des entreprises sociales ne peut pas être une fin en soi : ce qu’il est nécessaire d’accroître est l’impact social de l’activité. L’exemple de l’industrie indienne de microfinance montre que le suivi de l’impact social devrait toujours être prioritaire devant la croissance de l’entreprise sociale. Comme les coûts d’évaluation de l’impact social sont énormes, ce problème de priorité est l’une des principales contraintes rencontrées par les entreprises sociales pour changer d’échelle. Comme pour les tendances sous-jacentes de l’industrie émergente du social business, Mark Campanale soutient que le social business n’est pas seulement une mode. Selon lui, la recherche de la durabilité sociale et environnementale par les investisseurs est devenue une « méga-tendance » et qu’il n’y a aucun doute que les social business continueront de croître. Selon Luciano Balbo, le secteur de la philanthropie représente seulement 2% du produit intérieur brut des Etats-Unis. De plus, les Etats occidentaux sont sur endettés alors que les richesses privées n’ont jamais atteint un niveau si élevé, et que pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, il n’y a peut-être plus de placements sécurisés. Il devient alors nécessaire et opportun de créer une nouvelle industrie financière avec des acteurs différents des banques traditionnelles d’investissement. Cette nouvelle industrie a besoin d’attirer des talents afin de former de bons intermédiaires qui pourront relever le défi d’attirer le capital provenant des fonds de pension. Ce faisant, ces intermédiaires doivent répondre à la question de la rentabilité attendue des entreprises sociales, aux côtés de questions plus profondes comme la valeur sociale de l’argent et l’intérêt mutuel entre les propriétaires et la communauté. Cet intérêt mutuel a existé après la Seconde Guerre Mondiale et a permis la fondation de l’État providence en Europe, mais s’est écroulé depuis le début des années 80. Quelles sont les solutions financières qui permettraient aux entreprises sociales de croître? Mark Campanale pense que les synergies entre les institutions financières de développement et les fonds privés d’impact d’investment ont commencé et ont besoin d’être renforcées par une allocation plus massive des capitaux dédiés. Il souligne également que les fonds de développement sociaux sont des fonds de private equity, et que si nous voulons changer le capitalisme, nous devons prendre le contrôle du capital, créant ainsi une structure du marché des capitaux publics pour l’entrepreneuriat social, permettant un accès direct à l’épargne des particuliers. Finalement, Mark Campanale nous dit que nous pourrions trouver un moyen de tirer profit des 60 milliards d’investissement socialement responsable et attirer des investisseurs retraités averses au risque. Néanmoins, Luciano Balbo répond que les fonds des investissements socialement responsables sont efficaces et sont l’affaire des gestionnaires d’actifs. Les fonds qu’ils placent sont typiquement des fonds qui ont besoin d’être attirés dans une deuxième phase de développement du secteur. La première phase dans la construction de l’industrie du social business est, selon lui, la responsabilité des fondations pionnières et des entreprises familiales, comme certains l’ont déjà entrepris, car ils ne dépendent que d’eux-mêmes. Mais entre la première et la deuxième phase, qui sera l’accélérateur de la croissance de l’industrie ? Développer le social business signifie développer l’argent social et l’accès à celui-ci. Emmanuel Marchant, en s’appuyant sur son expérience au sein de danone.communities, rappelle à tout le monde qu’investir dans le social business est un peu « fou » : risque élevé, aucun retour financier, mais d’énormes rendements sociaux. C’est quelque chose que nous devons admettre et nous aurons besoin de temps pour Forum Convergences 2015 - Edition 2011 ///Atelier Quelles formes de financement innovant pour développer les entreprises sociales ? 125. le surmonter. Cependant, les particuliers peuvent être vraiment enthousiaste et souscrire à des placements dans le social business poussant les banques de détails à créer des produits financiers dédiés. Il est de notre responsabilité de communiquer et de créer des succès et des héros pour convaincre la communauté de changer. Par exemple, en France et dans beaucoup d’autres pays, les fonds privés ne peuvent être investis dans les entreprises sociales que si celles-ci ont un statut de société à but non lucratif ou un statut de coopérative, d’où le débat sur un statut européen pour les entreprises sociales. C’est aussi la responsabilité des gouvernements de créer un cadre légal qui permettra la croissance des investissements sociaux. 126. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Thomas Lauruol, I&P Plus de responsabilité et plus d’impact : enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance Table-ronde // Microfinance Modérateur Xavier Reille Responsable de l’ équipe Microfinance Industry, CGAP Intervenants Femke Bos Responsable Investissement, Triodos Investment Management Claude Falgon Administrateur, Advans Stefan Fischer Responsable Investissement, Blue Orchard Investments Guillermo Salcedo Directeur adjoint, Département des prêts et des investissements, Oikocredit Résumé analytique La microfinance semble être une évidence : son volume a été multiplié par 4 en 5 ans et représente 8 milliards de dollars. En même temps, selon les médias, elle est en crise. A quels impacts peut-on s’attendre ? Premièrement, nous demanderons aux intervenants leur opinons sur les problèmes de la microfinance et si oui ou non il y a une exagération de la part des médias. Deuxièmement, quelles sont les opportunités pour une microfinance sociale ? La microfinance est de plus en plus intégrée dans le monde économique. Si après l’indépendance des pays développés la plupart des initiatives étaient publiques, la microfinance serait désormais une partie intégrante du système de développement, c’est-à-dire privée, mais avec un engagement social. Récemment des comportements non responsables sont apparus. La réputation et le risque sont très importants car tout dommage à la microfinance aura une incidence sur l’ensemble du secteur. Les directives pour surmonter les problématiques sont les suivantes : une meilleure gouvernance des IMF (Institutions de Microfinance), plus de transparence, la mise en œuvre de la réglementation locale, des centrales de risques, la protection des clients, l’augmentation des mesures de la performance sociale, la diversification vers de nouveaux produits sur-mesure (assurance, dépôts, épargne, services bancaires mobiles, etc.), et l’équité entre les différents partenaires (coopératives, petites entreprises, etc.). Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Plus de responsabilité et plus d’impact : enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance 127. Synthèse Selon Advans la microfinance est un élément important de la stratégie globale de développement tel qu’elle est perçue par les donateurs et les institutions financières de développement. Si initialement les initiatives étaient gouvernementales, la microfinance fait à présent partie du système de développement. En d’autres termes, elle est privée mais avec un engagement social. Récemment, des comportements irresponsables sont apparus: • Quelques IMF ont connu une croissance importante ces dernières années; le nombre de filiales a augmenté, le marché ayant la réputation d’être infini. Si la taille d’une IMF augmente, elle est plus respectée et attire plus d’argent. Chaque pays qui a fait face à une crise fut considéré à un moment donné comme très fructueux avant la crise. Les exemples incluent le Bénin dans les années 90, la Bosnie et le Maroc plus récemment, et l’Inde actuellement. • Repenser les systèmes financiers plutôt qu’utiliser ceux existants dans les pays du Nord qui sont adaptés aux besoins de la population, est essentiel. Par exemple le mobile banking : les téléphones sont plus facilement accessibles que les filiales des banques dans certaines zones, en particulier des zones sans transports publics. Pour Triodos Investment Management, les questions sont: • Consolider, réduire l’activité, et diversifier les produits dans certains pays lorsque cela est faisable. Parfois, lorsque l’assurance existe, la centrale de risque est ignorée par les IMF. • Pour limiter le surendettement, un document intitulé “Les Principes pour la Protection des Clients” a été signé par 40 autres organisations. • Regarder le droit de vote au sein des IMF. • Accepter la participation minoritaire dans certains cas. • Les incitations managériales : incitation à croître, perte de contrôle, moins de formation des agents locaux. • Concernant les mesures de notations des IMF, qu’est ce qui peut être fait au niveau des mauvaises notations ? • Les questions de gouvernance : quelques Conseils d’Administration n’exercent pas le niveau approprié de supervision du management ; la gouvernance requière des compétences, de l’argent et du temps. • La microfinance perdant sa vertu, cela provoque une diminution de l’intérêt des grands investisseurs. Par ailleurs, certains investisseurs pourraient choisir d’investir dans des projets de long terme (comme des fonds de pension) et donc quitter complètement les IMF. • La responsabilité des actionnaires : certains ont des perspectives d’investissement trop courtes (4 à 5 ans) alors que la microfinance a besoin de temps et d’investissements avec un engagement à long terme. • Certains établissements ont désormais des pratiques commerciales trop agressives, impropres à l’activité de crédit : elles ciblent les bons clients des concurrents et leur offrent le double du montant emprunté chez le concurrent, sans aucune analyse rigoureuse de la capacité du client à rembourser, mais en garantissant à plusieurs reprises la valeur de l’emprunt (terre ou maison de titre). Cela conduit, ou cela conduira, au surendettement et à une crise systémique comme dans les pays mentionnés précédemment. Pour Blue Orchard, le risque de crédit, la réputation, l’ingérence politique et la gouvernance sont les quatre questions principales. Pour Oikocredit, compte-tenu de sa base d’investisseurs (43 000 investisseurs), le risque de réputation est peut être l’aspect le plus important de tous car n’importe quel dommage de la microfinance l’affectera, décourageant l’intérêt des investisseurs. • Oikocredit a mesuré et surveillé la performance sociale des projets de ces partenaires pendant plusieurs années. • Oikocredit a été un des premiers fonds international spécialisé en microfinance (MIV) à signer “les Principes pour la Protection des Clients” qui ont été progressivement intégrés dans leurs critères de financement et de contrats avec les IMF. • L’attention sur les clients surendettés et sur d’autres critères sociaux associés à des critères financiers sont inclus dans la sélection des partenaires. • Le risque de crédit est important pour n’importe quelle banque. Quand un client ne peut rembourser ni le crédit ni les intérêts du crédit cela devient un problème pour le client, pour la croissance du pays, pour les IMF et le secteur de la microfinance. Le problème d’une dette excessive n’est pas spécifique à la microfinance : la dernière crise financière était principalement une crise de la dette. • La qualité des investissements est supérieure et l’impact social est plus grand. • Une entreprise privée doit créer des centrales de risques afin d’améliorer la transparence, collecter des informations au niveau des clients (historique de crédit, revenus, dette), mettre en place des outils d’évaluation disponibles à tous, faire un suivi des activités des concurrents et éduquer ses clients. L’un des objectifs stratégiques pour Oikocredit est de développer les investissements directs dans des secteurs non financiers en conformité avec les activités actuelles de la microfinance. En agriculture, ils ont été des leaders dans 10 pays pour apprendre la finance directe. Comment les coopératives peuvent-elles avoir un impact direct sur la famille ? La priorité est mise sur les projets d’énergie respectueuse de l’environnement et les projets de commerce équitable. Ils seront plus présents en Afrique. • La microfinance ne concerne pas uniquement l’accès à la finance mais aussi l’amélioration de la qualité de vie. 128. Convergences 2015 • Il y a plus d’attention donnée à l’autonomisation et aux pauvres. Dans cette seconde partie les opportunités pouvant apporter une valeur sociale seront examinées. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Triodos Investment Management diversifie ses activités d’assurance et de petite entreprise avec la création d’emploi dans les domaines tels que l’économie d’énergie, la biomasse, les systèmes solaires, le biologique et le commerce équitable. Blue Orchard avec son affiliation à Bamboo, développe un business model qui fonctionne en dehors des services financiers en générant de l’énergie provenant de la poussière de riz et des déchets de l’agriculture. Advans a été crée en 2005 avec 6 institutions financières de développement. Leur objectif est d’établir un réseau de banques de microfinance basé sur le même modèle où Advans est le principal actionnaire. Advans tente d’être un leader et d’établir de nouveaux standards dans les pays où il investit. Depuis le début, les institutions Advans ont fourni des crédits, collecté les dépôts et offert de simples services de paiement ciblant les micro-entreprises. Après un an, plus de PME sont servies et plus de services de paiement sont offerts (tels que chèques, cartes bancaires et mobiles). Les institutions Advans ont commencé dans les villes et se sont progressivement déplacées vers les régions rurales lorsqu’elles ont atteint l’équilibre financier. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Plus de responsabilité et plus d’impact : enseignements et nouveaux principes de l’investissement en microfinance 129. Questions • La mesure de la performance sociale est plus facile avec de grandes IMF qui ont plus de ressources (principalement en termes de nombre d’employés) . • Les services financiers doivent être fournis de manière durable. C’est dans ce domaine là que plusieurs projets publics ont échoués dans le passé. Il y a un besoin de réglementation, particulièrement lors des mouvements de dépôts. Alors que certaines organisations pourraient perdre de vue leurs objectifs sociaux initiaux et se concentrer sur les bénéfices, d’autres se recentrent sur les performances sociales où des petits profits sont nécessaires pour qu’elles trouvent un équilibre sur le long terme. 130. Convergences 2015 • Capital : les organisations de tous les participants ont un peu de fonds propre, mais ce n’est pas la majeure partie de leur portefeuille (8% pour Oikocredit). Ils prennent plus de temps pour décider (18 à 24 mois), ont besoin d’un conseil de décision et de plus d’investissement à long terme (7 à 8 ans) ainsi que d’une organisation plus stable pour aider à améliorer la gouvernance. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Marc-Henri Stroh, Oikocredit SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres: faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité Table-ronde // Microfinance et coopération internationale Modérateur Saïd Bourjij Directeur Général, Epargne Sans Frontières Intervenants Adama Ba Directrice d’exploitation, UM PAMECAS-ADAGRET Obed Makori Directeur Général, Irnet Coop Kenya Jean Pouit Directeur Général, My Transfer Pape Sene President, CGMD Résumé analytique Durant de longues années, les transferts d’argent entre personnes ont été quasi exclusivement gérés par des sociétés spécialisées. Ce monopole a permis à ces sociétés de maintenir un prix prohibitif pour leurs services. L’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché, au premier rang desquels figurent les IMF et les opérateurs de téléphonie mobile, laisse entrevoir une potentielle baisse des coûts pour leurs utilisateurs, alors que ce marché représente près de 300 milliards de dollars annuels. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Cependant, force est de constater que pour l’instant, et malgré la fin des licences d’exclusivité qui lie souvent les IMF aux sociétés spécialisées dans les transferts d’argents, les prix de ces services demeurent stables. En parallèle de ce phénomène, il se développe des initiatives locales et internationales ayant pour objectif d’améliorer les services associés aux transferts d’argent, par la mise en place de partenariats, de produits innovants, de plateformes internet, etc. en attendant que des avancées technologiques et/ou de nouvelles stratégies des acteurs de ce marché ne permettent de réduire significativement les coûts des transferts d’argents. Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres : faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité 131. SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse Durant de longues années, les transferts d’argent entre personnes ont été quasi exclusivement gérés par des sociétés spécialisées nous dit Saïd Bourjij (Epargne sans frontières). Ce monopole a permis à ces sociétés de maintenir un prix prohibitif pour leurs services. Les deux principaux objectifs sont donc aujourd’hui : • de diminuer les coûts associés aux services de transferts, • de transformer ces transferts en épargne locale dans les pays vers lesquels les transferts sont effectués, voire en épargne disponible pour l’investissement local. Il faudrait passer du « cash à cash », au « cash à comptes », voire au « cash à investissement », afin d’avoir un impact positif sur la bancarisation des populations, voire sur la réduction de la pauvreté. Depuis quelques années, de nouveaux acteurs apparaissent sur ce marché, dont les Institutions de microfinance (IMF). Les IMF ont été longtemps, et sont très souvent encore, cantonnées au rôle de sousagent pour les sociétés spécialisées ou les institutions financières. Elles doivent encore signer généralement des clauses d’exclusivité avec les sociétés de transferts, ne permettant pas de faire jouer la concurrence et de diminuer les coûts. Les opérateurs de téléphonie mobile commencent également à devenir actifs sur le marché des transferts. L’impact des nouvelles technologies et la suppression progressive des clauses d’exclusivité représentent un espoir important pour diminuer effectivement les coûts associés aux transferts d’argent. Jean Pouit de My Transfer pointe quelques chiffres et fait quelques remarques : • Le montant des transferts d’argents entre personnes des pays du Nord vers les pays du Sud est de 300 milliards de dollars dont 43 milliards de dollars vers l’Afrique essentiellement pour des dépenses d’urgence (alimentation, éducation, santé). • Les migrants africains en Europe ont une épargne représentant un montant total de 28 milliards de dollars, qui pourrait être partiellement utilisée pour financer des investissements dans leurs pays d’origine via des diasporas bonds, comme cela a déjà été fait par exemple au Ghana ou en Ethiopie. • 65% des points de service en Afrique sont détenus par MoneyGram et Western Union. • Les IMF ont des réseaux bien plus importants et étendus que les sociétés de transferts, notamment dans les zones rurales. Leur collaboration avec les sociétés de transferts représente donc un enjeu important pour le développement de ces services. Voici la liste de quelques sites internet de comparaison des prix des services de transferts : • www.remittanceprices.worldbank.org • www.envoidargent.fr • www.sendmoneyhome.org 132. Convergences 2015 Obed Makori présente la coopération entre Woccu et Irnet . Woccu est le premier réseau mondial de coopératives de crédit et d’épargne au monde. Il permet à ses IMF partenaires d’accéder à une plateforme internationale (Irnet) de transferts d’argent pour laquelle les sociétés de transferts les plus compétitives ont été préalablement choisies. L’objectif de Woccu est de réduire les coûts associés aux transferts en proposant aux sociétés de transferts d’accéder à un réseau comptant un nombre très important de membres. Woccu propose de plus à ses IMF membres des services d’assistance technique afin de mettre en place les transferts d’argent. Ce système permet aux personnes bénéficiant des transferts de domicilier directement les transferts dans leurs comptes épargne sans avoir à payer de commissions supplémentaires ou à se déplacer avec de l’argent. Dans la majorité des pays avec lesquels travaille Woccu, ses membres lui permettent d’avoir une couverture dans les zones rurales et de très nombreux points de service comparativement aux sociétés classiques de transferts d’argent. Au Guatemala par exemple, les transactions atteignent un nombre de 50 000 par mois. Adama Ba présente les produits d’épargne innovants de PAMECAS. PAMECAS déploie ses activités à travers un réseau de 77 agences sur le territoire sénégalais. L’IMF travaille avec 3 sociétés de transferts différentes et a développé des produits de transferts innovants en partenariat avec la CIF (Confédération des Institutions Financières) et le GRET (ONG française). Un des premiers aspects de ce programme a été de développer des partenariats en Europe avec des sociétés de transferts afin de permettre aux migrants d’ouvrir un compte chez PAMECAS depuis l’étranger, sans avoir à se déplacer au Sénégal. Les produits sont : • L’ épargne familiale : la famille du migrant peut récupérer mensuellement les transferts d’argents. Lorsque le transfert n’a pas été effectué, la famille peut bénéficier du montant habituel (découvert autorisé pour le migrant). • L’ épargne projet : chaque migrant peut réaliser un projet au Sénégal, et bénéficier d’une aide financière, ainsi que de conseils en entreprise de la part de PAMECAS. • L’épargne logement : les migrants qui souhaitent construire une maison au Sénégal peuvent profiter des conseils et du suivi du chantier par PAMECAS. 800 migrants ont déjà adhéré au programme en Italie, ce qui représente un volume d’épargne de XOF 300mln. Un bureau devrait prochainement ouvrir pour les migrants résidant en Espagne. Pape Sene nous parle des factures des familles et des proches payées directement par les migrants depuis la Belgique. L’ objectif de l’ONG CAAD Belgique fondée par Pape Sene est de permettre aux migrants sénégalais en Belgique de Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE payer par téléphone mobile les factures d’eau, d’électricité, de téléphonie, de loyer ou tout autre paiement sur un compte bancaire de leurs familles et proches restés au Sénégal. Chaque adhérant reçoit gratuitement un téléphone portable dont l’utilisation est limitée aux transactions financières effectuées dans le cadre du projet. Chaque téléphone portable est doté d’un abonnement et d’un crédit mensuel qui permet de réaliser jusqu’à huit transferts dans le mois, sans frais de communication. Le système de transfert est constitué d’une plateforme informatique reliée à des téléphones portables, à une banque belge et à une banque Sénégalaise. L’ensemble fonctionne de façon autonome et exclusivement pour les activités du projet. Cette plateforme permet de réduire les coûts associés aux transferts pour le migrant. De plus, un quart de la commission revient indirectement au migrant via un fonds de garantie localisé au Sénégal et géré par une ONG. Ce fonds de garantie a pour but d’aider les migrants souhaitant développer des activités économiques dans leur pays d’origine. Enfin, un partenariat avec une mutuelle de santé sénégalaise a été noué afin de faciliter la prise en charge des familles et proches de migrants. afin de mutualiser via une plateforme internet les montants des transferts et d’en réduire ainsi leurs coûts. La plateforme internet devrait également donner à ses utilisateurs la possibilité de gérer un compte dans leur pays de départ, et d’obtenir des informations afin de les aider à gérer leur argent et à développer des projets. Malgré l’arrivée de nouveaux acteurs les coûts associés aux services de transfert d’argent n’ont pas encore diminué. Cependant, si les banques centrales ne réagissent pas à cette problématique, nous pouvons raisonnablement imaginer que les opérateurs de téléphonie mobile, qui ont acheté des licences d’activité à des prix exorbitants, décident de créer ou de racheter des banques locales afin de développer le marché des transferts d’argents à moindre coût. Si cette éventualité revêt un caractère positif concernant le prix de ces services, elle ne donne en revanche aucune assurance sur l’utilisation de ces transferts, sur le passage du « cash à cash » à du « cash à compte », voire à du « cash à investissement ». Rapporteur officiel: Julien Sciau, Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation Jean Pouit développe actuellement un projet appelé « INAFI Remittances », en partenariat avec le réseau d’IMF africaines INAFI, l’Union Européenne et Oxfam. Ce projet a pour objectif de relier 10 associations de migrants de 10 pays européens et 10 IMF africaines, Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Améliorer les services financiers pour les communautés pauvres : faciliter les transferts des fonds des migrants et accroître leur efficacité 133. Microfinance et coopération décentralisée Atelier // Microfinance et coopération internationale Intervenants Bertrand Gallet Directeur Général, Cités Unies France Constance Koukoui Chef de Projets, Cités Unies France Michaël Knaute Directeur Général, OXUS Development Network Ingrid Metton Chef de Projet, ACTED Résumé analytique L’engagement des collectivités territoriales françaises en microfinance, même s’il reste limité (2,3 millions d’euros investis sur les 10 dernières années) est en augmentation et traduit une volonté croissante des collectivités de s’impliquer sur des projets de développement économique générateurs d’emplois. 134. Convergences 2015 Pour les collectivités souhaitant s’engager, des actions pourraient être entreprises pour améliorer la qualité encore faible des projets, comme un soutien au montage et au suivi de projet, à la compréhension du cadre juridique et à l’identification de partenaires fiables. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Une étude inédite sur l’action des collectivités françaises en microfinance à travers la coopération décentralisée a été lancée conjointement par Convergences 2015, ACTED et Cités Unies France en juin 2010. Cet atelier vise à restituer et discuter les conclusions principales de cette étude. la moitié du montant total du projet présenté. La coopération décentralisée est « l’ensemble des initiatives et actions de coopération internationale menées par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises (régions, départements, communes et leurs groupements), d’une part, et, d’autre part, une ou plusieurs autorités territoriales étrangères et/ou leurs groupements ». Les collectivités françaises peuvent adopter plusieurs modalités d’action : 37 collectivités françaises (5 régions, 5 départements et 27 communes) et 45 projets ont été étudiés par l’enquête. La majorité des projets étudiés se trouvent en Afrique de l’Ouest (91 % des projets), tout particulièrement dans la zone sahélienne (69 %), avec une prédominance du Burkina Faso qui représente 38 % des projets de l’échantillon représentatif. Entre 2000 et 2010, les collectivités territoriales françaises concernées par l’enquête ont investi 2 327 675 euros dans les activités de microfinance menées dans le cadre de la coopération décentralisée, avec une prévision d’engagement de 406 730 euros pour 2011. On observe une augmentation des financements depuis 2007. Les régions étant les collectivités territoriales disposant de la plus grande capacité financière, elles sont sans surprise les plus gros financeurs de projets microfinance, pour une moyenne de 360 000 euros. Hormis exceptions, le montant moyen des projets départementaux et communaux est plus faible et s’élève rarement au dessus de 50 000 euros. Il arrive que l’autorité locale étrangère partenaire ou des institutions spécialisées cofinancent le projet, mais dans la majorité des cas la collectivité française est le principal financeur. Enfin, le Ministre des Affaires Etrangères et Européenne abonde souvent l’engagement de la collectivité à travers des subventions, représentant entre un tiers et Les secteurs d’intervention des collectivités territoriales menant des projets microfinance peuvent se regrouper en deux catégories : le soutien au secteur économique du territoire et le soutien au domaine non économique (projets de femmes, agriculture, eau et assainissement…). • abonder des fonds destinés à subventionner des prêts auprès de la population identifiée via des IMF existantes ou la création de nouvelles IMF sur le territoire d’intervention ; • financer des microcrédits par l’intermédiaire de l’autorité locale partenaire, d’une association ou bien d’un groupement local (la structure intermédiaire ne sera pas une structure spécialisée) ; • soutenir le secteur de la microfinance de la zone d’action par le financement d’activités diverses comme la formation professionnelle ou l’achat de locaux ou de matériel ; • financer des fonds de garantie pour des crédits ou l’octroi de subventions pour la diminution des coûts de la clientèle (ex : frais d’adhésion à une caisse d’épargne et de crédit). L’autorité locale partenaire participe toujours à l’élaboration du plan d’action. Dans certaines situations, elle peut être impliquée dans la mise en œuvre et le déroulement du projet. Les associations françaises du territoire de la collectivité territoriale sont parfois partenaires. Les associations locales sous la forme de comités de jumelage ou d’associations en charge du partenariat sont fréquemment impliquées (deux tiers des cas). Enfin, le recours aux IMF et partenaires techniques spécialisés en microfinance est également fréquent (60% des cas). Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Microfinance et coopération décentralisée 135. Pour les collectivités, le microcrédit est attractif car les fonds remboursés pourront être réinjectés évitant tout nouvel engagement financier de la collectivité française. La microfinance s’inscrit également dans une nouvelle conception de la coopération décentralisée où l’économie est perçue comme outil d’appui des projets de développement, mais aussi comme élément clé d’un développement global et durable de populations défavorisées, notamment en matière de création d’emplois. de microfinance a également été noté, ce qui rend nécessaire la mise en place de formations à l’attention des services en charge de la coopération décentralisée intéressés par le secteur de la microfinance. La recherche de partenaires constitue la principale difficulté rencontrée par les collectivités. Le rapport recommande donc de mettre en place une aide à l’identification et à la mise en relation avec les acteurs pertinents. On observe aussi un manque de connaissance du contexte d’intervention et des difficultés de suivi des projets. Plusieurs solutions sont suggérées : soutien à la réalisation d’expertises préalables et amélioration de l’accompagnement, du suivi et du contrôle des projets financés par la mise en place d’une structure de suivi qui pourrait être basée en France ou dans les pays partenaires ; développement des partenariats avec des structures intermédiaires compétentes qui pourraient avoir la charge de ces questions de suivi. L’opacité de la réglementation au Nord et au Sud, et notamment la règlementation relative aux transactions financières, est une autre difficulté centrale pour les collectivités territoriales françaises agissant à l’international. Le rapport appelle à l’élaboration de recommandations juridiques sur la législation française et les législations étrangères des pays d’intervention des collectivités territoriales et l’information des collectivités quant aux limites juridiques de leurs investissements en vertu du droit français et du droit des pays partenaires. Enfin, on a parfois relevé un manque de connaissances et de compétences du partenaire au Sud. Il apparaît donc nécessaire de mettre en place un appui à l’identification de partenaires fiables et compétents et déjà potentiellement formés.Le rapport souligne la possibilité pour les collectivités territoriales d’investir spécifiquement sur des actions de formation plutôt que des actions de crédit ou à minima d’intégrer dans tous les projets un volet formation. Un manque criant de connaissance des acteurs concernés en matière 136. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Deux critiques principales ont été formulées : d’une part, leur caractère généraliste et non spécifique au domaine de la microfinance ; d’autre part, leur caractère uniquement technique alors que des orientations politiques relatives aux objectifs que devraient viser ce type de projets pourraient être formulées. En effet, la microfinance n’est pas un outil économique neutre : quelles sont les implications d’un engagement dans ce type de projets ? Quel rôle pour les collectivités territoriales engagées à l’international souhaitant utiliser l’outil microfinance ? De plus, pour pallier la méconnaissance par les collectivités du secteur de la microfinance et le manque de connaissances du partenaire du Sud dans ce domaine, il serait judicieux que soit créée une offre de formation répondant à ce besoin. De ces interrogations s’est dégagé un accord quant à l’apport de la coopération décentralisée au secteur de la microfinance et les modalités d’action des collectivités françaises. Il serait préférable qu’elles se concentrent sur des services qualitatifs et non uniquement quantitatifs. Le financement des projets des populations précaires par la microfinance nécessite un accompagnement des dits projets, la pratique de taux d’intérêt les plus bas possibles, ainsi qu’une autonomisation des structures de microfinance locales. Or les collectivités territoriales engagées à l’international peuvent avoir une valeur ajoutée certaine pour améliorer ces aspects des projets microfinance. En outre, l’identification de partenaires techniques et financiers, au Nord et au Sud, étant l’une des principales difficultés identifiées dans le cadre de l’étude, la facilitation des possibilités de partenariats avec les institutions professionnelles en place, qui pourraient notamment être la source d’une plus grande sécurité pour les lignes de crédit, a été mise en exergue. L’ étude révèle que le taux de recouvrement moyen est inférieur au niveau moyen du secteur de la microfinance. Ce constat s’explique par un double manque de capacités, à la fois des bénéficiaires des microcrédits (capacités financières et techniques) et des responsables de la mise en œuvre des projets de microcrédits (évaluation des situations des bénéficiaires et suivi des projets financés). L’initiative de la région Ile-de-France menée dans le cadre de sa coopération avec la région Métropolitaine de Santiago (Chili) éclaire lesdites difficultés. Sur les trois ONG de terrain opérateurs du projet, deux ont eu un taux de recouvrement avoisinant les 97%, du fait de leur connaissance du secteur de la microfinance et des relations étroites avec les bénéficiaires, qu’elles ont pu informer de toutes les dimensions du financement de projet par la microfinance. La troisième, qui n’avait pas de connaissance réelle du secteur de la microfinance, a connu un échec de sa politique de remboursement. Il est incontestable que la microfinance a un certain coût et pose des difficultés pratiques dans le suivi des dossiers. L’ AFD a fait savoir son engagement dans ce secteur avec un investissement de 100 000 euros en 2009. Pour autant, elle a également rappelé que l’implication des collectivités dans cette pratique devrait être envisagée comme un partenariat dans lequel ces entités pourraient se concentrer sur leurs domaines de prédilection (notamment la gouvernance locale). Un consensus s’est dégagé quant à la nécessité de sensibiliser les collectivités sur les modalités de leurs actions en matière de microfinance. Néanmoins, il faudrait définir au préalable le rôle préférable à assigner aux collectivités dans ces projets : constitution d’IMF ? appui à la mise en réseau ? expertises ? L’importance de l’implication de la société civile ainsi que des retours sur le territoire de la collectivité française sont des éléments fondamentaux des actions des collectivités territoriales. Le rôle des associations au Sud, notamment des associations de femmes, est primordial et il devrait être précisé. De plus, l’action des collectivités françaises à l’international appelle légitimement à un certain retour positif sur leur territoire, ne serait-ce que pour justifier leur action à l’international auprès de leur population. En ce sens, l’initiative de la région Picardie au Bénin, en partenariat avec la société SENS, opérateur du projet, visant à un co-développement de l’entrepreneuriat social a été mis en exergue, de même que l’association Xetic.org, plateforme Internet de prêteurs solidaires français à destination de micro-entrepreneurs de pays en développement travaillant en collaboration avec les collectivités territoriales rhônalpines, qui vise notamment à décloisonner l’action internationale des collectivités, à la faire connaître du grand public et à l’y impliquer. Enfin, la question du rôle des diasporas et de la prise en compte de leur activité financière a été évoquée, sans pour autant avoir donné lieu à un consensus. Rapporteur officiel : Michaël Knaute, OXUS Il est cependant craint que la crise actuelle du secteur de la microfinance ne conduise les collectivités territoriales à se recentrer sur les activités traditionnelles de la coopération décentralisée et à abandonner leur action en matière de microfinance. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Microfinance et coopération décentralisée 135. SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 Troisième partie Améliorer l’impact + d’efficacité +d’impact + d’investissement Impact collaboratif : comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social ? Table-ronde // Coopération internationale Modérateur Alexandre De Carvalho Network Partner, Hystra Consulting Intervenants Serge Allou Chargé de Programme DAT (Développement institutionnel, Acteurs, Territoires), GRET Jake Benford Responsable de projet, Fondation Bertelsmann Ziggy Garewal Directrice pays, ACTED Afghanistan Jennifer Vasquez Directrice Senior, SEEP Résumé analytique Le thème de l’impact collectif s’inscrit dans le prolongement de l’initiative de FSG, un cabinet de conseil international spécialiste de l’innovation sociale. Le FSG affirme que l’impact social peut être maximisé si l’on travaille avec un groupe d’organisations. Les efforts collectifs devraient avoir plus d’impact que les efforts individuels. Par rapport à « l’impact isolé », « l’impact collectif » s’attache à appréhender les problèmes sociaux dans un cadre plus large et à développer des solutions découlant de l’interaction de plusieurs organisations. Le progrès social dépend alors de la volonté des différents acteurs de travailler vers les mêmes objectifs, au-delà de leurs divergences de points de vue, et d’apprendre de leur collaboration. Cependant, la création d’une approche partagée par les acteurs est un processus beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Impact collaboratif : comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social? 139. Synthèse Avoir un agenda commun peut être une façon de maximiser l’impact social. Alexandre De Carvalho introduit le sujet en disant que lorsque beaucoup de participants travaillent ensemble, ils tendent à partager la même vision, avec une compréhension commune du problème. L’impact social peut ainsi être optimisé. Il demande alors aux intervenants comment une approche commune peut contribuer à résoudre des problèmes sociaux. Ziggy Garewal explique qu’avoir un agenda commun est une question clé. En Afghanistan, il y a de multiples intervenants: les bénéficiaires, les Organisations Non-Gouvernementale (ONG) locales/ nationales/internationales, l’Organisation des Nations Unies (ONU), le gouvernement de l’Afghanistan aux niveaux national, régional et local, les gouvernements étrangers, les organismes de développement international, les acteurs militaires, les acteurs du secteur privé, etc. La diversité des intervenants (qui peuvent avoir des motivations différentes) peut souvent être un facteur de rupture. Quand une ONG s’assoit à la même table qu’un acteur militaire, avoir un agenda commun est essentiel pour éviter les malentendus. Les acteurs peuvent rater beaucoup d’opportunités simplement à cause de leur manque de confiance envers les partenaires ou à cause d’une mauvaise compréhension des raisons du partenariat. Il faut avoir conscience qu’une organisation ne peut pas exercer toutes les fonctions et ne peut pas obtenir tous les résultats seule. Ziggy Garewal passe 80% de son temps à construire une approche collaborative au niveau du réseau et à mettre en place des bases communes avec les autres intervenants. L’aspect clé pour construire un agenda commun est de s’assurer que chaque joueur peut participer de manière égale à la discussion. Construire un agenda commun est absolument essentiel et doit être une étape initiale importante dans n’importe quel programme. Jennifer Vasquez explique la mission de SEEP qui est de connecter les praticiens des micro-entreprises dans une communauté globale d’apprentissage. SEEP réunit l’expérience des praticiens dans un espace exclusif, neutre, de partage et de développement des connaissances, et diffuse largement ces connaissances afin de faire avancer le développement de l’industrie des micro-entreprises. Les membres de SEEP sont des leaders du secteur. Plus de 80% des membres sont des associations de microfinance du monde entier qui supportent et fournissent des formations, des services et des renforcements institutionnels aux Institutions de Microfinance (IMF) qui opèrent sur le terrain. SEEP échange avec ses membres et établit des alliances stratégiques avec d’autres intervenants clé. Voici deux exemples: • Youth Financial Services PLP – Bring together a Private Actor – MasterCard and For-Profit Organizations – Making Cents on Youth Financial • Le programme Citi Network Strengthening – Le projet collaboratif avec Citi, SEEP et ses membres associés. SEEP est bien positionné pour acquérir une meilleure compréhension 140. Convergences 2015 des dynamiques de la construction des relations et des connexions entre acteurs. Il détermine quels acteurs ont un agenda commun et quelles ressources ils peuvent utiliser pour maximiser l’impact social. Jennifer Vasquez est convaincue que les acteurs doivent travailler ensemble pour atteindre des résultats plus rapidement et éviter la duplication des efforts. SEEP souligne l’importance du travail collaboratif, du fait de partager des objectifs et un agenda avec ses partenaires, ainsi que de l’identification des meilleures pratiques. Il est critique d’identifier les rôles et les responsabilités de chacun et de déterminer une feuille de route pour une stratégie efficace afin d’éviter des dérives dans la mission. Il est important de comprendre que chaque acteur a sa propre mission et qu’un des plus grands défis est de construire un agenda commun et de faire travailler les acteurs ensemble. Des synergies doivent être créées entre les différents acteurs et la collaboration doit être mutuellement bénéfique pour qu’elle soit réussie. Serge Allou ajoute que, en tant qu’acteur extérieur, il est parfois difficile pour le GRET de réunir tout le monde autour d’une table. Dans ce sens, le cas du GRET en Mauritanie est très intéressant. En effet, un acteur – le Commissariat de la lutte contre la pauvreté– ne voulait pas parler avec le Ministère du logement. Il était donc impossible de les forcer à collaborer. Le Commissariat voulait se concentrer sur combattre la pauvreté, alors que, dans l’agenda du GRET, il n’est pas seulement question de lutte contre la pauvreté, mais aussi de consolidation des acteurs sociaux et des politiques publiques (en matière de logement). Pour Ziggy Garewal, réunir les acteurs autour d’une table est difficile car il y a beaucoup de méfiance. Cependant, l’Afghanistan est un environnement d’opération très complexe où travailler seul est très dangereux. Les voies de communication doivent rester ouvertes à toutes les parties investies afin d’être sûr qu’aucun acteur ne soit isolé. Dans le contexte afghan, les acteurs commencent à se comprendre les uns les autres et à travailler ensemble. Des données collectives aident à mesurer les efforts entrepris et les progrès d’un projet commun. Alexandre De Carvalho introduit l’idée que les “données collectives” et la “mesure des résultats” permettent à tous les participants de s’assurer que l’effort reste en cohérence avec les objectifs. Jake Benford évoque le processus d’apprentissage que la Fondation Bertelsmann (FB) a traversé quand elle a commencé à faire des recherches sur le champ de l’action collaborative et des mesures de l’impact. L’ objectif des mesures d’impact est d’améliorer l’impact social des activités et d’être en capacité de convaincre d’autres acteurs afin d’obtenir plus de financement. Aussi bien au Royaume-Uni qu’en Allemagne, il y a peu de connaissances et peu d’outils disponibles pour les organisations qui voudraient utiliser de telles mesures d’analyse. Si une mesure d’impact donnée doit être appliquée, les données doivent être insérées dans un système de données ; mais ces données doivent être recueillies sur le terrain, sinon Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements même la meilleure méthodologie ne produira aucun résultat. Il est clair que les acteurs doivent augmenter leurs échanges et travailler ensemble. C’est pour cela que le réseau de membres de la FB a été mis en place. Il a été établi comme une communauté de praticiens. Ce réseau permet aux associations à but non lucratif d’envoyer leur propre agenda et de décider de ce qui doit être fait. La FB n’a pas une unique méthodologie correcte. La méthodologie devrait être développée en fonction de chaque contexte local. L’objectif de ce réseau est de réellement proposer une plateforme où les acteurs du secteur peuvent partager des analyses nationales ou internationales et développer le champ de l’impact social. Par ailleurs, Jake Benford dit que certains impacts sont très difficiles à mesurer sur le terrain (par exemple la mesure des compétences chez les adolescents). Les acteurs doivent au moins être d’accord sur ce que pourrait être un bon indicateur pour un secteur donné, pour que les informations puissent commencer à être rassemblées et pour que le système de mesure puisse être complété. L’ évaluation est un projet à long terme, qui dépend des indicateurs, du secteur, et de ce qui a besoin d’être mesuré. Cela peut prendre 10 ans de mesurer certains impacts (le champ de l’éducation : l’impact des compétences enseignées par les professeurs aux adolescents, l’accès aux marchés du travail des étudiants, etc.). Les indicateurs doivent être valides, fiables, pratiques, et réalistes d’un point de vue politique. Dès que les mesures commencent à utiliser des indicateurs, cela a des impacts sur les résultats. Ziggy Garewal ajoute qu’une des questions clés est de distinguer les résultats et l’impact. La question de la « mesure commune » est liée à l’idée d’un agenda commun avec la nécessité de définir des objectifs, des paramètres et des indicateurs pour l’action. En Afghanistan, ACTED a essayé de parvenir à une meilleure gouvernance et une meilleure stabilité, mais comment est-il possible de les mesurer ? Lorsque beaucoup d’ONG construisent un programme national massif, cela peut prendre 5 à 6 ans pour mettre en place les indicateurs basiques de résultats (les indicateurs ne peuvent pas uniquement être définis, ils doivent aussi être mesurés). C’est un processus long mais nécessaire, car les acteurs ne sont pas habitués à pratiquer une telle méthodologie. Pour Jennifer Vasquez, la structure SEEP permet une meilleure collaboration entre le secteur public et le secteur privé à travers un modèle de “ Communauté de Pratique ” (COP). Elle permet d’accroître l’engagement et l’apprentissage des membres autour d’objectifs communs. Par exemple : Trois communauté de pratique sont organisées autour de ces thèmes : le croisement des domaines d’intérêt, la planification, la production, le polissage, la diffusion et, enfin, les mesures et l’évaluation de l’impact social. Jennifer Vasquez pense que la communication est un défi important et Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Impact collaboratif : comment stimuler la collaboration entre les différents acteurs pour optimiser l’impact social? 141. que pour les réseaux mondiaux comme SEEP, il y a beaucoup de barrières telles que la langue. SEEP tient compte du contexte local des initiatives de collaboration et crée une stratégie de communication pour synthétiser le savoir, les mises à jour et les meilleures pratiques de manière à ce que les travailleurs de terrain puissent les comprendre et les appliquer. SEEP a développé une stratégie de communication cohérente avec beaucoup d’apports des membres et a commencé à appliquer les meilleures façons de diffuser l’information pour assurer la meilleure visibilité des programmes. Dans le cadre de la collaboration avec la Citi et les associations de microfinance, SEEP a créé un ensemble d’outils, incluant des notes techniques, des kits d’outils et des guides. Ces outils ont été créés spécialement pour les associations. La stratégie doit essentiellement s’assurer qu’il y ait un point de contact entre chaque acteur impliqué et qu’il soit ensuite possible de diffuser ce message à ceux impliqués dans le projet. SEEP a un réseau de membres dynamiques, avec les associations de microfinance (intéressées par les mesures et les chiffres) et les entreprises (s’attachant plus à la performance sociale des activités). SEEP s’arrange pour que ces deux types d’acteurs puissent se comprendre. Serge Allou précise que lorsqu’il y a une série d’acteurs autour de la table, ils n’ont pas tous la parole. Lorsqu’il y a des conflits de pouvoir entre les acteurs, la discussion n’est pas clairement établie. Ainsi pour aider les gens à construire un agenda commun et prendre part au processus de communication et de négociation, il faut que les personnes présentes soient en mesure de discuter. Ce n’est pas toujours le cas et des intermédiaires sont nécessaires pour faciliter la discussion. Serge Allou rajoute que le GRET en tant qu’ONG de développement, essaie autant que possible de construire des relations entre les acteurs sociaux et la sphère publique. Il est essentiel de considérer l’Etat comme un acteur majeur du développement. positives. Il est important d’avoir une organisation solide avec un personnel qui surveille en permanence l’avancée des efforts entrepris en partenariat avec d’autres organisations et mesure les résultats obtenus. Pour Ziggy Garewal, avoir une organisation forte est essentiel : la mise en réseau, la collaboration, etc., ne sont pas des activités spontanées. Elles requièrent beaucoup de personnes travaillant dur et soutenant le processus. Concernant la construction de la stratégie de communication, il est nécessaire d’avoir une structure, des forums de discussions et des réunions qui permettent à des voix différentes d’avoir un rôle dans le processus, en parallèle des retours des collègues et de la circulation de l’information. En Afghanistan, il y a environ 500 ONG enregistrées. Il y a une agence appellée Agency Coordinating Body for Afghan Relief (ACBAR) qui représente 120 ONG. Elle a été créée pour servir et faciliter le travail des ONG membres afin de répondre efficacement aux besoins humanitaires et de développement des Afghans. ACBAR joue un rôle clé en Afghanistan. Il procure de l’information à ces membres et aux partenaires extérieurs (les donneurs, les organisations multilatérales et les médias). Sa capacité à transmettre les informations à ses membres et à les coordonner est fortement appréciée, d’autant plus que les ONG ont des tailles, des mandats, des activités, des budgets et des zones d’intervention différents. ACBAR a créé une plateforme commune d’acteurs. Il est nécessaire d’avoir une organisation dédiée à cette mission car les ONG n’ont pas nécessairement le temps de collaborer entre elles sans l’appui d’un acteur extérieur. Pour renforcer les activités de manière efficace, SEEP travaille avec ses partenaires pour établir des objectifs communs, en incluant les contributions de chacun dans son programme de travail. Selon l’expérience de SEEP, les sommets et les formations au niveau régional permettent un meilleur renforcement mutuel des activités. Alexandre De Carvalho dit que les acteurs ont généralement leurs propres sujets, leurs propres responsabilités, alors qu’en parallèle il y a quelque chose qui les rassemble et qui encourage des collaborations 140. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel: Florian Bertaud, Schneider Electric Quelle gouvernance locale pour quel impact ? Table-ronde // Economie sociale et solidaire Modérateur Jean Karinthi Directeur, Maison des Associations du Deuxième Arrondissement, Ville de Paris Intervenants Perrine Lantoine-Rejas Chef de projet microfinance et philanthropie, Fédération Nationale des Caisses d’Epargne Georges Métayer Responsable de l’ innovation et de l’ entrepreneuriat social, Croix-Rouge Gérard Longatte Chargé de mission partenariat, MACIF Jean-Michel Ricard Directeur Général, SIEL Bleu Résumé analytique La gouvernance locale est un facteur clé de réussite des projets de développement. Elle renvoie à différentes approches visant à mieux prendre en compte les acteurs des territoires dans les processus de décision face au constat que bien souvent, les centres de décision sont éloignés des territoires effectifs des projets. La table ronde aborde quelques uns de ces aspects, notamment la question de la gouvernance locale et du statut coopératif, la participation des usagers, la coopération entre les entreprises et la société civile, le rôle des salariés dans la gestion de leur entreprise, l’implication de bénévoles et volontaires, etc. Ces thématiques sont illustrées par une série de témoignages et d’exemples concrets, qui montrent comment la gouvernance locale permet une meilleure identification des besoins, l’adaptation des stratégies aux configurations locales, ou encore l’innovation. Mais les difficultés ne doivent pas être sous-estimées : les participants insistent sur l’importance de la formation des opérateurs locaux, le temps nécessaire à la mise en œuvre de coopérations locales avec des acteurs parfois très nombreux, et surtout le défi du changement d’échelle. Comment la gouvernance locale peut-elle contribuer à des solutions globales ? Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ? 143. Synthèse Le modérateur invite tout d’abord les participants à décrire leur vision de la gouvernance au sein de leurs organisations respectives. Selon Perrine Lantoine-Rejas, de la Fédération Nationale des Caisses d’Epargne (FNCE), la question de la gouvernance se pose principalement à deux niveaux pour les Caisses d’Epargne : elle renvoie, d’une part, au statut coopératif et à l’implication des sociétaires et de leurs élus dans le fonctionnement des instances de décision et d’autre part, aux modes de coopération de chaque Caisse d’Epargne avec ses parties prenantes, sur son territoire. Concernant le premier point, il convient de rappeler que les 17 Caisses d’Epargne sont des banques de plein exercice et, comme pour les autres banques coopératives, la gouvernance se fait d’abord en région. Les 4,3 millions de sociétaires, qui portent le capital des Caisses d’Epargne, sont représentés par des administrateurs élus, qui contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie des Caisses d’Epargne, aussi bien dans le domaine bancaire que pour ce qui est des actions de responsabilité sociale. L’organe central, BPCE, assure, entre autres, la solidarité financière entre les banques et définit une stratégie commune. La Fédération Nationale (FNCE), quant à elle, a pour rôle d’animer la vie coopérative du réseau et de coordonner les actions de responsabilité sociale. Par nature, les Caisses d’Epargne ont donc un mode de gouvernance décentralisé, dans la continuité de leur histoire. Par ailleurs, en tant que banques de proximité, les Caisses d’Epargne sont très impliquées dans la vie locale et travaillent en partenariat étroit avec les acteurs des territoires, ce qui constitue un autre aspect essentiel de leur mode de gouvernance. Une illustration en est leur politique d’engagement sociétal, en particulier le microcrédit. Les Caisses d’Epargne ont en effet décidé de faire de l’inclusion financière un élément clé de leur responsabilité sociale et elles sont aujourd’hui les premiers acteurs du microcrédit personnel en France, à travers le dispositif Parcours Confiance. Pour mettre en œuvre ce dispositif et répondre au mieux aux besoins des personnes en difficulté, le choix a été fait de travailler en collaboration étroite avec les acteurs spécialistes de l’accompagnement social : centres communaux d’action sociale (CCAS), Secours Catholique, Restos du cœur, conseils généraux… Chacun joue son rôle : la Caisse d’Epargne octroie le microcrédit et offre un accompagnement bancaire et budgétaire personnalisé, et les réseaux d’accompagnement spécialisés accompagnent les bénéficiaires sur les autres aspects de leur projet d’insertion (emploi, logement, santé…). Cette complémentarité des acteurs est un facteur clé de la réussite des projets portés par les bénéficiaires de microcrédit. La MACIF, représentée par Gérard Longatte, quand à elle, est plus localisée (Nord-Pas de Calais) mais travaille également en décentralisation. Elle a été créée il y a 50 ans sur un mode de gouvernance directe, c’est-àdire que l’ensemble des sociétaires participaient à la gouvernance. Mais la structure a grandi, et en 1975, il a été décidé que la gouvernance se déroulerait à deux niveaux : des délégués locaux et un Conseil d’Administration. 144. Convergences 2015 En 1987, le pouvoir politique de l’époque considère que la taille est critique pour que les élus aient une véritable représentativité et des liens de proximité avec les sociétaires. La régionalisation est mise en place. Le territoire est scindé en 11 régions ; chaque région élit son comité régional avec un président. L’ensemble des élus constitue le comité régional et l’ensemble des comités régionaux forme l’assemblée générale qui élit un conseil d’administration, qui élit son président. Dans le Nord-Pas de Calais, il existe 180 délégués, 1 pour 2000 sociétaires. C’est une structure pyramidale classique au niveau régional et national. Mais les élus n’ont pas qu’une fonction élective, ils ont également un réel pouvoir. Les élus sont décisionnaires de la stratégie d’entreprise et du projet social, ceci est visible aussi dans les commissions de prévention, les fondations... Concernant le volet prévention de la MACIF, les outils ne sont pas les mêmes suivant les régions (ex des sauveteurs en mer pour l’un ou lutte contre les incendies pour l’autre). Le but est de trouver des réponses adaptées aux besoins des régions. Les élus sont maîtres de ces actions. Un autre exemple est que aucun partenariat ne peut se signer en région sans l’aval des politiques. Ces derniers ont le vrai pouvoir au niveau local. Par ailleurs, il existe également une « dimension spirituelle » de cette gouvernance locale : les élus sont « l’âme et conscience de la MACIF », ils doivent représenter les sociétaires. La Croix-Rouge compte aujourd’hui 18 000 salariés et 52 000 bénévoles ; elle intervient sur 5 métiers : • Opérations et relations internationales (mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge) qui sont des opérations d’urgence ou de long terme. • Urgence et secourisme : enseignement au grand public, manifestations culturelles, etc. • Métiers de la santé. • Action sociale : La Croix-Rouge gère par exemple 80% des SAMU sociaux, le 115, CHRS, hébergements d’urgence, structures d’accueil migrants, soutiens psychologiques, etc.. • Formation : Il existe une vingtaine d’instituts régionaux et en entreprise. La Croix-Rouge a 700 structures de types « établissement ». Comment établir une gouvernance qui puisse servir à la fois les bénévoles et les établissements ? Il existe une continuité entre les activités bénévoles et les établissements professionnels créés. La Croix-Rouge est une association unique, une personne morale unique. Le pouvoir est détenu par l’Assemblée Générale, et, par délégation, par le Conseil d’Administration, son bureau et son président. L’AG est composée des délégués départementaux et régionaux. Sur le territoire, la gouvernance est déléguée. Un mouvement de décentralisation a été lancé en 2007 avec la création de délégations régionales, qui a repensé la gouvernance de la Croix-Rouge. Les délégations régionales reçoivent des compétences de l’Assemblée Générale, par Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements délégation. Ceci permet à la Croix-Rouge de s’adapter au territoire et a été accompagné de mutualisation des moyens, de création d’instances d’élus etc. Les élus veillent à l’intégration sur le territoire. Les décisions sont prises collectivement ; les élus bénéficient d’un « accompagnement de la négociation », pour améliorer leurs discussions avec les partenaires privés et publics. SIEL Bleu, dont le directeur général est Jean-Michel Ricard, est un groupe associatif, créé il y a 14 ans en 1997, qui met en place des activités de prévention (activités physiques adaptées) pour les personnes fragilisées (personnes âgées, handicapées et/ou atteintes de maladies chroniques) mais aussi pour les salariés dans les entreprises, dans un objectif d’amélioration de la qualité de vie et de maintien dans l’autonomie. L’association compte 270 salariés en France. SIEL Bleu se développe par le biais d’une forte autonomie donnée aux salariés et a notamment développé une association à l’étranger, en Irlande par exemple. Le siège est à Strasbourg. Le Conseil d’Administration est formé de 8 personnes, garantes des valeurs de l’association. Ces administrateurs ont des fiches de postes précises. Au niveau local, des salariés impulsent le développement de l’association. SIEL Bleu est un fellow Ashoka, du fait de son modèle social innovant qui consiste à mettre en place une structure commerciale au sein de l’association mais également grâce à son impact social en direction des personnes les plus fragilisées. Gérard Longatte souligne que la structure de la MACIF, avec ses 11 régions, ne nuit pas au lien qui lie les sociétaires à leur groupe mutualiste. Les élus sont trouvés localement. Mais il reste que la formation de l’administrateur est nécessaire. La Croix-Rouge l’approuve en déclarant que ses élus ont le pouvoir de négociation annuelle des budgets sans grands enjeux, mais qu’ils suivent une formation, afin qu’ils aient les clés sur quelques points de négociation avec l’interlocuteur public. L’élu et le salarié travaillent ensemble, pour trouver une structure cohérente afin de valoriser au mieux les partenariats. Les rôles de directeur, de formateur etc. font l’objet de fiches de postes. Les élus bénéficient également d’une formation continue (les mandats sont renouvelables tous les 4 ans). Avoir une formation permet de mieux gérer. La formation des administrateurs est également un aspect essentiel pour les Caisses d’Epargne. Ces derniers sont amenés à exercer des responsabilités sur des sujets parfois très techniques : pour assurer une gouvernance équilibrée, il est indispensable de donner aux administrateurs les moyens de comprendre et analyser les enjeux stratégiques d’un établissement financier. Mais les administrateurs apportent aussi une compétence indispensable à la Caisse d’Epargne, à savoir leur connaissance des territoires. Le maillage territorial est très étroit puisqu’il existe 275 sociétés locales d’épargne (SLE), avec de 7 à 48 SLE par Caisse d’Epargne. Ce rôle se manifeste par exemple dans les actions d’engagement sociétal : certains administrateurs sont amenés à rencontrer les partenaires, voire à participer aux comités de microcrédit ; ils contribuent à l’élaboration de la stratégie de mécénat de la Caisse d’Epargne et au choix des projets soutenus. En cela, ils sont un véritable « trait d’union » entre la Caisse d’Epargne et son territoire et assurent la vitalité de sa gouvernance locale. Jean Karinthi demande à Perrine Lantoine-Rejas d’expliquer comment se coordonnent entre cette gouvernance locale et son rôle de coordination et d’orientation nationale. Perrine Lantoine-Rejas prend l’exemple du microcrédit. La FNCE a lancé des travaux en 2004 pour mettre en place un dispositif d’inclusion financière, Parcours Confiance. Elle a proposé une boîte à outils, à destination des Caisses d’Epargne, pour démarrer le dispositif. Mais chaque Caisse d’Epargne est ensuite libre d’adopter ou pas ces outils, ou de les adapter. La Caisse d’Epargne de Provence Alpes Corse a ainsi développé un dispositif propre, appelé Créa-Sol, sur la base d’une expérimentation menée sur leur territoire. De manière générale, dans chaque région, on Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ? 145. observe des variations par rapport au « modèle » national. Pour la FNCE, cette diversité est la preuve d’une réponse « sur-mesure » aux configurations régionales ; elle permet aussi à nos correspondants d’avoir une certaine liberté pour innover et mener des expérimentations qui peuvent ensuite bénéficier aux autres Caisses d’Epargne. Il faut pouvoir s’adapter aux appétences et aux manières de fonctionner de chacun, même si cela rend parfois le travail de coordination nationale compliqué. Il n’en reste pas moins que cette diversité s’exerce dans le respect de principes et d’orientations communes qui permettent d’avoir une cohérence d’ensemble. Il faut rappeler que les administrateurs, qui contribuent à la gouvernance des Caisses d’Epargne, sont des clients par définition : pour être administrateur, il faut détenir des parts sociales. Pour ce qui est, plus spécifiquement, des bénéficiaires de microcrédit, la question est sensiblement différente. L’implication des « usagers » est effectivement une bonne pratique mais la FNCE ne la met pas en œuvre de manière systématique : l’échange est permanent avec les bénéficiaires lors des entretiens avec les conseillers. La FNCE a réalisé une étude d’impact où elle interroge les bénéficiaires sur leur satisfaction par rapport aux services proposés, mais les Caisses d’Epargne n’ont pas organisé de « comités client » formalisés à ce jour. L’une des raisons est la difficulté à impliquer les bénéficiaires : leur situation est souvent très précaire et ils doivent jongler avec des emplois du temps très chargés – beaucoup sont des femmes seules avec enfants. La Croix-Rouge travaille aussi avec des acteurs locaux. Les conseils de surveillance ont ainsi un rôle particulier : maintenir le lien avec les bénéficiaires et leur famille. En réalité, la Croix-Rouge réfléchit sur la question de l’association des bénéficiaires à de futurs services. Il s’agit de trouver un mode de collaboration, ce qui n’est pas facile car les populations sont fragilisées. Pour la MACIF, le bénéficiaire est un sociétaire et l’élu est un sociétaire. Mais ce n’est pas si évident que cela. Les gens adhèrent au système d’assurance pas forcément avec une étiquette mutualiste, mais plutôt comme clients. Il reste un travail à faire pour la MACIF : que ce client devienne sociétaire, qu’il vote pour ses élus. C’est la question de 146. Convergences 2015 l’adhésion aux valeurs de la Mutuelle. Faire comprendre qu’un acte de consommation, un achat, peut aussi être un acte citoyen. A ce jour, ¼ des sociétaires vote pour ses représentants. Le travail de délégué n’est pas encore connu. Il doit être identifié et ses fonctions reconnues (représentativité, action à mener via prévention, fondation et partenariat etc.) : il lui faut s’impliquer dans la société, être acteur du changement de la société. L’accompagnement, la formation doivent être permanents. Les délégués ont par exemple un site extranet dédié : blog, ressources, échanges avec des « sachants » etc. Un exemple de formation mis en place en région, l’utilisation et la maitrise du site grâce à des exercices sur postes informatiques. Il faut faire ressortir, chez l’élu, ses compétences. Un engagé MACIF peut créer un partenariat avec SIEL Bleu, par exemple. Qu’en est-il de l’implication des salariés dans une association tel que SIEL bleu ? SIEL Bleu rappelle que dans les associations, le mal-être au travail est le plus important. Pour le développement de l’association en région, quelques outils sont donnés mais le champ reste très libre. Ce dernier se base sur les convictions de salariés etc. qui ont besoin de trouver eux-mêmes leurs partenaires pour pérenniser leurs activités. Par rapport aux usagers, SIEL Bleu s’est aperçu qu’il ne fallait pas forcer les gens à participer. Avant, il y avait des comités de bénéficiaires au niveau départemental. Mais l’association a changé de direction : les groupes de travail locaux sont très libres et composés de salariés, d’élus locaux, de caisses de retraite etc. Un incubateur a été mis en place au sein de SIEL Bleu : 3 projets sont choisis par année. Ce sont essentiellement des gens de terrain. Deux sont montés conjointement avec un chargé de prévention et un bénéficiaire. Le projet est monté, puis validé et généralisé. Le chargé de prévention du terrain concerné devient chef du produit national. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Questions Concernant le microcrédit proposé par les Caisses d’Epargne, s’agit-il de microcrédit professionnel ou social ? Comment convaincre les caisses que cette catégorie de prêts n’est pas en concurrence avec leurs opérations bancaires normales ? Les Caisses d’Epargne proposent aussi bien des microcrédits personnels que professionnels. Les modalités de fonctionnement ne sont pas exactement les mêmes pour les deux, puisque les microcrédits professionnels peuvent être proposés soit via les associations Parcours Confiance, soit directement en agence. Concernant l’articulation entre crédit classique et microcrédit, il convient de souligner que le choix de recourir à des conseillers spécialisés, détachés dans les associations Parcours Confiance, est dû en grande partie au constat qu’il est plus simple de développer le microcrédit en parallèle de l’activité bancaire classique. Cela étant dit, il n’y a pas de frontière étanche entre les deux : nos 60 conseillers Parcours Confiance sont tous issus du réseau commercial des Caisses d’Epargne, et détachés sur une mission de quelques années ; par ailleurs, les microcrédits sont réalisés sur le bilan des Caisses d’Epargne et gérés au même titre que les autres crédits : c’est le canal de distribution qui est différent. Plus généralement, il s’agit d’une expérimentation menée dans le cadre de la responsabilité sociale, qui a de ce fait une dimension quasiment de « laboratoire », même si c’est un laboratoire à grande échelle puisque 3000 microcrédits personnels ont été accordés l’an dernier ! Il n’y a donc pas de concurrence entre l’activité bancaire classique et le microcrédit. Avec 2011, année européenne du volontariat, la question du renouvellement des forces de volontariat dans les associations se pose. N’y a-t-il pas une crise de l’engagement ? Pour la MACIF, le renouvellement des générations est en effet une question cruciale, car la représentativité est difficile : les délégués sont souvent âgés et masculins. Il y a seulement trois jeunes sur 9 nouveaux délégués en 2011. Pour la Croix-Rouge, on fait face à de nouvelles formes de bénévolat : les associations ont besoin de s’adapter au zapping, ce mode de consommation des jeunes actuellement. Le renouvellement concerne certes les élus eux-mêmes mais aussi le fait d’avoir des personnes qualifiées, choisies pour leurs compétences. Ceci est crucial dans la dynamique de l’équipe d’élus. La Croix Rouge pense également à réduire la durée des mandats : les mandats qui durent trop longtemps amènent de la « féodalité » (2 mandats de 4 ans). Il faut privilégier l’accès des jeunes vers les fonctions électives, sans discrimination d’âge. Quel lien y sa-t-il entre gouvernance locale et innovation ? Pour la Croix-Rouge, la gouvernance locale a été l’occasion de multiples innovations, comme la prise en charge en phase terminale des enfants, les formations d’infirmière etc. Mais une question demeure : c’est la question du changement d’échelle : est-on en capacité de développer cette idée au niveau national ? Georges Métayer, de la Croix-Rouge, se rappelle d’une réflexion à une conférence de Sciences Po il y a quelques temps : « Il y a 30 ans qu’on a créé le microcrédit, et seulement 15% des gens qui en ont besoin dans le monde y ont accès. Dans le même temps, lorsqu’une grande société veut lancer un produit au niveau mondial, il lui faut 18 mois ». Ceci pose la question des moyens que nous pouvons mettre au service des innovations. Pour SIEL Bleu, l’innovation est au cœur de leur pérennité économique. Ils développent notamment une enquête avec l’INSERM, pour montrer que des activités physiques régulières permettent de réduire les fractures et donc les coûts liés au système de santé. En relatant également une anecdote, Jean-Michel Ricard conclut: « Tout est possible ». Rapporteur officiel: Christine Rousselot, Réseau Européen de la Microfinance Nationalement, la MACIF a pris l’engagement de féminiser et rajeunir ses représentativités, avec des objectifs chiffrés. Jean Karinthi, Directeur de la Maison des Associations du Deuxième Arrondissement, modérateur du débat, explique qu’ils ont créé un Passeport des Associations qui permettait à leurs usagers de valoriser des expériences de volontariat. C’était également une nouvelle façon de s’adapter aux changements de perception vis-à-vis de l’associatif. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Quelle gouvernance locale pour quel impact ? 147. Discussions sur les méthodes et techniques d’évaluations d’impact Table-ronde // Economie sociale et solidaire et Entrepreneuriat social Modérateur Cécile Lapenu Directrice, CERISE Intervenants François Grünewald Directeur Général, URD Emeline Stievenart Chargée de mission Evaluation de l’ impact social, ESSEC IIES Aurélie Quentin Chargée de mission, GRET Résumé analytique L’évaluation d’impact a pris une importance croissante dans tous les domaines d’intervention humanitaires, sociaux, et de l’aide au développement. Le modèle traditionnel de l’enquête statistique à grand nombre de sondés domine encore largement. Il a l’avantage d’être reconnu et de produire des données chiffrées sur de larges échantillons, mais l’inconvénient d’être lent à produire des résultats et focalisé sur le résultat, par rapport à l’organisation du projet et son efficacité. seulement de la situation des populations, mais aussi du contexte sociologique spécifique (politique, anthropologique et social) et de l’adéquation des moyens et structures retenues pour atteindre les objectifs déclinés de la mission du projet. Si ces progrès font gagner en richesse et en finesse d’analyse, ils contribuent à donner une perspective relative à l’évaluation, c’est-à-dire liée intimement aux contexte et objectifs des projets. Même la terminologie retenue s’interprète de manière spécifique au projet évalué. Les nouvelles méthodes (enquêtes sur échantillons raisonnés, évaluation par les pairs, observatoires, social return on investment (SROI)) cherchent à améliorer à la fois l’opérationnalité du feedback, pour contribuer à une démarche de qualité et de progrès continu, et à accélérer les temps de retours d’information. Ils donnent aussi une perspective temporelle à l’évaluation, permettant d’intégrer en particulier l’évolution des impacts positifs et négatifs sur les comportements et les situations des populations ciblées. Ils mettent en exergue l’importance de l’analyse ex ante basée sur les outils des sciences sociales pour la compréhension non Il n’en reste pas moins que de grands progrès sont encore à réaliser à la fois dans l’analyse en amont des objectifs et impacts attendus des projets, et dans la disposition de moyens pour former et employer un effectif suffisant de personnel maîtrisant les outils et pratiques de l’évaluation sur le plan méthodologique, les analyses d’attribution et de coût d’opportunité restent du champ de la recherche. C’est à travers l’accumulation et la capitalisation des expériences qu’une convergence des méthodologies pourra améliorer la productivité du travail des évaluateurs. 148. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse L’évaluation d’impact a suivi un processus historique d’évolution des méthodes et des objets liés à l’évolution des intérêts pour le sujet. Cette évolution regroupe progressivement trois types de demandeurs : les bailleurs, les acteurs et les bénéficiaires, tirant inspiration à la fois du monde académique et du monde de l’entreprise. L’évolution constatée est similaire pour les acteurs de l’humanitaire, ceux du développement ou plus en amont ceux de la philanthropie. La première phase qui a vu quintupler les moyens investis dans l’évaluation répondait à une interrogation des bailleurs sur l’impact des fonds mis à disposition des projets. La méthode utilisée pour ce type d’évaluation est celle de l’étude randomisée. Cette méthode vise à quantifier l’amélioration de la situation des populations ciblées en identifiant les progrès réalisés auprès d’un échantillon statistiquement significatif de cette population. Pour en garantir la rigueur, ces études suivent des protocoles assez lourds, notamment dans la sélection des échantillons et s’appuient sur des méthodes lourdes de collecte de l’information induisant des pas de temps long avant que des résultats soient disponibles. Dans le cas de la microfinance, ils ont donné aussi lieu à de vifs débats sur la fiabilité des résultats. Théoriquement, cela implique l’utilisation d’un groupe témoin (donc ne bénéficiant pas du projet ou programme), ce qui s’avère inacceptable dans l’analyse des interventions humanitaires, et souvent impraticables dans le développement en raison des variances de situation. Ces études ont néanmoins trois avantages significatifs : • Elles permettent une quantification crédible de l’impact. • Elles permettent d’accumuler de nombreuses informations permettant d’affiner la compréhension de la situation des populations ciblées. • Elles donnent une image convaincante de l’action à travers la masse de données collectées. Bien que critiquées pour leur caractère simpliste (homogénéité de la mesure, prise en compte faible ou nulle de l’impact négatif, photographie sans perspective temporelle), voire contestées dans leur légitimité théorique parce que ne prenant pas en compte l’hétérogénéité des situations de départ nécessairement segmentées, elles restent la référence dès lors que des questions fondamentales sont posées sur l’effet de l’intervention (sur la microfinance récemment par exemple). A la demande des principaux bénéficiaires de ces évaluations, à savoir les acteurs des projets, de nouvelles méthodes ont été développées. Les méthodes traditionnelles de suivi-évaluation intègrent une dimension dynamique mais répondent encore de manière primordiale aux préoccupations des bailleurs. Pour infléchir les structures et processus des projets, les professionnels de l’évaluation, tant le GRET dans le développement, CERISE dans le domaine spécifique de la microfinance ou le Groupe URD dans l’humanitaire, ont choisi de se rapprocher des approches qualités : Being good at doing good and proving it . C’est à dire intégrant l’impact (doing good), la qualité de l’approche/les procédures et activités (being good) et la responsabilité ou plus précisément l’accountability (proving it). L’approche SROI, issue, elle, de la philanthropie puis du monde académique et de celui des professionnels du secteur de l’entreprise, a identifié des outils et des problématiques similaires et tente de les synthétiser sous la forme d’une valeur monétaire. Dans les deux cas, avec des philosophies similaires même si les méthodes varient, ces nouvelles approches insistent sur l’importance de l’investissement en amont du projet, sur l’intégration du plus large spectre possible de dimensions d’impact, et sur l’intérêt de mêler rapidité et rigueur d’analyse, même si la crédibilité statistique doit souffrir. Que recouvrent ces nouvelles approches ? Elles visent à coller de plus près à la réalité opérationnelle des projets en prenant en compte : • La configuration initiale du projet : analyse de la mission et des axes d’impact retenus (SROI), analyse des conditions ex ante par la mise en place d’observatoires dans les zones à risque (URD à Haïti, en Afghanistan) ou par des études anthropologiques (du comportement) ou sociologiques (GRET), formalisation des choix en amont (tous). Même un choix contestable, comme celui des zones agricoles aidées en Afghanistan obéissant à une priorité de value for money (et donc à l’emphase accordée aux zones d’agricultures riches plutôt qu’à d’autres impératifs plus redistributeurs dans les zones pastorales pauvres), est meilleur que l’absence de choix. Plus l’objet est défini précisément, plus la chance de succès sera grande. • Le choix et la structuration des indicateurs : ils procèdent non seulement de l’objectif retenu, mais aussi de la forme d’organisation, la ou les structures exécutant le projet, l’approche retenue, et la façon dont l’équipe du projet pense obtenir des résultats. Ces résultats attendus peuvent être significativement différents de ceux des bailleurs. Par exemple, dans le cas de l’étude SROI en cours sur l’évaluation des programmes de réinsertion, il y a une perspective de valorisation différente entre l’Etat, qui mesure l’impact sur les transferts sociaux du programme, et les acteurs qui ciblent l’amélioration de la vie d’individus en situation personnelle difficile. En contraignant les acteurs à attribuer une valeur à cette action, elle donne à chacun une perspective sur l’origine de cette valeur. • La diversité des situations : les mesures sur la base d’échantillons raisonnés, et la validation d’impact par méthode d’analyse comparative. • L’élargissement du concept d’impact : l’analyse porte, au-delà de l’efficacité du projet au sens classique, sur le ressenti des populations, sur les impacts négatifs (par exemple en anticipant comment l’importation de semence en urgence conduira à l’éradication des cultivars locaux mieux adaptés, et donc à une baisse durable de la productivité agricole). Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Table-ronde Discussions sur les méthodes et techniques d’évaluations d’impact 149. • Les temps de retour des informations : les indicateurs retenus sont collectés rapidement pour obtenir une mesure à 80% correcte. • L’appropriation des processus d’évaluation : les nouvelles démarches construisent les paramètres de mesure avec l’équipe projet, et leur suivi est réalisé avec l’aide d’un évaluateur indépendant présent aux côtés de l’équipe sur le terrain. • Les formes de restitution et les outils d’analyse : au-delà de l’analyse quantitative et du camembert, de nombreuses formes de restitution permettent un apprentissage plus concret et une appréhension fine des points à améliorer : enregistrements audio ou vidéo, images, compte rendus d’entretiens structurés. Dans le cadre de l’approche SROI, la démarche de monétarisation a conduit les équipes à utiliser des outils issus du marketing d’analyse de la valeur perçue par préférence (par exemple, combien vaut le fait d’obtenir le permis par rapport à acheter une nouvelle télévision ?). Ces méthodes permettent d’obtenir des réponses dynamiques et utiles aux questions que se posent les équipes et font progresser l’interprétation des évolutions de comportement des bénéficiaires. Elles ont répondu à de nombreuses questions des équipes de projet et une base d’outils robustes est en train de se constituer qui conquiert progressivement les esprits. Deux sujets restent objets de recherche : • La question de l’attribution, c’est-à-dire la part de l’impact constaté effectivement attribuable au projet par rapport à d’autres initiatives ou évolutions en cours. • La question du coût d’opportunité, c’est-à-dire la valeur du programme par rapport à d’autres actions ou par rapport à ne rien faire. Le deuxième est plus culturel. Les bailleurs ont en particulier une perspective très quantitative de la mesure d’impact. Même si de nombreux acteurs sont ouverts à l’introduction de méthodes plus fines pour analyser la progression d’un projet, ils estiment à la quasi-unanimité que seules les données chiffrées collectées sur de très larges échantillons ont valeur de preuve. L’évaluation ex ante des allocations de fonds des bailleurs eux-mêmes, plutôt que l’évaluation des programmes qu’ils ont choisis reste un sujet délicat pour la plupart. Par ailleurs, et en particulier dans le cadre de l’aide humanitaire qui se prévaut de l’urgence, les études préalables sont souvent réduites au minimum, voire entièrement éludées au bénéfice de l’application de méthodologies d’intervention standardisées. L’absence de base lines quantitatives est rendue plus grave par le manque de dialogue avec les acteurs locaux et les populations. C’est ce qui est arrivé à Léogâne, où les équipes n’ont pas consulté le maire, qui se trouvait être par ailleurs un dignitaire vaudou, et n’arrivaient pas à expliquer les réticences des populations vis-à-vis d’intervenants extérieurs qui montraient du mépris pour leurs institutions religieuses. L’excuse fréquemment avancée pour expliquer ces faiblesses d’analyse est le manque de temps. Pourtant, dans l’aide humanitaire, passé 72 heures, on ne peut plus réellement se prévaloir de l’urgence. Enfin, l’apprentissage des bonnes pratiques de la préparation de l’intervention et de l’évaluation reste le parent pauvre du développement comme de l’humanitaire. Malgré les progrès accomplis, les mêmes erreurs sont répétées par les générations successives de meneurs de projet. L’un des axes à venir est donc celui de la capitalisation et de la formation maintenant qu’un consensus s’établit sur les bonnes pratiques. De nombreux obstacles demeurent notamment à l’emploi des nouveaux outils d’évaluation de manière systématique. Le premier d’entre eux est qu’ils n’assurent pas la comparabilité entre projets. Même la méthode SROI qui traduit l’impact en valeur monétaire insiste sur la variabilité des résultats obtenus en fonction de la valorisation des paramètres d’impact et des hypothèses d’attribution retenues. L’impact est une notion relative, qui procède, au-delà des efforts, de l’intention de l’acteur et de la perspective du bénéficiaire du projet. La méthode SROI affiche que sa principale utilité est dans la structuration et l’évaluation dynamique des projets, et pas primordialement dans la démonstration de la « rentabilité » de l’action. 150. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : François Lepicard, Hystra Consulting Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ? Atelier // Economie sociale et solidaire Modérateurs Jérôme Auriac Directeur Général, Be-linked Angela de Santiago Directrice Générale, Youphil.com Intervenants Jérôme Bossuet Responsable du développement commercial, Prakti Design Lucile Brachet Membre du projet, Planète d’Entrepreneurs Joseph Le Marchand Fondateur, Le Non Marchand Richard Kennedy Directeur, SROI Network Suzanne Renard Ingénieure, Prakti Design Irène Serot Almeras Directrice, Fondation Ensemble Hedwig Siewertsen Directrice, d.o.b. Foundation Vatansho Vatanshoev Directeur Général, OXUS Tadjikistan Dominique Weiss Analyste Senior, Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation Résumé analytique Cet atelier a permis la rencontre des différentes parties prenantes de l’entrepreneuriat social – acteurs de terrain, financeurs, acteurs de la microfinance et organismes spécialistes des outils d’évaluation – afin de bien comprendre les enjeux de la mesure de l’impact social. Redéfinir la façon d’appréhender et de mesurer la performance des organisations à finalité sociale est plus que jamais capitale. Objectifs sociaux et viabilité économique sont encore trop souvent opposés. Il faut dépasser cet antagonisme et essayer d’évaluer et de valoriser l’impact réel des organisations pour la société. Considérée comme un outil de management pluridimensionnel, l’évaluation permet d’assister pleinement l’organisation dans la maximisation de son impact social. Il est nécessaire pour cela que soient définis les objectifs et le cadre de sa mise en œuvre le plus tôt possible dans la construction du projet. Les outils de mesures établis doivent être en cohérence avec l’ampleur du projet. « Soyez honnêtes et transparents » et « si vous n’êtes pas sûrs de faire du bien, assurez-vous de ne pas faire du mal » pourraient résumer les enjeux de la nécessaire évaluation de l’impact social. En requérant d’elles un important travail introspectif, la mesure de l’impact social questionne l’efficacité des organisations et facilite grandement le dialogue entre les parties prenantes. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ? 151. Synthèse Evaluer, pour qui et pour quoi faire ? Selon Lucile Brachet, membre de l’ONG française Planète d’Entrepreneurs, qui a pour objectif d’aider les entrepreneurs sociaux à évaluer l’impact social de leur organisation, il est indispensable de mesurer l’impact réel de son activité si l’on souhaite donner du sens à son action. En tant qu’outil de l’organisation, l’évaluation remplit différentes fonctions. C’est d’abord un outil de management qui facilite la planification et le suivi d’activité. En permettant à l’organisation de concentrer son attention sur les points clés de son activité, elle sert directement un objectif de maximisation de l’impact. Dans le cadre des travaux menés par Planète d’Entrepreneurs au côté de Sarvajal, qui travaille en Inde pour l’accès à l’eau potable, concentrer les efforts sur la réduction des maladies et la réduction des dépenses de santé a permis de mesurer que 34% de l’argent économisé dans les dépenses de santé était réalloué à l’éducation, 41% au logement et 43% aux dépenses alimentaires. Toujours dans une logique de gestion, Jérôme Bossuet expose qu’intégrer l’évaluation au processus d’ingénierie permet à Prakti Design de mesurer les conséquences de ses activités sur l’environnement ainsi que leurs impacts sur les consommateurs. En instaurant un dialogue direct avec ces derniers, l’organisation parvient à prendre en compte leurs remarques et à améliorer la qualité de ses prestations. Parce qu’elle fournit la preuve que l’objet vendu va améliorer le quotidien des consommateurs, l’évaluation peut être un bon outil de marketing. Lucile Brachet y voit également un outil de communication puissant, qui permet à l’organisation de gagner en crédibilité en justifiant de résultats tangibles. Son utilisation en tant qu’outil de communication doit faire l’objet de nombreuses précautions explique Angela de Santiago. Cet argument est repris par Richard Kennedy, président du SROI Network. Au Royaume-Uni, explique-t-il, les charities partent souvent du principe qu’elles « font de bonnes choses », il est important de pouvoir le prouver. L’évaluation questionne donc l’efficacité des organisations et permet de vérifier que la stratégie mise en place a bien les effets escomptés, résume Angela de Santiago. Ceci est essentiel pour la légitimité du secteur. Hedwig Siewertsen, directeur exécutif de la d.o.b Foundation, observe que 80% des organisations qui mesurent l’impact le font en utilisant un système développé par eux-mêmes. Un autre constat est que l’impact social constaté est atteint par un petit nombre d’activités génératrices d’impact. Dans la logique de partenariats sur laquelle se construit actuellement le secteur, l’évaluation sera également un facteur de performance important selon Richard Kennedy. Elle permettra d’identifier le meilleur partenaire potentiel pour un projet d’une part, pour la recherche de fonds d’autre part. Ceci est un argument qui trouve une résonnance du côté des financeurs. 152. Convergences 2015 La d.o.b. Foundation réalise par exemple une étude avant et pendant chaque investissement, afin d’identifier en amont quels investissements auront le plus d’impact, puis de s’assurer après coup de l’impact généré. S’il s’agit de fonds public, l’évaluation d’impact permet de justifier que l’argent public est utilisé de manière responsable, estime Hedwig Siewertsen. L’évaluation peut ainsi se voir confier un rôle de surveillance. D’autant que l’expérience dans les Institutions de Microfinance (IMF) a prouvé que des dérives sont possibles dans les organisations à finalité sociale, conclut Vatansho Vatanshoev. Au sein des organisations, par qui la mise en place de l’évaluation est-elle portée ? Après la crise qu’a connue la microfinance, les IMF, les financeurs et les gouvernements travaillent ensemble à la mise en place de processus d’évaluation. Une clause sociale, requérant des organisations que cellesci prouvent les bénéfices de leur activité, est désormais inclue dans les contrats passés avec les gouvernements. Vatansho Vatanshoev note cependant que la décision d’évaluer l’impact social généré est de plus en plus portée par les IMF eux-mêmes, et fait désormais partie intégrante de leurs activités. Les financeurs portent largement les démarches d’évaluation. En France, les fondations, pour évaluer leur propre impact, demandent aux projets qu’elles financent de mettre en place des processus d’évaluation rapporte Irène Serot Almeras. Cependant, l’évaluation apportant une réponse au « challenge des ressources », celle-ci se fait de plus en plus à l’initiative des entrepreneurs sociaux explique Lucile Brachet. Tout n’est cependant pas si simple tempère Dominique Weiss. Le sentiment répandu qu’il est impossible de mesurer l’impact d’organisations œuvrant dans les domaines de l’éducation ou de la santé fait naître d’importantes réticences auprès des acteurs de ces secteurs à mettre en place des processus d’évaluation. Un consensus réuni tous les acteurs : la taille de l’organisation conditionne largement la propension de celle-ci à évaluer son activité. Quel est le bon moment pour évaluer ? Définir un bon moment pour mener une évaluation est difficile. Pour les entrepreneurs comme pour les financeurs, différents types d’évaluation à différentes étapes de la vie du projet peuvent servir différents objectifs. Irène Serot Almeras et Hedwig Siewertsen distinguent cependant divers « moments » pour mener une évaluation. • La réalisation des prévisions d’activité est l’occasion d’estimer l’impact social qui sera généré par l’activité. Il est nécessaire dès la conception du programme de se rendre sur le terrain pour discuter des indicateurs à mettre en place. D’autre part, une évaluation ex-ante permet aux Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements investisseurs de prendre en compte les indicateurs d’impact social dans leur analyse du projet, au même titre que les indicateurs financiers. • Une évaluation du projet en cours sert l’objectif de suivi (monitoring) par ses porteurs, afin de contrôler son avancement. Elle peut être compléter par une évaluation au terme de l’activité analysée, qui permettra de mesurer précisément l’impact généré. • Une évaluation ex-post permet de recueillir les commentaires, et de comprendre comment améliorer les processus de l’organisation. Pour les financeurs, elle est l’occasion de s’assurer que l’investissement a bien eu l’impact social escompté. L’essentiel reste cependant que le processus soit régulier, notamment dans la microfinance, explique Vatansho Vatanshoev. D’autant que dans la pratique, le laps de temps entre le démarrage du projet et sa mise en place pratique peut être important. Il est donc nécessaire de coupler évaluations ex-ante et ex-post. Qui pour réaliser l’évaluation ? Et quel budget ? Faire appel à des ressources externes à son organisation pour mener son évaluation peut faciliter sa mise en place. L’évaluation externe a d’une part un coût moins élevé pour l’organisation, et permet à une organisation qui ne dispose pas d’une connaissance précise des outils de simplifier leur mise en œuvre. Elle garantit également une plus grande objectivité. Réalisée en interne, l’évaluation permet aux membres de l’organisation de s’approprier le processus. Rien n’est plus néfaste qu’un consultant parachuté. En tout état de cause, l’organisation doit disposer d’outils en interne. Si elle dispose des moyens suffisants, assigner une équipe interne à l’évaluation est le meilleur moyen de procéder. En pratique, l’adoption d’une solution hybride semble être un bon compromis, permettant de concilier objectivité de l’analyse et implication des membres de l’organisation. Difficile donc de définir avec précision le budget qu’une organisation doit prévoir d’allouer à l’évaluation. Le coût de l’évaluation dépend largement de la structure, et du périmètre de l’analyse menée. Malgré cela, impossible d’éviter d’allouer des ressources à l’évaluation : se prétendre entrepreneur social suppose d’avoir du temps et des ressources à allouer à l’évaluation du projet. D’autant qu’il existe des sources de financement (fondations, financements publics…), que l’organisation sera capable de mobiliser si elle en a la volonté. Méthodologies: Il existe plus de 200 méthodes d’évaluation, ce qui nuit évidemment à la lisibilité du marché. Le SROI Network s’emploie à la promotion de différentes méthodes et à en extraire les similarités, afin de proposer aux organisations une liste standardisée d’indicateurs pour leurs évaluations. La méthodologie proposée par le SROI met l’accent sur l’engagement des parties prenantes dans le processus. En privilégiant une approche pratique de l’évaluation, elle permet à l’organisation de se concentrer sur le process qui en découle. Il est donc nécessaire d’aller au-delà de l’approche économique de monétisation, qui n’est d’ailleurs pas toujours pertinente, et de ne pas se concentrer uniquement sur le résultat tangible de l’évaluation (le ratio SROI). Pour Irène Serot Almeras, la diversité des besoins des organisations doit pousser chacune d’entre elles à choisir parmi la variété disponible 1 ou 2 indicateurs spécifiques à l’activité analysée. Notons au passage que ces indicateurs ne sont pas nécessairement quantitatifs. Utiliser différentes méthodes permet de mieux comprendre la manière dont est produite l’utilité sociale. Il existe donc 2 types de méthodes disponibles récapitule Joseph Le Marchand : des méthodes basiques qui permettent à l’organisation de se concentrer sur des objectifs identifiés (actions, résultats, indicateurs, mesures) et des méthodes plus complexes comme le SROI qui proposent d’aller au-delà des indicateurs. L’expérience de la microfinance, qui a mis en place depuis 2001 une task force dédiée à la mesure des performances sociales, peut être utile à l’entrepreneuriat social. Rapporteur officiel : Georges Métayer, Croix-Rouge Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Atelier Comment mettre en œuvre une évaluation d’impact social dans votre organisation ? 153. Mesurer la performance sociale des IMF : bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating Mini-conférence // Microfinance Modérateur Aurélie Duthoit Co-fondatrice, Babyloan Intervenants Micol Guarneri Directrice Evaluation Sociale, Microfinanza Rating Emmanuelle Javoy Directrice Générale, Planet Rating Résumé analytique Après deux ans de mesures de performance sociale au sein de plus de 300 institutions, les deux principales agences d’évaluation sociale – PlaNet Rating et Microfinanza Rating – présentent les principaux résultats et observations de ces études soulignant les meilleures pratiques dans le secteur. Les données sociales sont auto reportées par les Institutions de MicroFinance (IMF) : la validation externe de la quantité d’information croissante pourrait être utile et apporter une certaine objectivité. Par ailleurs, des outils simples et flexibles devraient être désignés pour d’autres évaluations d’impacts. Dans la première partie de leur présentation, les deux intervenants partagent leur compréhension et leur définition de la performance sociale. Elles expliquent les outils, les critères et les méthodologies qu’elles ont utilisées et commentent leurs principales conclusions. PlaNet Rating conclut sur le fait que, ce qui est évalué est ce qui est réellement mesuré. Dans la plupart des cas, la performance financière et la performance sociale sont entrelacées et qu’une combinaison positive de celles-ci mène à la transparence. Microfinanza Rating souligne les principaux défis en jeu, l’un d’eux étant l’innovation. En effet, l’implantation actuelle des objectifs sociaux est un domaine d’amélioration, où de nouveaux concepts et idées pourraient nourrir une réflexion sur cette question. Les deux agences ont des visions convergentes concernant le rôle de l’évaluation sociale. Une évaluation de la performance sociale devrait se concentrer sur la vérification de la cohérence entre l’intention de l’IMF et les réelles ressources et intentions utilisées pour atteindre cet objectif social. Dans la seconde partie, il est dit que le contrôle interne et le système d’audit des données sociales sont toujours manquants. 154. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Micol Guarneri introduit sa présentation en définissant la méthodologie de Microfinanza Rating. Cette méthodologie vise à fournir une évaluation de la performance sociale des IMF. En d’autres mots, il s’agit de la capacité à mettre en pratique la mission donnée et atteindre les buts sociaux. L’évaluation de la performance sociale a été menée pendant plus de 5 ans. Environ 100 évaluations sociales ont été effectuées par MicroFinanza Rating au sein desquelles 20% se sont déroulées en Afrique, 28% en Asie et Europe de l’Est et 52% en Amérique Latine. Les bénéficiaires peuvent choisir entre une évaluation complète, qui inclut des discussions de groupe et des enquêtes auprès des clients ou bien une évaluation standard (IMF - niveau d’information). Sur le nombre total d’évaluations menées jusqu’à ce jour, 66% sont des enquêtes. Micol Guarneri met en évidence les tendances et l’évolution des grands secteurs de l’industrie et souligne le fait que la demande d’évaluations sociales a augmenté très sensiblement au cours des dernières années. La question de la performance sociale est une question clé pour tous les acteurs de la microfinance ; cependant, beaucoup de questions restent sans réponses. En expliquant le cadre logique, Micol Guarneri insiste sur le fait que l’évaluation sociale est différente de la mesure de l’impact social. En effet une évaluation sociale consiste à analyser l’intention, le processus et le système, l’output de l’IMF et l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur les clients. Une étude d’impact mesure les changements au niveau des conditions de vie d’une population grâce à l’action de l’IMF. Micol Guarneri décrit les différents domaines d’analyse de l’évaluation sociale. Premièrement, le système de gestion de la performance sociale (SGP) analyse l’alignement des systèmes avec les objectifs la mission sociale. Deuxièmement, la responsabilité sociale traite de la protection des clients, ainsi que de la responsabilité vis-à-vis de l’équipe de travail et de l’environnement. Tant que le travail social de proximité est concerné, il a un rapport entre le secteur opérationnel et la cible atteinte. Micol Guarneri estime que l’accent devrait être mis sur la cohérence entre les intentions et les objectifs de l’IMF et les résultats. Le processus de l’évaluation sociale inclus plusieurs étapes : la phase préliminaire consiste à la collecte des données et le suivi de la mission en elle-même (adaptation du questionnaire, entretiens avec le personnel, groupes de discussion, etc.). Le reporting est la dernière étape du processus. L’évaluation est exprimée par un système de notation. Microfinanza Rating a mis en place une échelle de 8 niveaux allant de triple A à D. Le niveau doit refléter l’actuelle transition de la mission sociale à la pratique. Le poids des 4 domaines évalués sont les suivants : la gestion des performances sociales (30%), la responsabilité sociale (25%), la sensibilisation (25%) et la qualité de service (20%). Micol Guarneri présente les différents résultats : • En ce qui concerne le SGP – dans certains cas, un bon équilibre social/financier dans l’orientation de la gouvernance a été observé, alors que les termes clés de la mission sociale n’ont pas été définis adéquatement. La mission sociale peut être bien diffusée au sein de l’institution, mais parfois il peut y avoir moins de connaissances parmi les nouveaux membres du personnel en raison de l’absence de procédure formalisée. Les résultats montrent aussi que la stratégie de l’IMF est trop concentrée sur la performance financière et que la mission sociale est négligée. Il est également constaté que les grands objectifs sociaux sont rarement traduits en objectifs sociaux SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Raisonnable, Temporellement définis). Lorsqu’il s’agit de la gouvernance, l’implantation des meilleures pratiques sociales dans la gouvernance sociale montre également de bons résultats en termes d’alignement du système de performance sociale et des résultats de celle-ci. • En ce qui concerne l’alignement de la gestion des systèmes d’informations, les ressources humaines et le contrôle interne, même s’il existe un potentiel d’information pour le suivi de la performance sociale dans certains cas, le système de déclaration fournit rarement les principaux indicateurs de performance sociale qui sont nécessaires pour un processus de prise de décision équilibrée. • La base de données d’évaluation de Microfinanza Rating montre une corrélation positive entre la gouvernance sociale, le SGP et les résultats de la performance sociale. Les IMF doivent suivre l’information qui est pertinente pour leur propre mission, selon les orientations et les objectifs que l’IMF s’est fixé. Le risque de surendettement du client nécessite des efforts supplémentaires et collectifs du secteur : ce qui pourrait être atteint en encourageant et en aidant les acteurs à mettre en place les centrales de risque (pour vérifier les passifs des clients), en améliorant l’analyse de la capacité de remboursement du client et en instaurant une meilleure conformité avec la politique de crédit prudentiel. En termes de résolution efficace des plaintes, la grande majorité des IMF (63%) ne dispose d’aucun système en place pour répondre aux plaintes des clients. En termes de responsabilité sociale vis-à-vis des employés (enquête de satisfaction des employés), le climat de travail est généralement positif et des opportunités d’évolution au sein de l’institution existent. Il y a encore quelques IMF qui évaluent systématiquement la satisfaction de leur personnel. Lorsqu’il s’agit de toucher la population pauvre, le taux de pauvreté parmi les clients est généralement moindre que le taux de pauvreté au niveau national dans la majorité des cas. L’inclusion financière est aussi un domaine important qu’il faut prendre en compte. La question de la relation entre la performance sociale et la performance financière reste un défi majeur. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence Mesurer la performance sociale des IMF : bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating 155. Sur le plan opérationnel, les IMF auto suffisantes ont tendance à montrer un score plus élevé de performance sociale, mais la sensibilisation à la pauvreté implique des charges d’exploitation plus élevées et l’autosuffisance peut être moins opérationnelle. L’alignement de gestion des ressources humaines et l’alignement du contrôle interne montrent une corrélation positive significative avec le ROE (retour sur capitaux propres) et l’OSS (autosuffisance opérationnelle). Quels progrès ont été faits en termes d’évaluation et de mesure de la performance sociale ? De gros efforts ont été dévoués à l’évaluation de la performance sociale. Par ailleurs, il y a un consensus croissant sur la protection des consommateurs et sur les questions de responsabilité sociale. L’évolution des outils d’évaluation sociale correspond aux principaux standards et initiatives ; les processus de certification sont également en bonne voie. Pour conclure, Micol Guarneri souligne les défis en jeu. Avant toutes choses, il y a une place importante dédiée à l’innovation et à la mise en œuvre des systèmes efficaces de gestion des performances sociales où des mesures de protection des consommateurs sont clairement un domaine à améliorer. Le contrôle interne et l’audit des données sociales font encore défaut. Les données sociales sont 156. Convergences 2015 auto rapportées par les IMF : la validation externe de la quantité croissante d’informations pourrait être utile et apporter une certaine objectivité. Il y a un besoin d’outils simples pour plus d’évaluation d’impact. Selon Emmanuelle Javoy, des institutions traduisant des missions sociales très différentes peuvent être trouvées dans le secteur de la microfinance qui est, de ce point de vue, hétérogène. Il semble que les investisseurs et les donateurs expriment un désir fort de mieux comprendre la question de l’impact social et ce qu’elle implique. Les données au niveau des clients ne sont pas facilement disponibles ou bien elles ne peuvent être collectées dans toutes les IMF. En d’autres termes, ces informations sont difficiles d’accès. Emmanuelle Javoy souligne le fait que les indicateurs de performance sociale sont encore définis ou redéfinis. La position de PlaNet Rating par rapport à l’évaluation sociale est qu’elle doit fournir une opinion sur la capacité d’une IMF à mettre sa mission sociale en pratique. Emmanuelle Javoy définit l’évaluation sociale comme la probabilité que l’IMF produise un impact social significatif dans le présent et dans le futur. L’évaluation devrait se concentrer sur les procédés, les systèmes, et les outputs directs du travail des IMF. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements La mission sociale pourrait être définie comme l’apport de service financier aux personnes habituellement exclues avec l’objectif clair de les aider. Les IMF devraient être très claires quant à leurs objectifs (le droit des femmes, la prévention, la cible géographique…) et ainsi éviter des missions trop larges et ambitieuses comme par exemple « changer la vie de ses clients ». Le cadre de l’évaluation de la performance sociale inclus des sujets tels que la gestion de la performance sociale, l’inclusion financière, la protection du client, les politiques de ressources humaines, le changement social (santé, éducation, services sociaux, réduction de la pauvreté, création d’emploi, égalité des genres, autonomisation des femmes, démocratie, droits de l’homme, etc.). qualité de la réglementation. La taille tend à être un facteur ayant un impact positif sur la performance même si small can be beautiful. Les IMF plus grosses, plus matures, ayant des systèmes plus raffinés, plus flexibles avec une diversité de produits, semblent avoir de meilleurs résultats ; cependant, cela ne veut pas dire que les petites IMF ne peuvent pas obtenir ce genre de résultats. C’est le cas pour celles qui ont défini des principes de gouvernances clairs et qui ont conçu une gamme large et diversifiée de produits/services. Les principes de la protection des clients sont implantés dans plus de 70% des IMF évaluées. Dans 50% d’entre elles, des améliorations doivent être faites. Cela vaut la peine de notifier que tout le secteur a dévoué beaucoup d’efforts pour augmenter les progrès dans ce domaine. L’échelle d’évaluation de la performance sociale allant de 0 à 5 (de négative à avancée), donne une indication concernant la situation et la position de l’IMF lorsqu’il s’agit de la performance sociale. L’idée soulignée derrière ce modèle d’évaluation est d’encourager les IMF à faire mieux et les aider à implanter les meilleures pratiques et transformer une intention concrète en action réelle. En ce qui concerne la prévention contre le surendettement, les tendances suivantes ont été observées : la transparence accrue des services (taux d’intérêt chargé, prix, frais, etc.) et une meilleure explication pour le client. L’Amérique Latine atteint la meilleure performance dans le domaine de la protection du client probablement grâce à la contribution positive de la réglementation et du rôle efficace joué par les centrales de risque. Il est évident que la demande pour l’évaluation sociale devient de plus en plus forte, considérant l’augmentation du nombre d’évaluations effectuées en 2010. Cette tendance positive peut être expliquée par un intérêt croissant, qui restera inévitablement le long des deux prochaines années comme en témoigne une enquête récente. Les plus hauts niveaux de performances peuvent être trouvés en Amérique Latine. A l’autre bout du spectre, les IMF Africaines produisent un résultat médiocre – la moyenne étant de 2.5 au niveau régional. Il y a néanmoins beaucoup de différences entre les régions. Emmanuelle Javoy soulève la question de l’existence du lien entre la performance sociale et le retour financier. Ces deux composantes devraient-elles être opposées ? On ne peut tirer aucune conclusion concernant la nature de cette corrélation. Les IMF rentables, avec un fort ROE, peuvent atteindre une haute performance sociale, la situation inverse est également possible. Lorsqu’il s’agit de la gouvernance aucun lien clair ne peut être établi, car les échantillons sont trop petits. Cependant, une certaine cohérence peut être observée entre les partenaires sociaux et la note de gouvernance. Les enquêtes ont montré qu’il existe une corrélation positive entre les pratiques de bonne gouvernance et les bons résultats de l’évaluation sociale. Encore une fois, l’Amérique latine occupe un rang élevé au niveau de la gouvernance. Chose intéressante, une gouvernance forte est également liée à la maturité du marché et la En conclusion Emmanuelle Javoy insiste sur le fait que ce qui est évalué, est ce qui est réellement mesuré. Dans la plupart des cas, la preuve démontre que la performance financière et la performance sociale sont étroitement liées. Une combinaison positive des deux conduit à une plus grande transparence. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Mini-conférence C1 Mesurer la performance sociale des IMF : bilan de Planet Rating and Microfinanza Rating 157. Questions La présentation de Microfinanza Rating tend à montrer qu’il existe un lien entre la performance sociale et la performance financière et qu’elles ont toutes les deux un impact positif l’une sur l’autre ; cependant les conclusions de PlaNet Rating diffèrent légèrement et indiquent qu’aucune règle générale ne peut s’appliquer. Micol Guarneri : L’échantillon est trop petit pour dire s’il y a une claire corrélation globale. La cohérence existe et l’effet mutuel peut être vu mais aucune statistique ne peut prouver la corrélation. Emmanuelle Javoy : Il appartient au conseil d’administration et à l’équipe de gestion de mettre l’institution dans une direction spécifique avec des orientations sociales claires. L’objectif principal devrait être expliqué au niveau du business plan. Le bon équilibre entre la vocation sociale et la vocation financière devrait être déterminé afin de créer des synergies au niveau de l’IMF. Vous avez mentionné la sensibilisation et l’inclusion financière. 42% des clients en Afrique sont pauvres. 11% des clients en Amérique Latine sont pauvres, quels indicateurs sociaux sont utilisés pour fournir de telles déclarations ? L’utilisation d’autres méthodologies pourrait-elle mener à des résultats différents ? Quels critères peuvent expliquer ces chiffres ? Emmanuelle Javoy : Les clients pauvres et le niveau de pauvreté doivent être évalués en tenant compte du contexte du pays. Il est important de s’assurer que les IMF ne prêtent pas à des gens qui sont incapables de rembourser leur dette. Dans les pays d’Afrique tel que le Nigeria ou la Tanzanie où la microfinance a un petit impact, où il n’y a pas de système d’identification au niveau national...Ces critères sont encore plus cruciaux et doivent être examiné de près. 154. Convergences 2015 Pourriez-vous expliquer la différence entre l’impact social dû à un prêt et l’impact social dû aux services publics et à l’aide de l’Etat ? Micol Guarneri: Il est important de rappeler que l’évaluation sociale n’évalue pas l’impact direct sur les clients. Quelques études spécifiques (panneaux de contrôle randomisés) visent à mesurer l’impact social mais non à l’évaluer. Ces études, qui mesurent le progrès fait d’une année à l’autre, sont généralement très coûteuses . Emmanuelle Javoy: il est difficile de s’assurer que la microfinance est responsable de l’amélioration des conditions de vie des microentrepreuneurs. La seule obligation de l’IMF est de rapporter les actions à fin sociale qu’elle entreprend. Que devraient faire les IMF pour maximiser l’impact? En se référent au travail académique et à la recherche, il a été établi que la moyenne de l’impact social dû à la microfinance était relativement faible ; cependant, il y a des groupes de personnes qui bénéficient de plus de services de microfinance que d’autres . Emmanuelle, vous avez dit que l’évaluation sociale était la vérification et l’évaluation de la profondeur de l’intention. Ceci est par définition une approche subjective. Comment pouvez-vous la mesurer ? Emmanuelle Javoy : Je l’ai exprimé comme cela mais j’ai aussi clairement expliqué que la gestion de la performance sociale était un outil pertinent visant à suivre les indicateurs de performance sociale en relation avec les objectifs à atteindre . Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Rapporteur officiel : Vanessa Mendez, Planis responsAbility SOLIDAIRES ET RESPONSABLES : INVESTIR ET AGIR POUR LES OBJECTIFS DU MILLENAIRE Synthèse des discussions du 4ème Forum annuel Convergences 2015 Hôtel de Ville de Paris 3, 4 et 5 mai 2011 Conclusion Séance de clôture + d’efficacité +d’impact + d’investissement Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015 Séance plénière // Général Modérateur François de Witt Président, Finansol Intervenants Claude Alphandéry Président d’honneur, France Active Jean-Marc Borello Délégué Général, Groupe SOS Olivier Guersent Chef de Cabinet de Michel Barnier, Commission Européenne Jean-Luc Perron Délégué Général, Grameen Credit Agricole Microfinance Foundation Frédéric Roussel Co-fondateur, ACTED Jean-Louis Vielajus Président, Coordination SUD Anne Hidalgo Première Adjointe au Maire de Paris, en charge de l’ urbanisme et de l’ architecture Résumé analytique C’est avec une allocution ovationnée d’Anne Hidalgo, première Adjointe au Maire de Paris, que se tint la session de clôture de Convergences 2015. Ces trois jours de réflexion visant à faire communier les acteurs publics, privés et solidaires sur la thématique de la réduction de la pauvreté grâce à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), ont suscité un fort engouement qui n’a pas faibli au soir du 5 mai. L’un après l’autre, les intervenants ont salué l’initiative de 160. Convergences 2015 Convergences 2015 et ont témoigné leur engagement, au travers de leur structure d’appartenance, à ne pas perdre de vue cet objectif noble qui est de penser autrement l’économie, de mettre l’Homme au centre du circuit économique, d’œuvrer pour une meilleure répartition des richesses et de faire face de façon plus responsable au phénomène du changement climatique. Cette session de clôture a été marquée par un appel solennel lancé au monde : l’Appel de Paris pour une microfinance responsable. Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements Synthèse Ayant qualifié d’audacieux le Forum Convergences 2015, au vu de la pluralité et de la variété des acteurs conviés à un consensus sur la « fin » du capitalisme moderne, Anne Hidalgo a remercié les organisateurs d’avoir choisi la ville de Paris pour cet évènement. Pour Anne Hidalgo, Paris en tant que « ville monde » est engagée dans la dynamique de mondialisation et de ce fait, a des responsabilités qu’elle entend assumer. Justice sociale, économique et environnementale, sont les 3 principes sur lesquels a insisté Jean-Louis Vielajus. La question centrale évoquée par le Président de Coordination Sud, est celle de l’accès au financement des pays les moins avancés. Son appel dirigé à l’encontre des responsables des services publiques et du secteur financier et bancaire, a pour but de faire prendre conscience que la réduction des dépenses publiques allouées à des activités non productives économiquement et socialement parlant, pourrait être l’un des moyens pour les Etats du Nord de tenir leurs promesses d’aide au développement. Aussi a-t-il félicité l’initiative du Crédit Coopératif pour la mise en place de la « Taxe Robin des Bois », qui permettrait de générer sur chaque transaction financière, environ 100 milliards de dollars par an, en faveur des OMD avec une attention particulière aux problématiques du changement climatique qui requiert un financement important. La question sur la mise en place de mécanismes innovants de financement, étant à l’ordre du jour au prochain Sommet du G20, Jean-Louis Vielajus espère que de bonnes résolutions en sortiront. Pour terminer ses propos, il lança un défi aux nations développées qui, de par leur action pour une gouvernance plus responsable et une économie plus équitable dans le monde, pourraient contribuer à calmer ce printemps des révolutions qui secoue le monde arabe. L’Appel de Paris a été lancé par le Délégué Général de la Grameen Crédit Agricole Microfinance Foundation. Jean-Luc Perron n’a pas fait fi de la crise que connaît aujourd’hui la microfinance, notamment au travers de l’une de ses figures emblématiques, le Professeur Muhammad Yunus. Aussi a-t-il rappelé que près de 190 millions de personnes à travers le monde bénéficient d’un microcrédit et que 80% de cette population est constituée de femmes. Ces statistiques montrent indéniablement la place prépondérante que tient la microfinance dans la lutte contre la pauvreté dans le monde. C’est pour cela que ce secteur s’engage dans une dynamique de revalorisation de son image et de ses objectifs en introduisant des critères de performance sociale et de transparence dans son approche. L’appel a ainsi été lancé pour une microfinance plus responsable. Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière C’est sur une note économique que Jean-Marc Borello, Directeur Général du Groupe SOS, aborda le sujet de cette session de clôture du Forum Convergences 2015. Evoquant l’image de la régulation du marché par la « main invisible » d’Adam Smith, il montra que croissance ne rime pas forcément avec développement. L’échec de la répartition juste des richesses par le secteur public et privé a suscité l’émergence d’une nouvelle forme d’économie, celle sociale et solidaire, qui n’a certes pas pu éviter l’avènement de la crise socio-économique et environnementale à laquelle on assiste. Frédéric Roussel, co-fondateur d’ACTED, a rejoint son homologue en disant qu’il faudrait entreprendre différemment avec un meilleur système de gestion des entreprises sociales, qui sont à même d’œuvrer dans le champ d’action des entreprises privées capitalistes, de les concurrencer voire de leur ravir des appels d’offre. L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) n’est donc pas une économie de pauvre ou celle qui répare les dégâts engendrés par le capitalisme. « Sans pour autant être radical sur la notion de croissance » a dit Frédéric Roussel, l’ESS parviendra à faire « tomber le mur de la pauvreté qui s’est érigé après celui de Berlin ». Pour cela, les différentes branches de l’économie doivent œuvrer ensemble et Jean-Marc Borello affirme que « le temps de la convergence est arrivé ». Dans une logique de continuité, Olivier Guersent a mis l’accent sur les besoins de financement de l’économie sociale, financements à caractère pérenne et appropriés à chaque niveau de développement. En effet, a-t-il affirmé, il faudrait d’une part que les entreprises sociales les plus développées puissent tendre la main à celles plus petites et d’autre part, qu’il y ait une meilleure captation de l’épargne dormante. De plus, l’Etat doit jouer son rôle en élaborant un cadre juridique et fiscal moins contraignant pour permettre aux entreprises solidaires de se développer. Claude Alphandery, Président d’honneur de France Active a conclu cette session en résumant les propos de ses prédécesseurs sur une pensée de Michel Barnier : « Remettre la finance au service de l’économie et l’économie au service de l’homme ». « Sur cette lancée, Convergences 2015 est bien partie pour ! » a-t-il déclaré. Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015 Rapporteur officiel : Convergences 2015 161. Appel de Paris pour une microfinance responsable Convergences 2015, appuyée par un collectif de partenaires, a rédigé l’« Appel de Paris pour une microfinance responsable ». En réponse à la commercialisation excessive de la microfinance et aux dérives que cette commercialisation a entraînées, cet Appel de Paris rappelle des valeurs fondamentales pour le secteur et propose une série d’actions visant à améliorer ses pratiques et son impact. Lancé officiellement lors du 4ème Forum Convergences 2015 de mai 2011, cet « Appel de Paris pour une microfinance responsable » fait l’objet d’une campagne de plaidoyer et d’action auprès de tous les acteurs intéressés : le grand public, les professionnels du secteur et les décideurs. Si, comme nous, vous soutenez les Objectifs du Millénaire pour le Développement et la microfinance comme un outil puissant de développement économique et de réduction de la pauvreté, signez « l’Appel de Paris pour une microfinance responsable » sur le site www. appeldeparis.org Soyez nombreux, particuliers, bénéficiaires, régulateurs, investisseurs, opérateurs à soutenir cet Appel: *** Depuis 30 ans, le microcrédit est un outil au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. Fin 2009, selon les chiffres les plus récents de la Campagne pour le Sommet du Microcrédit 1, 190 millions d’emprunteurs, dont 128 millions de pauvres, bénéficiaient d’un microcrédit. Plus de 80% des emprunteurs pauvres sont des femmes. Ces prêts sont destinés à créer ou développer une activité génératrice de revenus. Les montants octroyés sont faibles et augmentent au fur et à mesure que l’emprunteur a réalisé plusieurs cycles de crédit sans incident de remboursement. Les taux d’intérêt sont encore relativement élevés pour couvrir les coûts opérationnels et ne pas dépendre de subventions externes. Mais ils sont en baisse constante depuis 5 ans grâce aux progrès de productivité des institutions de microfinance2 . Les méthodes de distribution, les échéanciers de paiement, la politique de garantie sont adaptés aux capacités de remboursement des emprunteurs et à leur très faible niveau d’éducation financière. Malgré son développement rapide, le microcrédit ne touche encore qu’une faible fraction des bénéficiaires potentiels : à titre d’exemple 2,5 millions d’emprunteurs en Ethiopie, pays de 80 millions d’habitants. D’autres services financiers, en particulier des services d’épargne, de paiement et d’assurance, se sont greffés sur le microcrédit pour offrir à des populations qui, dans leur très grande majorité, n’ont aucun contact avec le système financier formel3 , une gamme complète de micro-services financiers simples et accessibles. Ces services répondent ainsi aux deux besoins fondamentaux qui existent chez tout être humain : le besoin d’être accompagné dans ses risques économiques, c’est le rôle du crédit ; le besoin d’être protégé contre les aléas de l’existence, c’est le rôle de l’épargne et de l’assurance. Cette 2ème fonction est aujourd’hui très insuffisamment développée : quelques dizaines de millions de familles seulement bénéficient aujourd’hui d’une micro-assurance contre les risques de santé ou les risques de perte de récolte, dans les pays en développement. L’expansion des activités de microfinance a été portée par plusieurs milliers d’institutions spécialisées, de taille et de statut très variés. Ces institutions jouent souvent un rôle social qui va très au-delà de leur fonction financière. Elles contribuent à la construction d’une société civile plus consciente de ses droits et plus confiante dans ses propres forces, à la promotion des femmes dans la vie économique, et à la mise en œuvre de programmes de santé ou d’éducation. Certaines de ces institutions développent une microfinance sociale pour les populations en situation de grande précarité, avec comme objectif premier la lutte contre la pauvreté, et comme approche un accompagnement des emprunteurs par une offre adaptée de services non financiers, sous forme notamment de conseils, de formations et d’accompagnement social. L’impact de la microfinance a fait l’objet de nombreuses études universitaires ; celles-ci ont mis en avant l’importance des services financiers dans la réduction de la vulnérabilité des populations à faibles revenus. L’impact sur la réduction de la pauvreté varie selon les régions et les types de produits financiers offerts et des recherches scientifiques sont en cours pour mieux cerner ces phénomènes. Ce sont ces bénéfices directs ou induits qui expliquent le succès de la microfinance, sa diffusion rapide dans plus de 80 pays en voie de développement et la reconnaissance internationale qui lui a été accordée, avec notamment l’Année du Microcrédit des Nations Unies en 2005 et l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Professeur M. Yunus et à la Grameen Bank en 2006. Diffusé à grande échelle dans les pays du Sud, le modèle du microcrédit 1. http://www.microcreditsummit.org/state_of_the_campaign_report/ 2. Les institutions de microcrédit, pour ne pas dépendre des subventions ou des dons, doivent amortir leurs coûts opérationnels et le coût du risque sur des marges d’intérêt d’un montant unitaire très faible 3. 2.7 milliards des habitants de la planète ne sont pas intégrés aux systèmes financiers formels 162. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements a été ensuite introduit dans les pays les plus développés en réponse à l’exclusion bancaire qui frappe les populations les plus démunies ou des groupes marginalisés. La crise qui touche ces pays ne peut que renforcer le rôle des organismes de microcrédit en accompagnement des laissés pour compte du système économique et financier. En raison de ce succès, la microfinance a pu être présentée à tort comme la solution miracle aux problèmes de lutte contre la pauvreté et de sous développement. Le simple rapprochement de l’encours du microcrédit dans le monde, environ 65 milliards de dollars, et des montants de l’aide publique au développement (100 milliards USD) et des transferts des travailleurs immigrés dans leur pays d’origine (300 milliards USD), est de nature à remettre le microcrédit à sa juste place. Le microcrédit apporte une contribution fondamentale et originale aux problématiques du développement. Il est bien adapté à l’encouragement de micro-activités commerciales, artisanales et agricoles. Il est une source d’innovation financière, économique et sociale. Mais il ne peut prétendre se substituer ni aux politiques publiques de sécurité sociale ni au développement des infrastructures nécessaires dans les domaines de la santé et de l’éducation. Il peut par contre renforcer l’efficacité de ces politiques et de ces programmes grâce à son réseau capillaire dans les quartiers les plus défavorisés et les zones rurales les plus reculées. Dans le contexte très porteur rappelé ci-dessus, les institutions de microfinance ont connu un développement très rapide de leur clientèle, au risque d’affaiblir la relation de proximité et de confiance qui est au cœur de leur modèle économique. Elles ont fait croître leur portefeuille de crédit à un rythme très élevé, au risque d’affaiblir la progressivité dans les cycles de financement, la discipline de remboursement, l’attention portée à la nature des activités financées. Pour refinancer leur portefeuille de crédit en forte croissance, certaines institutions se sont endettées de façon excessive et exposées dans certains cas à un risque de change non maîtrisé. Des défaillances d’institutions se sont produites dans quelques pays, aggravées parfois par des interférences politiques comme en Inde ou au Nicaragua. Ces excès réels sont toutefois restés contenus. Ils n’ont ni l’ampleur, ni le caractère systémique des innovations financières hasardeuses qui aux Etats-Unis, puis en Europe ont déclenché la plus grave crise du système financier occidental depuis 1929. En outre, les actions à mener pour corriger ces excès sont relativement bien définies : • renforcement des capacités des institutions, en particulier dans les domaines de la gouvernance, de la formation des agents de crédit et amélioration de la gestion du risque, • poursuite d’une croissance plus durable et mieux répartie géographiquement, accompagnée de mécanismes de contrôle du surendettement comme les centrales de risques, • amélioration du cadre réglementaire et notamment des règles prudentielles, et renforcement de la supervision. Beaucoup plus difficile est la correction des dérives rapportées par les média dans certaines régions du monde et qui portent gravement atteinte non seulement à la réputation de toute la microfinance, mais à son essence même. L’ambition de la microfinance est en effet depuis l’origine de concilier un modèle économique d’entreprise avec une mission sociale au service des pauvres. Quand certaines institutions, au nom de la recherche de la rentabilité, adoptent des politiques agressives de développement, pratiquent des taux d’intérêt usuraires, mettent en œuvre des politiques musclées de recouvrement, elles discréditent le modèle même de la microfinance et ne doivent plus s’en réclamer. Des reportages, parfois simplificateurs, ont mis l’accent sur ces dérives, sans rappeler le désintéressement de milliers de dirigeants et d’employés d’institutions, fidèles à la mission sociale de la microfinance et dévoués à leur communauté. Le risque existe que l’effort patient de construction d’institutions de microfinance responsables, jouant un rôle irremplaçable dans les services financiers et non financiers aux populations les plus démunies, soit ruiné par quelques institutions séduites par la seule recherche du profit. Face à ce risque, des efforts significatifs ont été faits ces dernières années à quatre niveaux. • Au niveau de l’information et de la protection de la clientèle, une campagne mondiale4 permet d’améliorer les produits et les pratiques. • Des indicateurs de performance sociale standardisés ont été développés et plus de 350 institutions de microfinance5 les ont intégrés dans leur reporting. Des agences de notation sociales se sont mises en place avec le soutien des pouvoirs publics 6 et financent chaque année plus de 200 notations sociales. Des outils spécifiques ont été élaborés pour mesurer l’impact sur la pauvreté d’une institution de microfinance . 4 Smart Campaign 5. Les standards de performance sociale ont été développés par la SPTF Social Performance Task Force 6. Le Rating Fund est une initiative financée par des bailleurs de fonds publics et gérée par l’association luxembourgeoise ADA Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015 163. (PPI7et PAT8 ) et pour suivre les changements dans la vie de leurs clients. La Social Performance Task Force9 travaille actuellement à une série de standards de performance sociale. • Au-delà de standards minimum, la Campagne pour le Sommet du Microcrédit développe un « Seal of Excellence for Poverty Outreach and Transformation in microfinance » destiné à servir de référence et de label de reconnaissance de ce que la microfinance réalise en matière de lutte contre la pauvreté. • Enfin au niveau de la réglementation du secteur, le comité de supervision bancaire de Bâle a publié une série de recommandations sur la supervision des institutions de microfinance qui font appel à l’épargne. Toutefois ces initiatives pour une microfinance responsable ne suffisent pas à prévenir les dérives et à désarmer les critiques. Une impulsion politique et une initiative globale sont nécessaires pour restaurer la confiance dans la microfinance et l’engager dans de nouvelles voies de développement. D’ores et déjà le G20 a décidé de donner une nouvelle impulsion pour le développement de systèmes financiers inclusifs. L’Alliance pour l’Inclusion Financière regroupant des représentants des banques centrales de plus de 40 Etats du Sud a été lancée. Et un groupe de travail réunissant les organisations internationales et les instances de contrôle comme le Comité de Bâle ou la Financial Action Task Force10 a été mis en place pour accélérer les réformes réglementaires nécessaires. Toutefois, pour répondre pleinement à son objectif, une telle initiative globale concertée, tout en bénéficiant de l’impulsion politique du G20, doit impliquer tous les acteurs de la microfinance, qu’il s’agisse des institutions de terrain et de leurs associations nationales ou régionales, des apporteurs de capitaux et des fournisseurs de services spécialisés, des institutions internationales et des instances de régulation et de supervision. Au cours de son développement très rapide, la microfinance n’a pas suivi un modèle unique ; elle s’est adaptée aux conditions de chaque pays. Suivant les pays et les institutions, l’accent est mis de façon inégale sur la lutte contre la pauvreté ou l’inclusion financière. Certaines institutions se définissent comme des social business, excluant toute distribution de profit à des actionnaires privés, d’autres estiment compatibles la poursuite de leur mission sociale et une rémunération, éventuellement plafonnée, du capital investi. La diversité des statuts juridiques n’est pas moins grande. Cette diversité est une richesse, qui doit être préservée, mais dans un monde globalisé et interconnecté, elle ne doit pas faire obstacle à un socle fondamental de principes et de règles. C’est la condition d’une confiance maintenue du public et d’une nouvelle phase de croissance durable et responsable. Ce socle minimal devrait, à la lumière de l’expérience, comporter des principes et des règles obéissant aux six orientations suivantes : 1. Le modèle économique de la microfinance répond à un double objectif à long terme d’impact social et de viabilité financière. La recherche d’un impact social effectif passe par le souci constant de toucher les populations les plus pauvres, en développant des réseaux de distribution adaptés, y compris en zone rurale, en offrant une gamme complète de produits de services financiers et non-financiers adaptés à leurs besoins, et en faisant preuve de modération dans les politiques de taux d’intérêt et de tarification des services. Des indicateurs de performance sociale, répondant à des définitions standardisées, doivent permettre d’attester le respect de cette orientation. 2. Les institutions de microfinance ne peuvent inscrire leur développement dans une perspective durable qu’en inspirant confiance par une gouvernance solide, des règles prudentielles robustes et des systèmes efficients de reporting, de contrôle et d’audit. Ces règles doivent être soumises à supervision et ces systèmes faire l’objet de notation suivant des méthodes objectives et transparentes. 3. L’information et la protection des clients, la prévention du surendettement, la transparence des taux et tarifs pratiqués, les procédures de mise en jeu des garanties et de recouvrement, les politiques d’incitation des agents de crédit doivent pleinement respecter la vocation première de la microfinance, basée sur une relation de confiance et de respect du client. Elles doivent suivre des règles précises et vérifiables, comme celles développées par la Smart Campaign11 ou l’ONG Microfinance Transparency12 , et contenues dans une charte éthique de l’institution. 7. Le “Progress out of Poverty Index” est un outil pratique destiné à évaluer la probabilité qu’un ménage soit au dessous du seuil de pauvreté. Le PPI est maintenant disponible dans 34 pays. . 8. Le « Poverty Assessment Tool » est une variante du PPI et intègre une notion d’évolution dans le temps du groupe cible en comparant le scoring atteint d’une année sur l’autre sans notion de seuil de pauvreté. 9. Créée en 2005 à l’initiative du CGAP et de Fondations privées, la Social Performance Task Force est constituée de représentants d’ONG, de bailleurs de fonds, d’investisseurs sociaux, de réseaux de microfinance, d’agences de rating et de chercheurs. Elle élabore des méthodes et des indicateurs d’évaluation de la performance sociale des institutions de microfinance. 10. (FATF) – instance international pour combattre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme 11. http://www.smartcampaign.org/ 12. http://www.mftransparency.org/ 164. Convergences 2015 Améliorer les pratiques Améliorer l’impact Améliorer les investissements 4. Les investisseurs internationaux, publics et privés, spécialisés en microfinance, ont le devoir d’agir dans le respect des intérêts à long terme des institutions qu’ils accompagnent et se donner pour objectif leur autonomie financière. Cette vision passe par l’adhésion à un Code de conduite des investisseurs, comme les Principes pour la Finance Inclusive développés avec le soutien de l’UN PRI, destiné à garantir que les conditions, notamment de durée et de garantie, de leurs concours financiers répondent à des normes de qualité, que les taux et commissions pratiqués soient modérés, et que les concours proposés n’exposent pas les institutions financées à un risque de change déraisonnable. 5. Les chercheurs et les milieux académiques sont invités à intensifier leur dialogue avec le secteur de la microfinance pour réaliser des études d’impact objectives, en tenant compte de la diversité des contextes locaux, et à en diffuser largement les conclusions. 6. Les bailleurs de fonds et les grandes fondations privées ont un rôle essentiel à jouer pour promouvoir les bonnes pratiques et encourager l’innovation et la diversification en microfinance. Sachant que la grande majorité des personnes touchées par la pauvreté et la malnutrition est en zone rurale et dépend de l’agriculture et de l’élevage pour sa survie, les institutions de microfinance doivent être encouragées à se tourner vers le milieu rural et le financement de la petite agriculture familiale. Les bailleurs de fonds sont également invités à amplifier leur effort d’encouragement à la conception et la diffusion de systèmes de micro-assurance adaptés, en particulier dans les domaines de la santé et de l’agriculture. Outre le bénéfice que pourront en retirer les emprunteurs pour eux-mêmes et leur famille, ces dispositifs sont de nature à réduire le risque des institutions de microfinance et à les encourager à développer leur activité de crédit. Une attention particulière doit être portée aux services non financiers, notamment de conseil et d’éducation, proposés par les institutions de microfinance. Les programmes d’aide des Institutions financières internationales en faveur de la microfinance doivent viser en priorité les pays, segments de population et secteurs économiques les plus défavorisés où la microfinance peut apporter une contribution essentielle au développement économique et social, notamment : Afrique sub-saharienne, secteur agricole, groupes marginalisés. Ces priorités d’action pourraient faire l’objet d’un document cadre d’orientation à moyen terme, auquel adhéreraient les grandes institutions financières internationales, les agences des Nations Unies, les banques de développement, les agences de coopération. Pour donner corps à ce socle fondamental de principes et de règles, dans le respect de la diversité de la microfinance, les signataires lancent un appel pour des « Etats généraux de la microfinance responsable », organisés par grande région du monde et par grande catégorie d’acteurs, sous l’égide d’un Comité d’organisation mandaté par le G20. Convergences 2015 Paris, le 3 mai 2011 Forum Convergences 2015 - Edition 2011 /// Séance plénière Séance de clôture du 4ème Forum Convergences 2015 165.